À la recherche de la cité perdue de la Colombie
La région colombienne de Santa Marta s’ouvre tranquillement aux touristes et révèle un trésor caché : les ruines d’une ancienne ville de 1 300 ans.
Après une journée de marche dans la jungle puis sur des crêtes de la Sierra Nevada de Santa Marta colombienne, nous arrivons à notre premier camp : quelques dortoirs et installations avec toits de tôle rouge, dispersés de part et d’autre d’un ruisseau et reliés par un pont suspendu. Pedro, notre guide, nous indique qu’il y a une source juste derrière, avant de nous donner congé pour l’après–midi. « Je m’attendais à pire, honnêtement », me confie Thibault, un grand Français athlétique d’une trentaine d’années qui, comme moi, transpirait à peine pendant cette première section de l’aventure. Il parle bien du trajet, non du campement : le lieu sauvage et la convivialité du groupe nous donnent plus l’impression d’être dans un camp de vacances pour millénariaux en manque de déconnexion qu’en expédition dans la Colombie profonde, aux confins d’une région contrôlée par les forces armées révolutionnaires du pays (FARC) jusqu’en 2016, année où un traité de paix signé avec le gouvernement a mis fin à 50 ans de conflits et a permis aux rebelles de sortir de l’ombre de la jungle et aux intrépides voyageurs d’y entrer. Je cale une bière froide avant de me lancer en hurlant d’une falaise de quelques mètres dans le bassin d’eau fraîche.
J’avoue que je suis d’accord avec Thibault : pour voir la Colombie, j’ai choisi d’emprunter un chemin encore peu fréquenté, du moins pour le moment, et dans tout ce que j’ai lu pour me préparer à cette randonnée, on m’a vendu quatre jours d’ascension hyperexigeante. Ma destination finale, la Ciudad Perdida, a longtemps été cachée à la population extérieure par les communautés autochtones locales, qui la considèrent comme la terre sacrée d’où origine la vie et comme le lieu de repos de leurs ancêtres. Elle a été dévoilée au monde extérieur par hasard par des chasseurs de trésor colombiens pendant les années 1970, m’explique Pedro, et a fait l’objet de raids quand s’est propagée (et avérée) la rumeur selon laquelle on y trouverait de l’or. Le lieu a depuis longtemps été nettoyé de toute trace de métal précieux, mais le tourisme le transforme tranquillement en mine d’or d’un autre genre pour la population locale. Les touristes comme moi qui s’enorgueillissent de visiter des destinations hors des sentiers battus trouvent leur compte ici et nous sommes relativement peu nombreux : la Ciudad Perdida est visitée par moins de 30 000 marcheurs par année, contre un million pour la Mecque des ruines, le Machu Picchu. Ici, on a encore l’impression de découvrir un trésor.
La difficulté d’accès ajoute de la valeur à une destination : je veux des jours de marche ardue sur des chemins escarpés ; si je pouvais atteindre les ruines en train, ça n’aurait pas le même effet. Et même si les options de voyage vers Teyuna commencent à se multiplier, pour répondre à une demande de voyageurs attirés tant par l’absence de foule que par le climat local plus sécuritaire, n’entre pas qui veut ici : l’accès ne se fait qu’avec des guides autorisés et formés comme Pedro, que les autres guides saluent sur notre passage : « Pedrito ! Pedrito ! » Je suis ici d’abord pour le prestige d’avoir franchi son tracé impitoyable (qui commence au jour 2, apparemment), pour le chemin davantage que pour la destination. Enfin, c’est ce que je pensais.
La deuxième journée, je finis par me demander ce que je suis venu faire ici. Une bonne expédition comprend toujours ce moment où on maudit cette propension qu’on a de se mettre dans des situations désagréables. Dans mon cas, ce moment arrive une fois que j’ai sué les trois couches d’écran solaire que j’ai appliquées depuis le lever du jour. Les nuages de poussière que je soulève à chaque pas s’agglutinent sur mes mollets pendant la montée escarpée sur le sentier rouge et orange vif, meuble et sec, qui menace de s’effondrer à tout moment et de nous envoyer glisser des mètres plus bas en emportant d’autres marcheurs avec nous (maigre réconfort : il paraît que marcher dans cette section pendant la saison des pluies équivaut à tenter de grimper une glissade d’eau). J’échange un regard avec Thibault en le dépassant : tous deux moins arrogants tout à coup, rouges, huileux et haletants, nous ravalons nos paroles d’hier.
