Les ornithologues amateurs s’envolent tous vers le marais de Caroni, à Trinité-et-Tobago

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Les plus éclatantes et remarquables plumes de cette île des Caraïbes ne défilent pas au carnaval : on les admire plutôt, tous les jours, au crépuscule, alors que les ibis rouges reviennent nicher au bercail.

Dans la lumière déclinante du coucher de soleil, le faible ronron d’un moteur se mêle au craquement, gargouillis et bruissements du marais. On se balade en pirogue, alors que notre large, longue et basse embarcation négocie branches immergées et berges peu profondes, avec une agilité surprenante. 

    Photo: Doug Greenberg

Au détour d’un virage, le silence du marais est rompu par une série de petits cris aigus provenant de mes douze compagnons ornithologues. Je tourne la tête juste à temps pour apercevoir une paire d’ailes vermillon disparaître dans le fourré. C’est le genre de moment  unique qu’on risque de rater si l’on cligne des yeux ; et je l’ai presque raté. Mais d’après ce qu’on me dit, il y aura d’autres occasions. Des milliers d’autres.  

S’étendant le long de la côte ouest de Trinité-et-Tobago, juste au sud de la capitale Port d’Espagne, se trouvent le marais de Caroni et le sanctuaire d’oiseaux de Caroni, une forêt de mangroves de 4855 ha, qu’il est facile de confondre avec une partie du fleuve Amazone, ce dont on ne vous tiendra pas rigueur. Les boas de Cook somnolent, lovés dans les hautes mangroves, tandis que des bancs de poissons à quatre yeux se faufilent à la fleur d’eau, si près qu’on peut presque les toucher. C’est plus de 180 espèces aviaires qui ont élu domicile dans le marais de Caroni, mais je suis venue sur cette île des Caraïbes pour voir son cœur: l’oiseau le plus aimé de Trinité-et-Tobago : l’ibis rouge, célèbre pour son éblouissant plumage rubis. 

    Photo: Bas Leenders

Pendant la journée, ces volatiles s’enfoncent au cœur du marais pour se nourrir des crustacés qui leur confèrent leur couleur. Mais, ils rentrent tous les soirs par milliers sur l’île, à Caroni, métamorphosant le paysage vert et luxuriant en amas écarlates changeants qui palpitent sous le soleil couchant. 

Allister Nanan nous guide prudemment à travers un passage étroit, son maniement de la barre relève de la seconde nature. De sa main libre, il nous pointe un caracara à tête jaune qui nous survole. Allister m’indique qu’il vient dans le marais, presque tous les jours, depuis trois décennies, en tant que guide pour les écotouristes ; mais l’engagement de sa famille en matière de protection de la zone humide – et de son symbole rouge – cet héritage remonte à plus de 80 ans. 

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    Photo: Shaueel Persadee

L’histoire débute avec son grand-père, Simon Oudit Nanan. Dans les années 1930, quand il était encore légal de chasser à Caroni, Simon travaillait comme guide pour les chasseurs. La plupart d’entre eux venaient pour la sarcelle à ailes bleues, mais certains, moins avisés, prenaient souvent l’ibis rouge dans leur ligne de mire. Comme Simon s’intéressait à l’observation et à la protection de l’ibis, et grâce au soutien de certains de ses clients les plus influents, il a réussi à faire signer une pétition, afin de créer le sanctuaire d’oiseaux de Caroni en 1948. Puis, il a passé le flambeau à son fils Winston, qui a pris la relève après la mort de son père, faisant œuvre de pionnier en matière d’écotourisme à Trinité-et-Tobago permettant à Caroni et à l’ibis rouge d’être connus mondialement. En 2015, le marais a été rebaptisé le sanctuaire d’oiseaux Winston Nanan Caroni en son honneur. 

Grâce à la famille Nanan, l’ibis rouge est strictement protégé par la loi; aujourd’hui, les chasseurs contrevenants doivent payer l’équivalent canadien d’environ 20 000 dollars par plume d’amende!C’est un développement dont Allister est fier et qu’il considère comme vital : « Si ce n’était pas de Simon, de Winston et des Nanan, est-ce que ces oiseaux seraient encore là?» 

