19 start–up canadiennes qui refont le monde —

Recruteurs à IA, appareils à ADN et jardins hydroponiques : voici les innovations d’ici qui changent notre façon de vivre.

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Voyager devient bien plus accessible

« On a encore cette idée qu’une personne en situation de handicap est impuissante ou ne peut contribuer à la société, affirme Maayan Ziv, 28 ans. Mais moi, j’adore remettre en cause les idées reçues. » Preuve à l’appui : en 2016, cette entrepreneure torontoise, qui est atteinte de dystrophie musculaire et se déplace en fauteuil roulant, a lancé une appli interactive sociofinancée qui cartographie les lieux accessibles de la planète.

Née de la frustration de Mme Ziv de ne pas pouvoir savoir si un bar (ou une salle de spectacle, un musée, une boutique ou une attraction touristique) est accessible sans d’abord s’y présenter, AccessNow permet aux utilisateurs de coter des lieux et de chercher ceux qui sont adaptés à leurs besoins. L’appli couvre désormais 36 pays ; quand Mme Ziv est allée évaluer un resto inclusif en bord de mer à Tel–Aviv l’été dernier, elle s’est rendu compte qu’on l’avait devancée. « Ça montre le pouvoir de la communauté, dit–elle. Les gens vivent un peu partout, et devraient pouvoir aller partout. »

01 mai, 2019
Plusieurs-panneaux-illustrant-la-production-alimentaire.

On trouve mieux pour produire des aliments...

En 2018, un rapport du GIEC de l’ONU a confirmé ce qu’on savait déjà sur les changements climatiques : feux de forêt, sécheresse, pluies torrentielles et températures extrêmes ravagent les récoltes. Voici quatre start–up aux solutions novatrices en ce qui concerne les méthodes, et les lieux, de l’agroalimentaire.

... à la ferme

 Les imprévisibles et spectaculaires fluctuations météo causent des ennuis aux agriculteurs. Mais les outils numériques de Farmers Edge, de Winnipeg, utilisent imagerie satellitaire quotidienne et capteurs locaux pour signaler les problèmes potentiels (de drainage, de maladies, de nutriments) et en informer directement les fermiers sur leurs téléphones.

... dans l’eau

Cultiver des fruits et légumes et avoir du poisson frais dans une ville sans littoral et au climat frisquet comme Calgary n’est pas facile. Mais Deepwater Farms a trouvé une solution : dans ses réservoirs géants nagent des milliers de bars, qui fertilisent des rangées de légumes feuilles tels chou frisé et roquette. Ce système fermé, économe en eau et permanent (le plus grand du genre en Alberta) produit environ 500 kg de légumes verts et 250 poissons par semaine pour les marchés et restos locaux.

... dans le Nord

Des étudiants de l’Université Memorial de St. John’s ont mobilisé agronomes et ingénieurs pour créer le SucSeed, un jardin riche en nutriments, gros comme un coffre à outils, où poivrons, laitues ou fraises peuvent pousser à l’intérieur, sans terreau ni soleil. On trouve désormais des jardins communautaires de SucSeed au Nunavut et au Labrador, et Tim Hortons s’est engagé à doter chaque école primaire canadienne d’un de ces bacs.

... n’importe où

La Nasa a peut–être cultivé des plantes à la lumière de DEL dès les années 1980, mais TruLeaf, de Nouvelle–Écosse, va plus loin. Dans ses fermes intérieures, adaptées tant aux centres urbains denses qu’aux contrées nordiques reculées, une intelligence artificielle analyse des dizaines de milliers de données pour déterminer les meilleurs spectres optiques, conditions ambiantes et quantités d’eau recyclée afin de faire pousser diverses plantes.

Illustration d'une jeune fille utilisant un appareil robotique de mobilité des jambes.

Plus d’enfants peuvent marcher...

