Un regard éthéré sur la Namibie et le Kenya

Le photographe Ken Geiger, lauréat du prix Pulitzer, à propos de ses photos de deux pays africains en infrarouge noir et blanc.

enRoute Pourquoi vouliez–vous faire des photos en Namibie et au Kenya ?

Ken Geiger Votre question me fait sourire, parce que je ne suis pas allé en Namibie dans l’intention de prendre des photos. C’était censé être une fête d’anniversaire pour ma petite amie. C’est une de ces destinations merveilleuses auxquelles on pense sans jamais faire l’effort de s’y rendre. On m’a dit qu’on y allait et d’organiser les réservations. Je suis heureux d’avoir obtempéré, car la Namibie est vraiment un pays fabuleux.

La Namibie et le Kenya commandent des états d’esprit différents. Certes, la Namibie possède un grand parc national, Etosha, avec une faune formidable. Mais c’est surtout ses grands espaces vierges que vous apprécierez. Si votre objectif principal est de voir des animaux africains et de vivre une expérience de safari traditionnel, je suggérerais le Kenya, la Zambie, le Botswana ou la Tanzanie. Ou encore, ajoutez une touche d’aventure en roulant jusqu’au parc Kruger en Afrique du Sud. Louez une voiture (petite à moyenne, ça ira et c’est peu coûteux) à Johannesburg et roulez cinq heures jusqu’au Kruger. Vous pouvez séjourner dans l’une des nombreux gîtes gérés par le parc. J’ai fait ça deux fois. C’est inoubliable !

21 mars 2019
 Photo d'un guépard debout sur un arbre dans la réserve nationale du Masai Mara, au Kenya

ER Y a–t–il des endroits précis ou des expériences particulières que vous recommanderiez à quelqu’un qui visite la Namibie ?

KG Le parc national d’Etosha, dans le nord–ouest, est incontournable et accessible avec une voiture ordinaire. L’observation des animaux dans les mares, même la nuit, depuis les camps, est un pur bonheur. Il faut voir les énormes dunes de sable rouge du désert de Sossusvlei (faisant partie du parc national de Namib–Naukluft, situé dans le sud du désert du Namib) – je retournerais au pays rien que pour les revoir. Et accordez–vous plusieurs jours dans le Sossusvlei. On a séjourné dans un gîte la première nuit puis on a campé deux nuits. On aurait facilement pu y rester deux jours de plus ! Swakopmund et Walvis Bay (la baie des baleines) sur la côte sont de chaleureuses haltes si vous souhaitez vous reposer du camping. La bière et les fruits de mer sont excellents ! Et pour vraiment faire l’expérience des dunes de sable géantes, de nombreuses entreprises vous proposeront la planche à sable.

 Guépard assis sous un arbre dans la réserve nationale du Maasai Mara au Kenya

KGUn conseil : assurez–vous de faire un saut au supermarché avant de prendre la route. Le manque de services dans les zones rurales donne son cachet particulier à la Namibie, mais cela signifie également que les dépanneurs sont presque inexistants et que les stations–service sont rares. On peut littéralement rouler pendant des heures sur certains des chemins de terre ruraux sans voir un autre véhicule, une maison ou une ligne électrique – rien qu’un paysage singulièrement vierge et spectaculaire.

Dunes de sable dans le parc national d'Etosha en Namibie

ER Qu’est–ce qui vous a poussé à photographier en infrarouge noir et blanc pour cette série ?

KG Quand j’étais à l’école, à l’époque de la pellicule, j’avais expérimenté avec l’infrarouge. Ce que ce procédé fait d’un ciel d’après–midi plein de nuages cotonneux est magnifique et un brin surréaliste. Le ciel bleu devient presque noir, faisant ressortir les nuages d’autant plus. Ce format me permet également d’explorer l’espace comme partie intégrante du paysage. En incluant un ciel spectaculaire dans la composition du paysage, je crois que les images en noir et blanc illustrent la splendeur des espaces infinis du Kenya et de la Namibie.

 Zèbres debout près des arbres dans le parc national d'Etosha en Namibie

ER Quels éléments cherchiez–vous lorsque vous avez composé ces plans ?

KG Lorsqu’on prend des photos en infrarouge, on doit réfléchir un peu au procédé. On ne peut pas concevoir simplement l’échelle de gris habituelle, car on n’a pas affaire à la lumière visible. Les caméras infrarouges capturent la partie invisible du spectre lumineux ; le filtre sur le capteur de mon appareil photo est de 830 nanomètres. Si vous le regardiez, il paraîtrait noir, car il coupe presque toute la lumière visible.

L’herbe verte, les feuilles et la lumière indirecte du soleil apparaissent presque blanches sur une image infrarouge noir et blanc. Les posemètres ordinaires ne vous donneront qu’un réglage d’exposition approximatif. C’est un support qui nécessite énormément d’essais et d’erreurs avant de pouvoir imaginer d’avance le résultat. Mais quand tout tombe finalement en place et que vous voyez apparaître l’image réussie sur l’écran de votre appareil, c’est magique, comme un cadeau du ciel.

 Bébé éléphant et sa mère au parc de la réserve nationale Maasai Mara au Kenya

ER Quelles sont les choses à faire et ne pas faire quand on commence dans ce format ?

KG Soyez patient ! Expérimentez ! Quatre–vingt–quinze pour cent de ce que je capte avec ma caméra infrarouge est à jeter. Mais on travaille pour les bijoux, et ça en vaut la peine. Au bout d’un certain temps, vous apprendrez à voir les images infrarouges se former à l’horizon. Vous observerez l’orage se former puis freinerez sec tout à coup, vous rangerez sur le bord de la route, sortirez la caméra infrarouge et chercherez l’exposition adéquate, en espérant ne pas perdre la lumière.

 Guépard marchant près d'un arbre dans le parc de la réserve nationale du Maasai Mara au Kenya

ER Quel est l’article indispensable qu’un photographe doit emporter dans ses bagages ?

KG Ayez toujours un trépied quelconque pour votre appareil photo ou votre portable. Le ciel nocturne en Namibie est phénoménal – il n’y a pas de pollution lumineuse, alors les étoiles sont sublimes. Je vous garantis que la première fois que vous verrez la Voie lactée s’élever au–dessus des dunes géantes dans le ciel du Namib, vous regretterez amèrement de n’avoir pas de trépied.

 Arbre au loin dans le parc national d'Etosha en Namibie

ER Vous êtes un maître de la photographie sur iPhone. Avez–vous des conseils à donner aux amateurs qui souhaitent améliorer leurs photos de voyage, même s’ils n’utilisent que leur téléphone ?

KG Tout d’abord, ne sous–estimez pas ce que vous pouvez faire avec l’appareil photo de votre téléphone. J’utilise le mien tout le temps. C’est un véritable appareil photo : utilisez–le comme tel. Prenez le temps de chercher des instants précis, sous forme de lumière ou de mouvement. Concevez d’abord une image ou une composition adaptée à la scène. Après la prise de vue, si une image nécessite un recadrage, un réglage des couleurs ou une netteté optimale, je procède au post–traitement dans une application pour téléphone appelée Snapseed. Il ne m’en faut pas plus avant de partager une image sur Instagram.

 Zèbre marchant dans la réserve nationale du Maasai Mara au Kenya