ER Quand on pourra à nouveau voyager, quels sont les endroits sur Terre que vous avez hâte de visiter ?
DSJ Je serai content de revoir Montréal, et de visiter mes parents à leur chalet au bord du lac. Mais pour l’instant, je ferme les yeux et je voyage en imagination.
ER Comment votre séjour dans l’espace a–t–il changé votre vision de la Terre ?
DSJ Il y a deux choses essentielles : tout d’abord, savoir à quel point notre espèce est vulnérable sur notre belle planète bleue qui flotte au milieu de nulle part, ça donne à réfléchir. L’atmosphère vue de l’espace, c’est comme une fine couche de brume collée à la surface de la Terre. Les océans semblent n’être qu’une simple couche de vernis. Il n’y a rien de plus: voilà l’improbable oasis perdue dans l’immensité où nous vivons tous. Et si on regarde aux alentours, la Lune n’est qu’une roche, le Soleil une boule de feu, les autres planètes sont inhabitables, mais il y a la Terre. Imaginez un alpiniste qui n’aurait qu’une seule corde : il aurait intérêt à en prendre soin. L’ampleur des défis environnementaux et politiques auxquels nous sommes confrontés est énorme, mais nous n’avons d’autre choix que de les relever.
Deuxièmement, le pouvoir de l’esprit humain est vraisemblablement sans limites. Je trouve ça merveilleux, la façon dont la communauté de la Station spatiale internationale, composée de pays qui il n’y pas si longtemps étaient encore en guerre, collabore dans l’espace et parvient à d’incroyables miracles technologiques. Il m’arrivait de me réveiller un dimanche, de me faire un café, d’aller contempler notre planète et de me trouver parfaitement à l’aise dans l’espace… et c’est grâce à la collaboration internationale et aux milliers de gens qui se sont creusé les méninges pour relever d’impossibles défis techniques. Il est là, le point positif : oui, les défis environnementaux, politiques et sociaux auxquels nous devons faire face sont immenses, mais ça ne m’inquiète pas parce que l’humain est capable de trouver des solutions, parce que la portée et la le pouvoir de l’imagination humaine sont sans limites, dès lors que nous travaillons tous ensemble.
ER Lors de notre entretien avant que vous décolliez, vous avez dit avoir particulièrement hâte de « voir notre belle planète flottant dans le velours noir de l’espace ». Est–ce que c’était à la hauteur de vos espérances ?
DSJ J’en ai encore des frissons. Nous étions encore dans le vaisseau spatial Soyouz et le moteur venait de s’éteindre après 10 minutes d’accélération constante pour atteindre la vitesse orbitale. Comme nous avions décollé au coucher du soleil, nous avions la face nocturne de la Terre devant nous à notre arrivée dans l’espace. J’ai regardé par le hublot de ma cabine entre deux directives et j’ai vu mon premier lever de soleil : la courbe de l’horizon terrestre vu d’en haut, les couleurs, les vestiges des lumières urbaines. C’était très émouvant de voir ainsi la Terre.
La vue quotidienne depuis la coupole de la station spatiale est devenue un jeu : j’essayais de deviner l’endroit de la Terre que je survolais. Quel était le continent? Le pays ? J’y suis devenu assez bon. Chaque continent a son allure propre; on reconnaît assez vite l’Europe, l’Asie et l’Afrique. On avait cette phrase qu’on se répétait à bord : « Si ça a l’air vraiment étrange et que tu ne penses pas y être jamais allé, c’est sans doute l’Australie. » J’adorais survoler le Canada ; il est très facile de reconnaître le Bouclier canadien, le Grand Nord, la forme de la côte Ouest, de la côte Atlantique et du Québec. L’une des choses les plus précieuses que j’ai rapportées de l’espace, c’est cette perspective.