Pour Manmeet Maggu, qui dans sa jeunesse aimait démonter des objets et adorait Iron Man, étudier la robotique allait de soi. Puis, ayant appris à sa dernière année à l’Université de Waterloo que son neveu Praneit était atteint de paralysie cérébrale, il s’est penché sur un autre type d’armure. Avec son ami Rahul Udasi, il a conçu des jambes robotisées autonomes qui se fixent à une marchette et s’attachent aux chevilles, mollets et cuisses d’un enfant.

« La jambe droite se plie et fait un premier pas, puis la gauche, et c’est parti », explique–t–il. La société de messieurs Udasi et Maggu, Trexo, vient de terminer un projet avec le principal incubateur d’entreprises au monde, Y Combinator ; son mécanisme est désormais offert en location aux familles canadiennes. Mais le plus grand moment de M. Maggu date de l’an dernier, quand son neveu est venu d’Inde avec sa famille pour faire l’essai des jambes. Praneit a fait 250 pas ce jour–là. « Le plus extraordinaire, ce n’est pas le robot qu’on construit, assure M. Maggu, c’est la magie de voir un enfant faire ses premiers pas. »

Illustration d'une tablette tactile à écran solaire.

... et apprendre

L’accès à l’éducation est crucial, notamment pour lutter contre les inégalités de revenu, les troubles civils ou la mortalité maternelle. La start–up torontoise Rumie Initiative a donc chargé des plans de cours de qualité dans des tablettes tactiles à énergie solaire (nulle connexion Internet requise) qu’elle a ensuite distribuées à plus de 35 000 personnes. Ces tablettes aident à présent des apprenants d’Éthiopie (où 2 % de la population a accès à Internet), de Sierra Leone (où le taux d’alphabétisation des femmes est de 24 %), de communautés autochtones canadiennes (où 51 % des élèves décrochent) et de partout dans le monde.

Illustration d'un médecin et d'un patient faisant des prises de sang.

Des médecins sauvent des vies...

... avec de meilleurs tests

Le cancer de la prostate touche un homme canadien sur sept, mais le test diagnostique est délicat, douloureux et peu sûr. L’analyse de sang en usage donne 80 % de faux positifs, d’où des biopsies inutiles pouvant causer de très graves infections. Bonne nouvelle : avec son équipe, le Dr John Lewis, PDG de Nanostics à Edmonton, a mis au point un test bien moins invasif qui ne nécessite que quelques gouttes de sang.

« Les vésicules extracellulaires, ou VE, sont des particules sécrétées par les cellules, dit–il. Notre méthode fournit un nouveau moyen de lire et d’interpréter les messages charriés dans le sang, en mesurant les VE des cellules prostatiques cancéreuses pour déceler avec plus de précision les formes agressives de la maladie. » Mise à l’essai sur plus de 200 000 échantillons de plus de 2000 hommes, elle s’est révélée être 40 % plus exacte que le test de dépistage sanguin actuel. Et Nanostics voit plus loin. « Notre cytométrie des VE s’applique aux autres cancers et à bien d’autres maladies », précise le Dr Lewis. Des tests pour le cancer ovarien, le rejet de greffe et la leucémie lymphoïde chronique sont tous en voie d’élaboration.

Illustration d'un échantillonnage d'adn.

... de meilleurs outils

1 Un rapport d’ADN sur demande ? (En une heure, disons.) Spartan Bioscience, d’Ottawa, a conçu un labo cubique de 10 cm3 qui peut analyser un frottis buccal pour dépister maladies infectieuses ou pharmacorésistance, et qui peut même tester la salubrité des aliments et de l’eau.

2 On dirait un beau stylo, mais le laser high–tech d’ODS Medical détecte un cancer en moins d’une seconde. Les cellules saines et cancéreuses réfléchissent différemment la lumière, et cet outil conçu à Montréal les distingue lors de chirurgies pour tumeur cérébrale.

3 Le nombre de personnes touchées par l’alzheimer et d’autres formes de démence devrait dépasser 152 millions d’ici 2050. Le traitement dépendant d’un dépistage précoce, Optina Diagnostics, de Montréal, a mis au point une scanographie de l’œil qui utilise tépographie et IA pour repérer un biomarqueur clé de la maladie.

