Un guide du flânage attentif

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« Tous ceux qui errent ne sont pas perdus. » – J.R.R. Tolkien

Selon Erika Owen, un flâneur est simplement quelqu’un qui se promène sans hâte, au hasard. L’origine du terme remonte au moins au XVIe siècle, mais son emprunt en anglais date de la fin du XIXe, à l’époque où le fait de se promener sans but indiquait la supériorité du rang social et le privilège de mener une vie de loisirs ou du moins le fait de disposer du temps nécessaire dans une journée pour se balader sans souci. Lorsqu’Erika a écrit The Art of Flaneuring (Blackstone Publishing ; 2019), personne ne soupçonnait qu’en 2020 la marche deviendrait pour tant de gens un élément vital du quotidien. Erika révèle ici les bienfaits de la marche contemplative et ses conseils sur le flânage attentif.

Escalade de montagnes en Islande
Islande du Sud.    

enRoute Parlez-nous un peu de votre livre.
 

Erika Owen Il traite d’une nouvelle manière de découvrir notre environnement immédiat. Il m’arrive souvent de faire mes promenades ou mes trajets quotidiens sans penser à ce que je vois ou à ma destination. Dans notre propre quartier ou même dans les lieux qu’on visite en voyage, il est facile de se fondre dans le flou du quotidien.

Apprendre à ralentir et à observer véritablement peut améliorer la vie à divers égards. Il y a dans chaque espace des aspects et des personnalités multiples. The Art of Flaneuring est simplement un guide pratique pour mieux observer le monde qui évolue autour de vous. J’emploie l’expression « qui évolue autour de vous », car mon livre à la base s’adresse au flâneur qui admire passivement les scènes qui l’entourent au lieu d’y prendre part activement. Si je ne pouvais offrir à ceux que j’aime qu’un seul cadeau, ce serait la compréhension approfondie de leur propre quartier.

Blanchisserie accroché sur une corde à linge à Brooklyn, New York
Carroll Gardens, Brooklyn, New York.    
La couverture du livre d'Erika Owen « The Art of Flaneuring »
*The Art of Flaneuring*.    
Carroll Gardens, Brooklyn, New York.    
*The Art of Flaneuring*.    

ER Qu’est-ce qui vous incite à aller marcher ?
 

EO Lorsque je quitterai finalement Brooklyn et New York, je veux avoir le sentiment de les avoir pleinement vécus. Je veux pouvoir raconter des lieux étonnants et surtout les interactions bienveillantes avec des inconnus. Je veux pouvoir donner des recommandations de restaurants et parler de panoramas particulièrement beaux avec les gens qui planifient de les visiter. C’est là le principal moteur de mon inspiration ; tant qu’à y payer un loyer astronomique, je veux saisir pleinement le pouls de ma ville.
 

ER En écrivant ce livre, vous avez beaucoup flâné dans New York. Qu’avez-vous appris sur cette ville au cours de vos promenades ?
 

EO Un tas de choses. Mais ce que j’ai le plus remarqué et aimé, ce sont les gens. Si vous passez assez souvent au même endroit, vous commencez à remarquer les gens et à les voir comme les personnages d’une bande dessinée. Il y a tant d’inconnus avec qui je suis sur la même longueur d’onde. New York est véritablement cosmopolite, et je le remarque devant des enseignes commerciales inhabituelles dans de nouveaux quartiers, en surprenant des conversations dans diverses langues et en m’imprégnant des odeurs de cuisines venues d’ailleurs. J’ai appris que les gens sont aimables, où que l’on soit. On le remarque surtout dans les petites attentions : tenir une porte, aider quelqu’un à porter l’épicerie jusqu’à sa voiture, lancer un compliment en passant. Les gens sont également émotifs, et ça s’entend lorsque, dans une discussion, le ton monte. Ici, le bonheur s’exprime dans divers tons d’une gamme qui résonne dans chaque lieu.

Appartements dans le quartier Clinton Hill de Brooklyn, New York
Clinton Hill, Brooklyn, New York.    

ER Préférez-vous planifier votre itinéraire ou profiter de la spontanéité d’une balade ?
 

EO C’est vraiment difficile de ne pas planifier une promenade, et j’en parle beaucoup dans le livre. Quand j’ai commencé, j’avais un plan au moins pour les premières minutes. Maintenant, j’ai tendance à simplement sortir et marcher. Je m’étonne souvent des tournants que j’emprunte, ce qui indique que je progresse en tant que flâneuse. Mais c’est encore difficile par moments. Je fais le plus souvent de longues promenades lorsque je suis préoccupée par quelque chose d’important. C’est dans ces moments-là, quand je suis complètement perdue dans mes pensées, qu’il est plus facile de marcher sans itinéraire préétabli.
 

ER Avez-vous des conseils pour les flâneurs débutants ?
 

EO Mon amie Laura Teusink, que je cite dans le livre, est une excellente professeure de yoga et de méditation. Elle conseille d’écouter le rythme de vos pas lorsque vous commencez à marcher, pour vous détacher de vos pensées et écarter votre envie de planifier votre destination. Je commence toutes mes promenades en utilisant sa méthode : j’écoute chacun de mes pas, je les rythme, et puis je me perds dans ce rythme.