    Photo: Amanderson Magrove
    Photo: Shaueel Persadee

À Tobago, l’île jumelle de Trinité, le photographe naturaliste en conservation de la faune Faraaz Abdool sirote son café matinal, en regardant la forêt touffue et feuillue qui enveloppe la ville endormie de Runnemede. M. Abdool dirige des excursions ornithologiques personnalisées pour les écotouristes à Trinité-et-Tobago. Il m’entretient des défis auxquels les oiseaux sont confrontés dans cet État réparti sur deux îles, comme le braconnage et l’empiètement des établissements humains sur leur habitat. La proximité de la ville fait partie de l’attrait de Caroni, qui se trouve à 30 min en voiture de Port-d’Espagne. Selon la famille Nanan, c’est le seul endroit au monde où l’on peut observer l’ibis sans avoir à voyager une journée ou plus pour l’admirer. 

Mais il s’agit d’un équilibre délicat : faire découvrir aux écotouristes des espèces d’oiseaux à couper le souffle, comme l’ibis rouge, comme moyen de lutter pour leur protection. Chaque fois qu’il le peut, M. Abdool termine ses circuits par une visite du Caroni –, c’est une expérience exceptionnelle. «Il n’existe aucun autre endroit où l’on peut voir des milliers d’oiseaux rouges éclatants voler devant soi », déclare-t-il. Repérer un ibis rouge est une expérience magique, mais en voir des milliers, c’est carrément céleste. 

    Photo: John Mangold

À 11 km de Caroni, notre pirogue s’engage dans un lagon tentaculaire qui s’enroule autour d’un îlot dense et arboré. À ma gauche, une volée de flamants roses aux couleurs rubis lustrent leurs plumes, sur les amas de vase exposés par la marée basse. Ces créatures aux longues jambes sont relativement nouvelles dans le marais;Allister a une théorie quant à leur provenance: elles sont apparues il y a 7 ans, quelques jours après la mort de son père. Pour notre guide, c’est un signe que la passion de Winston se perpétue dans l’endroit qu’il aimait le plus au monde. 

Au-dessus de nos têtes, les ibis ont commencé à arriver. De minuscules taches rouges se transforment en oiseaux cramoisis au long bec. Des dizaines d’entre eux descendent sur l’île, leur couleur devenant plus spectaculaire à la lueur du crépuscule. Alors que la brunante s’installe, je suis entourée de tant d’ibis que je ne peux tous les compter –, on s’approche des niveaux célestes. Allister me conseille de porter la main à mon oreille, et alors que je m’exécute, leurs doux gazouillis s’amplifient. C’est peut-être leur façon de dire merci à la famille Nanan de continuer de veiller sur eux, depuis toutes ces années. 

    Photo: Doug Greenberg

Sur place  

Où loger

Hôtel Kapok 

Cet hôtel boutique familiale est situé à la périphérie de la capitale, Port-d’Espagne. Il se trouve à une courte distance de marche du Queen’s Park Savannah, qui s’étend sur 105ha, ce qui fait du Kapok un excellent point de départ pour des promenades nocturnes dans les jardins botaniques luxuriants de Trinité et pour savourer des noix de coco fraîchement coupées au coucher du soleil. Faites une randonnée sur la colline Lady Chancellor,afin de profiter d’une vue imprenable sur la ville, adossée au golfe de Paria. 

Où manger

Roti au Hott Shoppe

Composé de viande et de pommes de terre au cari– résultat de l’influence indienne à Trinité-et-Tobago –, le roti est un plat dont les habitants du cru sont particulièrement fiers. Au HottShoppe, commandez ce burrito antillais sur du dalpuri (un pain plat à base de pois cassés) pour le parfait mélange d’épices, de saveur et de piquant. Les portions sont généreuses, alors venez à deux. 

Où boire

Tommy’s Brewing Company 

Bien que les lagers Carib et Stag, meilleures complices du farniente au soleil,soient les plus populaires de Trinité, John Tannous a voulu créer une brasserie locale pour que lui et d’autres amateurs de bière puissent avoir leur propre broue. Depuis 2018, Tommy’s Brewing– nommé en l’honneur de l’aventurier grand-père de M.Tannous– sert des bières artisanales et des aliments frais depuis son espace de MovieTowne. (La Tropical Pils Pirogue est un choix particulièrement rafraîchissant, après une journée dans le marais.)