Google Map pour le cerveau.

... et de meilleurs trucs

Même les neurochirurgiens d’élite peuvent profiter d’un Google Maps du cerveau. Synaptive Medical, de Toronto, propose des visualisations HD en 3D qui permettent des opérations moins invasives et plus sûres, d’où moins de complications et une guérison plus rapide. Le bras robot automatisé de la start–up utilise une technologie avancée (d’abord conçue pour la Station spatiale internationale) ainsi qu’un puissant microscope numérique pour offrir aux chirurgiens une vue sans précédent du cerveau humain. En plus de rendre les chirurgies du crâne plus sûres, il permet de faire des opérations jadis impensables.

Illustration illustrant la diversité sur le lieu de travail.

Des sociétés beaucoup plus à l’image du Canada

« Le contraste peut être énorme entre la façon dont une entreprise aborde, disons, le marketing (recours aux données, interventions stratégiques, suivi des progrès) et la diversité, où elle vise juste une amélioration, déclare Laura McGee. À notre avis, on devrait voir la diversité comme un objectif prioritaire. » Cette Torontoise a donc fondé Diversio, une plateforme d’IA qui analyse les sondages d’employés, qui note les sociétés selon des critères tels qu’objectivité du feedback et égalité d’accès aux mentors, réseaux et parrains, puis qui établit tactiques et politiques ciblées pour aider les compagnies à s’améliorer. En général, on réévalue celles–ci aux six mois, pour mesurer leurs progrès et voir où sont leurs lacunes.

En plus de faire sens d’un point de vue éthique, la diversité accroît les profits de toute organisation. La société de conseil McKinsey a constaté qu’une entreprise à la direction diversifiée a 33 % plus de chances d’être la plus rentable de son industrie. « À Davos, cette année, on a créé un calculateur de diversité déterminant l’incidence sur les bénéfices d’une société qui ajouterait une seule femme parmi ses cadres, raconte Mme McGee. C’était un peu gadget, mais les PDG ont adoré. » Et ils en voulaient plus.

Illustration illustrant le processus de recrutement par intelligence artificielle.

Le processus d’embauche est bourré de préjugés : selon le Harvard Business Review, si on ne retient qu’une femme ou un candidat issu d’une minorité sur quatre finalistes, ses chances d’embauche sont nulles. Pour que nul ne soit lésé, l’équipe de Knockri, à Toronto, a conçu un recruteur à IA, qui ignore des attributs comme la race et le sexe et se sert plutôt de l’analyse du visage et du discours des candidats en entrevue vidéo pour détecter des aptitudes telles qu’empathie et collaboration, d’où des listes plus diversifiées de postulants qualifiés.

Des hôpitaux qui descendent du ciel

Fabriqués à Brantford, en Ontario, les appareils hybrides de Solar Ship allient l’agilité d’un avion de brousse à la flottabilité d’un dirigeable. De visu, ils ont un petit air du Bibendum Chamallow de SOS Fantômes ; en pratique, ils peuvent transporter une cargaison essentielle de 5 t vers des régions inaccessibles au Canada et ailleurs. Le PDG Jay Godsall explique comment l’un d’eux, le Wolverine, prend son envol.

1. AILES

« Même si les combustibles fossiles ne polluaient pas, alourdir un avion de carburant qu’il faut brûler afin de le faire voler jusqu’à un lieu éloigné, c’est du pur gaspillage d’énergie. Ce dirigeable est rempli d’un gaz léger (hydrogène ou hélium) qui lui donne sa portance. »

2. MOTEURS

« Les moteurs électriques sont très légers et assurent une bonne poussée. Le Wolverine est plus haut qu’un Boeing 747, alors on a réparti 20 moteurs à l’arrière et 4 à l’avant. Ça aide à le diriger : pour virer, poussez à fond les moteurs d’un côté et gardez les autres à vitesse réduite. »

