Le 20 Victoria, meilleur nouveau resto canadien, nous fait quitter la voie de la restauration rapide et informelle issue de la pandémie.
Addresse
20 Victoria St.
Ville + Province
Toronto, ON
Réservations
Oui
Site web
«Affinity Fish, à Toronto, pour la truite, et Organic Ocean, en Colombie–Britannique, pour l’espadon ; la traçabilité est totale », lance notre joviale serveuse en tablier quand nous la cuisinons sur nos deux premiers plats. Avec trois fois rien, le crudo d’espadon au carvi, végétal avec son fenouil et sa sauce au vinaigre de xérès et aux amandes, et la délicate et sobre truite vapeur, avec radis, crème fraîche et pamplemousse rose, font mouche : nous mordons goulûment à l’hameçon. Comme elle est à la fois humble et super radieuse, il nous faut un petit moment pour allumer : la fille devant nous est la cheffe, Julie Hyde.
Si vous l’ignoriez – elle affinait ses talents dans les cuisines trois étoiles au Michelin de la Maison Lameloise, en Bourgogne, et d’Alain Ducasse at The Dorchester, à Londres –, cette future star originaire de Scarborough, en Ontario, dirige la cuisine du successeur tant attendu du Brothers Food & Wine (notre n° 8 en 2017). Ici, rideaux pleine hauteur, parquet à bâtons rompus et linge blanc éclatant ornent le vieil édifice de l’Imperial Life. Au bar à l’entrée, on sert des plats à la carte ; en salle et en terrasse, des menus dégustation de six services (avec accords mets–vins et suppléments en option).
L’équipe est réduite et la hiérarchie inexistante : au four et au moulin, cheffe et sous–cheffe (Jenna Reich) font de brefs allers–retours entre salle et cuisine. Du spectacle, tout le monde en convient. « Nous avons engagé des cuisiniers d’expérience qui ne rechignent pas à travailler en aire ouverte », explique Mme Hyde. Pourtant, l’hôte et associé Christopher White, qui d’ordinaire veille au grain en salle, est aux abonnés absents : un plongeur étant malade, il récure en cuisine.
La cheffe de salle, Danna Oleynikov, a une anecdote à raconter pour chaque cru accompagnant notre repas qu’elle puise à la palpitante carte des vins de la sommelière Toni Weber. Le riesling biodynamique du domaine Trapet, au fruité sec et minéral, est né quand la conjointe alsacienne d’un vigneron bourguignon renommé a décidé d’appliquer les méthodes de ce dernier à son terroir à elle. À l’image du restaurant, il est tout en retenue, mais électrisant, tranchant brillamment avec le gras du rustique « soufflé de la grand–mère », un sformato (flan) crémeux coiffé de caviar d’esturgeon et servi avec des petits pois al dente revenus dans un peu de beurre.
À l’autre bout de la salle, un couple d’amoureux et le trio d’amis à ses côtés se photographient à qui mieux mieux, alors que deux dames portant perles et Chanel demandent l’addition. Mme Reich nous présente un semifreddo salé–sucré (au miel), citronné et rehaussé de fines herbes. Là encore, la composition est simple, en partie, confie–t–elle, par nécessité (« je n’ai pas de sorbetière »). Elle a donc mélangé sucre, œufs et crème fouettée avec des citrons confits entiers et créé un plat si vivifiant que c’est à peine un dessert. Le résultat, comme tout au menu de ce meilleur nouveau restaurant canadien, est remarquable.
On a remarqué : un pichet aux fleurs fraîches que Julie Hyde cueille chaque jour en allant travailler, comme au temps de Brothers Food & Wine.