Laurent Duvernay-Tardif garde de grandes idées
S’il a été proclamé « joueur le plus intéressant de la NFL » par le Kansas City Star, c’est que Laurent Duvernay-Tardif a bien fait ses devoirs. Seul footballeur actif de la ligue à obtenir un doctorat en médecine, le garde pour les Chiefs de Kansas City est le deuxième Québécois dans l’histoire à fouler le gazon synthétique au Super Bowl, au sein de l’alignement régulier d’une équipe. Dans quelques jours, le Doc, tel que baptisé par ses coéquipiers, disputera à leurs côtés le match le plus important de sa carrière, contre les 49ers de San Francisco. Sous le casque et l’épaulière du gaillard de 28 ans, une détermination aussi solide que le trophée Vince-Lombardi et des idées de grandeur qui surpassent largement son 1,96 m.
enRoute Lorsque vous poserez le pied sur le terrain du Hard Rock Stadium le 2 février, tandis que des centaines de millions d’yeux seront rivés sur vous, à quoi allez-vous penser ?
Laurent Duvernay-Tardif Toute mon énergie sera dédiée à rationaliser la situation et assimiler le Super Bowl à un match régulier. J’aurai à effectuer les mêmes blocs que j’ai effectués lors des 17 dernières semaines de la saison, donc à ce moment-là, je vais miser seulement sur ce que je serai en mesure de contrôler. Me concentrer sur ce que j’ai à faire sur le terrain et oublier le cirque médiatique qui l’entoure. Le Super Bowl est si gigantesque que l’événement transcende le football, et même le sport en général, donc il faut être en mesure de faire abstraction de l’ampleur du phénomène. La seconde où j’ai été repêché par les Chiefs en 2014, ma motivation était d’accéder au Super Bowl. Six ans plus tard, je suis à la porte du Hard Rock Stadium. Ne reste plus qu’à gagner.
ER À quelques jours de l’ultime match, quel état d’esprit règne au sein des Chiefs ?
LDT Au cours des dernières semaines, on a développé une cohésion d’équipe qui se traduit par une intensité, cette espèce de désir de gagner tout en restant posés, qui nous aide à faire face à l’adversité. La façon dont on a été capables de garder notre sang froid lors des deux derniers matchs et d’activer la machine offensive pour remonter la pente en marquant toucher après toucher, comme si rien ne pouvait nous arrêter, c’est vraiment un sentiment satisfaisant. Ça renforcit les liens d’équipe. Tout le monde est sur la même page. On est 53 joueurs absorbés, concentrés à étudier l’adversaire, mais on se donne l’opportunité de s’amuser et d’insuffler une touche personnelle dans nos jeux. Coach (Andy) Reid mise d’ailleurs beaucoup sur l’individualité de chaque joueur, sur cette touche personnelle qui fait que collectivement on performe mieux, parce que c’est plus détendu sur le terrain, qu’on anticipe davantage, ce qui fait qu’on reconnaît les scénarios et qu’on communique plus efficacement.
« Compartimenter, c’est ma devise, ce à quoi je carbure. Quand on fait quelque chose, il faut être à 100 % dans l’instant présent, créer une bulle autour du but qu’on cherche à atteindre pour faire abstraction du reste. »
ER Comment canalisez-vous votre énergie entre le football et la médecine ?
LDT « Canaliser » est un mot que j’utilise beaucoup. Quand j’étais au cégep et à l’université, je jouais au football non pas pour faire la NFL, mais pour canaliser mon trop-plein d’énergie justement. Je suis quelqu’un d’hyperactif avec plein de projets en tête. J’ai toujours cru que d’avoir plusieurs différentes sphères d’intérêts et de les cultiver me permettait d’avoir un meilleur équilibre de vie et de mieux performer dans chacune d’entre elles. Par exemple, lorsque j’ai entamé mes études à McGill, j’ai arrêté le football. J’étais intimidé par la médecine et sa charge de travail. Rapidement, le football m’a manqué, comme si j’en avais besoin, et j’ai commencé à avoir de moins bonnes notes. J’ai demandé à l’entraîneur de me reprendre et malgré un horaire plus chargé, j’arrivais à mieux performer, à me consacrer à 100 % au sport et à l’étude, le moment venu. Je me suis fait la promesse de m’investir dans les deux jusqu’au plus haut niveau. Quand je suis entré dans la NFL, j’étais certain que j’allais terminer ma médecine. J’ai obtenu mon doctorat en 2018, en huit ans plutôt que quatre, mais c’est probablement mon plus gros accomplissement à ce jour.
ER Entre le football, la médecine et vos autres engagements, ressentez-vous le besoin de compartimenter votre vie ? Et fonctionnez-vous avec des objectifs à court, ou plutôt long terme ?
LDT Compartimenter, c’est ma devise, ce à quoi je carbure. Quand on fait quelque chose, il faut être à 100 % dans l’instant présent, créer une bulle autour du but qu’on cherche à atteindre pour faire abstraction du reste. Je n’ai jamais rêvé être dans la NFL ou même gagner le Super Bowl. Au cégep, mon objectif en jouant au football était de canaliser mon niveau d’énergie. À McGill, une fois la formation rejointe, c’était de devenir le meilleur joueur possible. Lorsque des recruteurs m’ont repéré lors de ma quatrième année de médecine, mon objectif était désormais de me faire repêcher, ensuite c’était d’avoir un contrat, et ainsi de suite. Quand je me fixe des buts quantifiables, ça fait en sorte que je ne peux pas me lever un matin et décider de me « pogner le beigne », parce que mon objectif est juste-là, devant moi, tandis que lorsqu’on se fixe des objectifs à très long terme, ça peut devenir démotivant d’une certaine façon.
Le questionnaire
- Essentiel en cabine Un casque antibruit.
- Voisin de siège de rêve Hah ! Quelqu’un de sympathique avec qui je peux avoir une conversation divertissante, mais qui toutefois capte le signal lorsque je décide de me plonger dans mon livre.
- Premier souvenir de voyage En 2000, avec mes parents et mes deux sœurs, lorsqu’on a entamé un long périple sur un tout petit voilier. On a fait l’école sur le bateau en longeant la côte est jusque dans les Bahamas et les Caraïbes. Ça m’a permis d’apprendre les rudiments de la voile et de la navigation. Ça m’a formé en tant qu’humain.
- Voyager a le pouvoir de… Tisser des liens et provoquer des rencontres.
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