3. TRAIN D’ATTERRISSAGE

« Coupez les moteurs d’un gros appareil à forte traînée et il va vite descendre, donc pas besoin d’une longue piste. Mais son poids démolirait le train d’atterrissage d’un avion de brousse. On utilise un train gonflable, un gros coussin capable d’en prendre. Et ça permet d’atterrir sur toute surface. »

4. PANNEAUX SOLAIRES

 « L’appareil est muni de batteries qui alimentent les moteurs. Pour une autonomie accrue jusqu’à 600 km, il y a des panneaux solaires, qui rechargent les batteries. »

5. FRET

 « Le Wolverine peut transporter un conteneur de 6 m, et donc livrer des matériaux de construction dans le Nord ou contribuer à l’aide humanitaire quand les changements climatiques causent des déplacements de population en Afrique. Bref, on peut parachuter un hôpital complet, ou presque. »

Illustration représentant une ville intelligente.

Les villes deviennent plus intelligentes...

Les villes génèrent une masse de données dont il est ardu de faire le suivi en temps quasi réel, malgré leur incidence sur la santé publique, les infrastructures ou le développement économique, par exemple. Townfolio, de Saskatoon, collabore avec les services municipaux de 38 000 collectivités canadiennes et américaines pour leur fournir des données à jour et difficiles d’accès (comme le nombre de visites pour soins à domicile à Prince Albert, en Saskatchewan, ou l’heure où les gens partent travailler à Québec) afin de les aider à faire plus vite de meilleurs choix pour leurs citoyens.

... et plus sûres

La tour de la Paix du parlement à Ottawa, le pont international des Mille–Îles de 1937, le siège social centenaire de l’Agence du revenu du Canada : tous bien plus sûrs à présent, grâce à la start–up montréalaise Sensequake. L’équipe du PDG Farshad Mirshafiei place des capteurs sans fil hypersensibles mesurant les microvibrations d’une structure, puis analyse ces données au moyen de l’IA pour détecter les vices cachés et problèmes d’intégrité qui sont sources de vulnérabilité en cas de séisme. Prochaine étape : révolutionner l’industrie du génie civil, rien de moins. « L’IA peut analyser chaque construction et matériau et choisir la solution la plus fiable et rentable, explique M. Mirshafiei. On veut que notre logiciel aille au–delà du simple contrôle des risques sismiques et de l’état des structures et qu’il conçoive des édifices pour les ingénieurs. »

Illustration du CO2 liquide ajouté au ciment.

Nous domptons les éléments...

... en extrayant le carbone de l’air

Robuste et peu coûteux, le béton est le matériau synthétique le plus utilisé sur terre, mais il nécessite la production d’énormes quantités de ciment à partir de calcaire chauffé, ce qui compte pour 5 % des émissions mondiales de dioxyde de carbone. CarbonCure, de Halifax, a trouvé un moyen de briser ce cycle. « Pendant le mélange du ciment, on ajoute du CO2 liquide qui retourne ensuite à l’état minéral, et le gaz est emprisonné à jamais », explique le PDG Robert Niven. La start–up fait depuis peu partie du portefeuille de Breakthrough Energy Ventures (BEV), un fonds de capital–risque en écotechnologies de 1 milliard de dollars financé par Bill Gates et Jeff Bezos, entre autres. « BEV ratisse la planète en quête de technologies pouvant amener des réductions annuelles de 500 Mt de CO2 », ajoute M. Niven. Avec ce financement, CarbonCure espère implanter son système dans chaque usine à béton de la planète.

Illustration d'un poisson de fer ajouté à un pot de nourriture.

... et en enrichissant les aliments en fer

Touchant 3,5 milliards de personnes, soit près de la moitié de la population mondiale, la sidéropénie (carence en fer) est un des problèmes nutritionnels les plus répandus. Arrive le Lucky Iron Fish, petit poisson de fer susceptible d’être bouilli, conçu par une start–up de Guelph, en Ontario. Dans une casserole, il libère 90 % de l’apport quotidien recommandé en fer pour une famille, sans modifier le goût ou l’odeur des aliments mis à cuire.