Stella Meghie sur la vie au quotidien et la représentativité au cinéma

Partagez

Et ce qui lui manque le plus de Toronto.

L’extraordinaire n’attire pas Stella Meghie. Pour la cinéaste jamaïco–canadienne, le quotidien est plus singulier. C’est ce qu’elle dépeint dans ses films, notamment Jean of the Joneses, son premier, une comédie romantique qui met en scène une famille jamaïco–américaine, et The Weekend, qui relate le séjour en chambre d’hôtes d’une humoriste, de son ex, de la nouvelle flamme de celui–ci et d’un mignon client. Ses projets ont transformé l’ex–relationniste de mode en pilier de Hollywood (Mme Meghie est une des rares réalisatrices noires à faire du bruit dans les grands studios). Son drame romantique The Photograph, avec Issa Rae et LaKeith Stanfield, sort en salle à la Saint–Valentin. Nous avons joint Mme Meghie pour discuter de son ascension éclair et des nouveaux rôles qu’elle écrit pour les Noires.

24 janvier 2020
Stella Meghie porte une robe grise à manches longues devant un mur blanc avec un revêtement noir

enRoute Vous avez écrit, réalisé et produit The Photograph. Comment le film est–il né ?

Stella Meghie J’ai rencontré les gens de Will Packer Productions avant même de vendre une série ou de tourner Jean of the Joneses, et ils voulaient faire un drame romantique, mais n’avaient rien en tête qui allait au–delà d'un drame se déroulant pendant une tempête. J’ai commencé à réfléchir à ce qui avait du sens pour moi. Ma grand–mère a accouché très jeune et a dû se séparer de sa fille, qu’elle n’a retrouvée que 40 ans plus tard. J’ai transformé cette idée en intrigue romantique entre Christina, la mère du personnage joué par Issa Rae, et Isaac, qui avait aimé cette femme pendant 30 ans sans l’avoir vue. L’émotion du film vient en grande partie de ce que j’ai ressenti en regardant ma grand–mère retrouver sa propre fille. C’est mon cœur qui parle.

ER Avez–vous choisi Issa et LaKeith d’emblée pour les rôles principaux de Mae et Michael ?

SM J’ai écrit le scénario sans acteurs en tête. Alors que les choses se mettaient en place, j’ai tourné un épisode d’Insecure avec Issa. J’ai adoré notre collaboration et me suis mise à penser à elle pour jouer Mae. On la voit comme une actrice comique, mais elle a du bagage. Elle a accepté moins d’une semaine après avoir reçu le scénario. Restait à trouver Michael. LaKeith est venu nous rencontrer à La Nouvelle–Orléans pour une lecture du scénario. Dès qu’il s’est assis près d’Issa et a ouvert la bouche, je savais que j’avais trouvé ; le courant passe vraiment bien entre eux.

Une photo de Stella Meghie avec un filtre rose

ER C’est votre quatrième film depuis Jean of the Joneses, en 2016, et vous avez un autre projet en train avec Issa Rae, American Princess. Comment en êtes–vous arrivée là depuis votre carrière de relationniste ?

SM J’ai toujours écrit, et je n’étais pas très douée pour les relations publiques, alors j’ai dû me réorienter. Je suis retournée à l’école en scénarisation et j’ai décroché une maîtrise. Puis j’ai écrit et écrit encore, et la chance a commencé à me sourire. Je n’avais jamais rien réalisé, mais mon scénario de Jean of the Joneses était quasi autobiographique. Je ne voyais personne d’autre le réaliser, et j’ai convaincu tout le monde de me faire confiance. Le film a été présenté à SXSW et au TIFF, puis tout a déboulé.

ER La représentativité à l’écran s’améliore. Qu’apportez–vous de nouveau avec vos projets ?

SM J’essaie d’écrire des rôles de Noires qui montrent qui je suis, et qui sont celles qui m’entourent. Ça vient d’un désir personnel de me représenter, de représenter ma meilleure amie, ma mère, ma tante ou ma cousine. Ce sont les femmes noires de l’ombre, celles qu’on ne croit pas assez importantes pour les montrer à l’écran. Peut–être sont–elles trop simples ou leurs histoires, trop ordinaires. Mais j’aime les récits du quotidien. J’aime les relations mère–fille, qui se glissent dans tous mes films. J’ai ce thème récurrent : de jeunes Noires qui cherchent leur place dans les milieux noirs, dans les systèmes d’éducation, dans les milieux blancs. Ce sont les simples histoires de famille qui m’obsèdent.

ER Vous avez vécu à New York, à Londres et à L.A. après avoir quitté Toronto en 2003. Qu’est–ce qui vous manque de la maison ?

SM Je m’ennuie des DJ de Toronto, de leur façon de mixer, de leur musique. L’ambiance évoque davantage un sound system qui englobe diverses époques du hip–hop et du reggae. Ça ressemble à la culture dans laquelle j’ai grandi. Je m’ennuie de cette culture, de la communauté antillaise si forte. Être Jamaïco–Canadienne, c’est bien différent d’être Afro–Américaine. J'ai un bagage et un point de vue différents.

Une photo teintée de rose de Stella Meghie assise sur une chaise

« J’essaie d’écrire des rôles de Noires montrant qui je suis, et qui sont celles qui m’entourent. Ce sont les femmes noires de l’ombre, celles qu’on ne croit pas assez importantes pour les montrer à l’écran. »

ER Y a–t–il un lieu de tournage qui vous a particulièrement marquée ?

SM La Louisiane, pour The Photograph. À Delacroix, on est sortis en bateau de pêche : Y’lan Noel joue un pêcheur d’huîtres dans le film. J’ai adoré discuter avec les pêcheurs des conséquences de Katrina, de la marée noire due à BP, des changements au fil des ans, des huîtres moins nombreuses aujourd’hui. Et aussi voir les pêcheurs à l’œuvre. C’est précieux de pouvoir explorer et découvrir un mode de vie qui est si loin de ce que vous connaissez.

Le Questionnaire

  • Essentiel en cabine Des écouteurs. J’écoute tout le temps de la musique, et en vol je regarde les films que je n’ai pas encore vus.

  • Dernier voyage GoldenEye, en Jamaïque. C’est toujours bon de retourner en Jamaïque : j’adore me baigner dans la mer.

  • Voisin de rêve en avion Oh ! Un acteur dont je tairai le nom ici.

  • Premier souvenir de voyage Kingston, en Jamaïque, avec ma tante Jan quand j’étais en deuxième année. On a visité une de ses meilleures amies ; je me rappelle le quartier Beverly Hills.

  • Le voyage a le pouvoir de… Changer vos perspectives. Où que vous alliez, mettez–y tout votre cœur, jusqu’au prochain arrêt.