Nous préconisons d’écouter ce qu’un astronaute a à dire à l’heure actuelle

L’astronaute canadien David Saint–Jacques a passé près de sept mois à bord de la Station spatiale internationale. En 2018, il nous avait accordé un entretien avant de décoller, mais il nous a semblé à propos de lui reparler. Depuis sa maison à Houston, où il pratique la distanciation physique avec sa famille, il nous a donné des tuyaux en matière de confinement et nous a parlé des voyages en imagination et de la façon dont il voit le monde depuis qu’il y est de retour. Et ça nous a grandement réconfortés.

Une photo en noir et blanc de David St. Jacques, assis avec un micro
   Photo : Michel Pinault

enRoute Tout juste avant votre décollage en décembre 2018, nous vous avions demandé ce que vous emportiez dans l’espace. Avez–vous fini par emporter le cube Rubik offert par vos parents ?
 

David Saint–Jacques Oui, et il est revenu avec moi à bord du vaisseau cargo de SpaceX. Je l’ai chez moi, et un petit bout de velcro, grâce auquel je le fixais au mur de ma cabine d’équipage, y est encore collé. À bord de la Station spatiale internationale, on avait chacun une petite chambre à coucher de la taille d’une cabine téléphonique, avec un sac de couchage fixé au mur.
 

ER Votre confinement à la maison est–il comparable à votre expérience à bord de la Station spatiale internationale ?
 

DSJ Il y a une grande différence : dans l’espace, j’étais seul avec les membres de l’équipage, tandis que maintenant je suis avec ma famille, ce qui est bien plus agréable! Nous avons trois jeunes enfants, tous au primaire, alors nous devons faire un peu d’enseignement à domicile. Ma femme est médecin de santé publique, elle est donc très occupée.

27 mars 2020
La vue de l'Égypte depuis l'espace (à gauche), David St. Jacques et ses coéquipiers revenant sur Terre (à droite)
   Photo : David Saint-Jacques, Agence spatiale canadienne/NASA (gauche); NASA/Bill Ingalls (droite)
Le livre "Le satellite de l'ombre jaune" flottant à la Station spatiale internationale
   Photo : Agence spatiale canadienne/NASA
La vue de l'Irak depuis l'espace
   Photo : David Saint-Jacques, Agence spatiale canadienne/NASA

ER Vous avez établi le record du plus long vol spatial par un Canadien, soit 204 jours. Avez–vous des suggestions quant à la manière non seulement de survivre, mais de s’épanouir en confinement ?
 

DSJ Oui, certainement. J’ai quatre conseils à vous donner :

  1. Restez informé et soyez conscient des risques, mais ne vous laissez pas abattre. Il est bon de connaître les dangers, mais il ne faut pas trop s’en faire. Évitez la surcharge d’information. Au bout d’un moment, il faut cesser d’écouter les nouvelles et de s’inquiéter. Décoller dans la fusée et vivre à bord de la station spatiale est extrêmement dangereux, mais les astronautes ne peuvent pas se laisser envahir par la peur. Il faut continuer à vivre ! On ne perd pas de vue le risque, mais on l’examine avec calme et logique, on l’évalue, et puis on le range dans un tiroir.

  2. Ayez une routine. Nous savons tous qu’avoir une routine est important pour les enfants, mais ce l’est aussi pour les adultes. C’est juste que, la plupart du temps, nos routines nous sont imposées par nos emplois et nos vies. En confinement, on est laissé à soi–même. La routine, il faut se l’imposer : bien manger, s’assurer d’assez dormir, faire de l’exercice, prendre le temps de se divertir et en réserver pour le travail, la famille et les amis. Dans la station spatiale, la confusion venait de ce qu’on se demandait : « Est–ce que je vis dans mon lieu de travail ou est–ce que je travaille à partir de chez moi ? C’est quoi, au juste ? » On est limité au vaisseau spatial, qui tient lieu de tout : gymnase, maison, laboratoire, bureau. Il faut imaginer qu’on se déplace du bureau à la maison, ou au terrain de jeu, même si on reste au même endroit. Dans l’espace, on avait tous les jours 16 levers et 16 couchers de soleil, c’est–à–dire aux 90 minutes ! C’était parfaitement abstrait, et on recréait mentalement le cycle de 24 heures, de même que les jours de semaine et les week–ends. Cette façon de décider arbitrairement du temps me semble bien utile dans l’actuelle période de confinement.

La vue de Montréal depuis l'espace
   Photo : David Saint-Jacques, Agence spatiale canadienne/NASA
  1. Gardez une vue d’ensemble tout en vous concentrant sur la tâche immédiate. Dans l’espace, certains jours étaient difficiles, et il pouvait m’arriver de me demander si ça en valait la peine. Mais je me recentrais quand je repensais à la vue d’ensemble, à la perspective globale. Par exemple : par le hublot, dans l’espace, la perspective globale, c’est la Terre. À l’heure où nous sommes tous en confinement volontaire, il faut se rappeler pourquoi et pour qui nous faisons ça : nous nous protégeons nous–mêmes ainsi que la société. Mais en même temps, concentrez–vous sur la tâche immédiate ; sur ce que vous faites dans l’instant. À bord de la station spatiale, il y a un graffiti qu’un astronaute a laissé il y a des décennies : « Il n’y a rien de plus important que ce que tu fais maintenant. » Ça m’a beaucoup aidé ; ça m’a empêché de songer à toutes les choses qui me manquaient, qui me faisaient de la peine ou que j’aurais aimé faire.

