Ça débute à la lueur de lampes de poche, avant le premier appel du muezzin. L’Épée d’Orion brille encore dans le ciel. La masse sombre de l’Anti–Atlas, au Maroc, se détache, tachetée de vert. Ses montagnes virent au rose dans l’aube et Orion disparaît. L’œuvre humaine semble petite et éphémère dans l’immense vallée.
Tout près de Taliouine, à environ quatre heures de route au sud de Marrakech, les hommes plantent les cormes de crocus et travaillent les champs, mais la récolte du safran, à la fin de l’automne, est surtout affaire de femmes. Quatre hommes assis sur des caisses boivent de petits verres de thé à la menthe en regardant cinq femmes se déployer sur des parcelles tirées au cordeau qui font presque la taille de deux terrains de foot. Pliées en deux, elles avancent de rang en rang en bavardant. Quand la conversation cesse, j’entends le petit bruit que font les fleurs fermées qu’on arrache de leurs tiges vertes. Ces fleurs poussent si vite que, même lors d’une mauvaise année, il est difficile de ne pas les piétiner. Une femme me dit qu’une heure après avoir fait le tour du champ elle en trouve de nouvelles.