De plus, ne vous mettez pas trop de pression sur les épaules. Si vous vous surprenez en train de vérifier une carte pour vous situer, c’est tout à fait normal. En fait, je vous encourage à le faire de temps en temps, juste pour vous orienter.

Un homme avec des fleurs tropicales marchant dans les rues de New York
Fort Greene, Brooklyn, New York.    
Dalvík, Islande.    
Fort Greene, Brooklyn, New York.    
Dalvík, Islande.    

ER Écoutez-vous de la musique pendant vos promenades ?
 

EO Ça dépend des jours. Je marche sans musique autant qu’avec mes écouteurs. Depuis peu, j’aime beaucoup la pianiste et chanteuse Hania Rani. Ses chansons sont très vivantes et sont une excellente trame sonore pour les promenades de fin de printemps. Je pense que les bruits d’un quartier ou d’une rue sont très importants quand on flâne. On veut tout entendre, alors réservez les distractions musicales pour un endroit que vous connaissez par cœur.
 

ER Quel flâneur célèbre vous a le plus inspirée ?
 

EO Si nous parlons d’un personnage historique, le nom du célèbre écologiste Aldo Leopold me vient à l’esprit. Son livre Almanach d’un comté des sables peint avec simplicité le portrait des terres qu’il possédait près de Baraboo, dans le Wisconsin où j’ai grandi. J’ai visité ce lieu quand j’étais au premier cycle du secondaire, et j’ai vu l’endroit précis qu’il a si joliment décrit, ce qui fut pour moi une sorte d’éveil. Je dirais que c’est l’une de mes premières inspirations littéraires, alors que je découvrais mon propre goût pour l’écriture.

Le terrain moussu d'Islande
Péninsule de Snæfellsnes, Islande.    

ER Pendant le confinement, la marche vous a-t-elle aidée à faire le vide ?
 

EO Ces temps-ci, la flânerie est pour moi un incroyable moyen d’évasion. Avant la pandémie, je m’entraînais pour une épreuve de femmes fortes et mon niveau d’activité était beaucoup plus élevé : l’entraînement était une véritable thérapie pour moi. Après les consignes de confinement, je me suis sentie très claustrophobe et mes muscles réclamaient une certaine activité. En fait, j’ai incorporé une dose de flânerie à mes joggings réguliers, et je vous le recommande fortement.

Pendant une promenade contemplative, la chose la plus importante est de reconnaître le moment où vous dérivez et où vous vous éloignez de ce qui occupe votre champ de vision. La respiration est un outil important. En préparant le livre, j’ai consulté à ce sujet Ellie Burrows, cofondatrice de MNDFL. Elle avait plusieurs conseils pour aider à rester présent, mais mon préféré était de se rappeler que la méditation ne consiste pas à se débarrasser des pensées, mais à les organiser. Elle recommande d’avoir un mantra chaque fois que l’on se sent dériver, un conseil que je mets moi-même en pratique. Le mien est « Regarde à droite » ; une action physique qui détourne souvent mon attention de toute pensée envahissante, tout en m’ouvrant un nouveau champ de vision.

Dalvík, Islande.    
Arbres dans le quartier Clinton Hill de Brooklyn, New York
Clinton Hill, Brooklyn, New York.    
Dalvík, Islande.    
Clinton Hill, Brooklyn, New York.    

ER Dans votre livre, vous parlez de vacances par l’entremise de Google Earth. Quelles sont certaines de vos destinations virtuelles ?
 

EO Je dirais que je « visite » l’Islande environ une fois par semaine. À ce jour, c’est mon endroit préféré dans le monde, c’est également là-bas que j’ai approfondi ma pratique de la flânerie, en prenant conscience du mouvement et de l’activité dans un espace naturel d’un calme absolu.

Ce qu’il faut savoir à propos des flâneries virtuelles, c’est qu’il ne s’agit pas simplement de cliquer sur des endroits au hasard et de regarder de belles images. Vous devez également faire des recherches sur les villes et les collectivités que vous visitez par écran interposé. Errer sans but est une chose, mais cette tâche consiste davantage à vous perdre dans l’exploration d’un lieu lointain. J’aime choisir une ville islandaise dont je n’ai jamais entendu parler et en consulter le site web. Ce faisant, j’ai ajouté tellement de musées et de site régionaux à ma liste de souhaits de voyage. Le plus beau, c’est que si vous parvenez à vous y rendre un jour, l’endroit tiendra une place particulière dans votre mémoire et dans votre cœur.

Une rivière dans le parc national de Þingvellir, Islande
Parc national de Þingvellir, Islande.    

ER Si vous pouviez explorer un endroit à pied demain, où iriez-vous ?
 

EO Il y a tellement d’endroits sur ma liste que je n’ai pas encore visités (les îles Féroé, le Groenland, l’Alaska, Porto Rico, Copenhague), mais le seul endroit que je voudrais redécouvrir avec le regard d’une flâneuse est un parc près de chez moi, dans le Wisconsin, appelé Natureland. J’y ai tellement de souvenirs d’enfance, mais j’aimerais recouper ces cartes mentales avec de nouveaux détails, de nouveaux sons, de nouvelles images. Je pense qu’il est important de revoir les endroits les plus familiers avec une nouvelle perspective.