Une jeune danseuse de flamenco se tient immobile sur une planchette de bois, sa jupe noire à froufrous ondoyant dans la douce brise printanière. Le guitariste et le chanteur qui l’accompagnent attendent sur le bord de leur chaise son signal sous le regard des touristes ravis réunis sur la place d’Espagne, à Séville. Immense demi–cercle bordé d’édifices et balustrades au carrelage soigné, cette place a été conçue pour l’Exposition ibéro–américaine de 1929, en hommage à la domination culturelle espagnole. Soudain, la danseuse rompt le silence et se met à taper du pied sur un rythme de plus en plus rapide.
Le guitariste aux yeux bleus et à la crinière châtain clair, Dennis Duffin, est un vieil ami, astrophysicien torontois devenu as du flamenco. Un Canadien qui éblouit le public des rues du berceau de cet art peut passer pour une anomalie, mais la présence de Dennis sur la scène flamenca sévillane n’a rien d’inhabituel. En fait, diversité et flamenco se frôlent depuis le début. Il y a 200 ans, le flamenco tel qu’on le connaît s’est épanoui à partir des traditions musicales roms, espagnoles et nord–africaines présentes en Andalousie. Le mariage fougueux d’une danse de passion et de percussion, d’un jeu de guitare fulgurant et de paroles tristes racontant les histoires des communautés marginalisées de la région est vite devenu la forme d’expression artistique emblématique de l’Espagne. Importé à Hollywood dans les années 1940 par des danseuses étoiles comme Carmen Amaya, le flamenco est encore une représentation éculée, mais étonnamment précise, des Andalous : exubérants, hauts en couleur, ardents.