Pedro Patiño, guide d’aventure, apprécie un moment de repos.
Pedro me sort de mon tourbillon mental en pointant le centre de la vallée, indiquant l’emplacement de sa propre ferme, où il fait pousser du café : comme plusieurs, il cumule les emplois d’agriculteur et de guide touristique. Depuis 2006, le gouvernement subventionne l’industrie du tourisme en fournissant de l’aide aux communautés, formant chefs cuisiniers et guides et injectant de l’argent dans les projets touristiques de la région. L’objectif est d’inciter les habitants à gagner leur vie de manière légale (plutôt que de cultiver la coca), mais aussi d’augmenter les perspectives d’emploi. Ainsi, un jeune Colombien qui vend des rafraîchissements dans un petit kiosque sur le long du sentier peut maintenant obtenir un emploi comme cuisinier dans les refuges ou dans une cuisine d’un restaurant local. Dans la Sierra Nevada, presque tous dépendent du tourisme, m’explique Pedro.
Je brosse la vallée du regard et n’arrive qu’à acquiescer en silence : je suis de moins en moins capable de tenir une conversation.
Debout depuis cinq heures le troisième jour, riz, œufs et café local avalés, je me trouve enfin devant un « escalier » en pierres chambranlantes de plus de 1200 marches, le dernier obstacle qui me sépare de la Cité perdue. Je le monte quasiment à la course, excité par la proximité de l’objectif. Les premières terrasses, larges de quatre ou cinq mètres environ, sont couvertes par une épaisse voûte de verdure. Mais l’endroit se révèle quand je sors enfin de la végétation et que tous les plateaux se déploient dans l’espace dégagé, comme une gigantesque poupée russe architecturale.
En montant quelques marches de plus, j’arrive à avoir une vue d’ensemble sur la cité, qui donne l’impression que des terrains de football circulaires auraient été érigés sur des pilotis ou seraient descendus du ciel. Je dois me rappeler que tout ça a bien été fait d’une main d’homme. Quand je redescends vers les plateaux adjacents, la végétation luxuriante m’enveloppe, et je perds conscience de l’immensité et de la complexité de la structure.
Deux heures à sauter d’une terrasse à l’autre me donne l’impression d’à peine égratigner la surface. Il existe 250 de ces terrasses, au total. Construites autour de l’an 650 de notre ère, elles composaient divers secteurs d’une ville ayant abrité jusqu’à 2000 personnes. Depuis, les nations wiwa, kogie, arhuaco et kankuamo participent toujours à l’entretien du site, fermé tous les mois de septembre depuis l’ouverture des ruines au tourisme il y a une quarantaine d’années, pour la tenue de cérémonies visant à maintenir l’équilibre spirituel des lieux. Des familles kogies vivent d’ailleurs dans des cabanes rondes, en bois taillé grossièrement et au toit de feuilles de palmier, sur quelques–uns des plateaux ; elles nous regardent passer, de loin, sans trop interagir avec nous.
La Ciudad Perdida force chez moi une fascination béate : c’est incroyable d’imaginer des centaines, voire des milliers de personnes parcourir les éreintants kilomètres que je viens de traverser en transportant des outils et des matériaux pour ériger une construction aussi complexe dans un endroit aussi sauvage et reculé. Le réseaux de canaux d’aqueduc, les réservoirs, les murs de soutènement faits de pierres empilées et les sentiers laissent entrevoir une formidable organisation, le tout construit 800 ans avant que ne soit posée la première pierre du Machu Picchu. En plus, ce que je contemple n’est qu’une fraction du site : plus de 80 % de celui–ci est caché sous une épaisse végétation.
L’envoûtement ressenti est exacerbé par l’aspect exclusif de l’expérience : peu de gens ont le privilège de poser les yeux sur ces ruines, aussi me dois–je de leur faire honneur. Même si le chemin à parcourir m’attirait plus que la destination, en redescendant les marches, je comprends ce qui confère son caractère sacré à la Ciudad Perdida. Elle témoigne que l’ingéniosité humaine peut être plus grande que nature… et parfois même, oui, un peu magique.
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