Je suis assise sur la roche, les pieds ballants dans la mer du Nord qui lèche la côte sud de la Norvège. L’eau froide me fouette les jambes. Des algues (vertes, rouges, de couleur vive, sombres) dansent dans l’onde, comme de la laitue qu’on essore. Morten Michalsen plonge la main dans l’eau et en sort une touffe bordeaux. On dirait un amas de mousse. « Un pompon des ascophylles, dit–il. En avez–vous goûté ? » Je prends une bouchée. Le goût est complexe et ancien, telle une saveur des profondeurs oubliée depuis des lustres. Michalsen entre dans l’eau et ajuste un masque de plongée sur ses cheveux blonds. Ses palmes battent l’air comme la queue d’une baleine. Et il disparaît.
Michalsen est un touche–à–tout. Menuisier de formation, il est aussi cueilleur, plongeur et bricoleur. Aujourd’hui, il cherche des patelles, ces coquilles coniques et crénelées qui adhèrent aux rochers de l’estran, entre terre et mer. Au seuil de deux écosystèmes, elles peuvent survivre deux semaines hors de l’eau. Leurs dents sont un des matériaux naturels les plus résistants qu’on connaisse, et il est quasi impossible pour un prédateur de les décoller des rochers. Mais Michalsen a un couteau.