  2. Concentrez–vous sur les autres, pas sur vous–même. Dans l’espace, pendant plusieurs mois, nous n’étions que trois à bord de la station. Ces deux personnes étaient les seuls êtres humains proches de moi, alors nous devions veiller les uns sur les autres. Ce qui voulait dire de ne pas laisser de conflits prendre racine, de présenter promptement ses excuses, de réparer ses erreurs, de s’exprimer clairement, de s’enquérir des préférences d’autrui et de demander sa permission. Ce sont des civilités élémentaires, mais qui sont encore plus essentielles quand on est confiné en petit groupe.
     
    En mission spatiale, il y a de nombreuses sources de danger, mais les conflits relationnels ne sont pas à négliger. Il faut donc penser aux autres et respecter l’intimité de chacun. Tout le monde, même le fêtard le plus sociable, a besoin de moments d’isolement, et c’est important d’y être sensible. En se tournant vers les autres, on s’oublie, on cesse de se regarder le nombril. Gardez le contact, même avec vos collègues. Si possible, au lieu de répondre à un courriel, prenez le téléphone. Nous l’avons beaucoup fait dans l’espace: nous avions un téléphone IP, je le décrochais au lieu de répondre par courriel, pour avoir un certain contact humain. Vous ne pouvez pas voir vos collègues qui traînent autour de la cafetière dans l’immédiat, mais vous devez essayer de maintenir ce rapport.

Vue de l'Iran, de l'Irak et de la Turquie depuis l'espace (à gauche), vue de l'Italie et des satellites depuis l'espace (à droite)
   Photos : David Saint-Jacques, Agence spatiale canadienne/NASA
Photo noir et blanc de David St. Jacques courant au Johnson Space Center de la NASA
   Photo : Agence spatiale canadienne/NASA
La vue de Terre-Neuve et de Saint-Pierre-et-Miquelon depuis l'espace (à gauche), le Canadarm2 (à droite)
   Photos : David Saint-Jacques, Agence spatiale canadienne/NASA

ER Génial, merci de ces conseils! Vous devez être le meilleur compagnon de confinement.
 

DSJ Ah ! Je ne dirais pas que j’ai un don particulier. C’est juste que j’en ai fait l’expérience et que j’ai tiré des leçons de mes erreurs. C’est une chose que les astronautes doivent maîtriser, ça fait partie de notre formation, ça fait partie du profilage psychologique pendant le recrutement, et nous y consacrons beaucoup d’efforts. Il y a bien des aspects d’une mission spatiale pour lesquels on ne peut pas se préparer : la vue de la Terre, le danger toujours imminent, l’apesanteur. Mais on peut se préparer psychologiquement pour le confinement et l’isolement, et c’est un travail qui se fait sur plusieurs années. On joue à l’astronaute, en quelque sorte : on passe des semaines dans des sous–marins ou des cavernes en compagnie de quelques personnes, mais séparés de nos proches. De plus, pendant l’entraînement avant une mission spatiale, on vit dans nos valises, toujours en déplacement d’un centre d’entraînement à un autre, aux États–Unis, en Russie, au Japon, au Canada. Quand on arrive enfin à la station spatiale, ça ne pose pas problème parce qu’on s’y est tellement préparé.
 

ER Que faites–vous pour garder le contact et rester motivé à la maison ?
 

DSJ J’ai la chance d’avoir des amis aux quatre coins du monde, y compris dans des endroits qui ont été très durement touchés. Je m’efforce de maintenir le contact avec eux et ça me donne une perspective plus directe de la situation mondiale. Je reste en contact avec mes parents, la famille et les amis au Canada. Je me souviens d’avoir passé beaucoup de temps dans la coupole de la station à contempler la Terre, en admiration devant ce spectacle : la mince couche bleue de l’atmosphère, la rotation gracieuse de la Terre dans le noir velouté de l’espace, avec toute cette vie à sa surface. Et me voici qui regarde par la fenêtre, et c’est la même planète ; pourquoi ne pas la contempler avec la même admiration ? Seule la perspective change. Nous sommes tous dans l’espace; nous sommes tous des cosmonautes dont le vaisseau mère, la Terre, flotte en orbite autour du Soleil.

« Je me souviens d’avoir passé beaucoup de temps dans la coupole de la station à contempler la Terre, en admiration devant ce spectacle : la mince couche bleue de l’atmosphère, la rotation gracieuse de la Terre dans le noir velouté de l’espace, avec toute cette vie à sa surface. Et me voici qui regarde par la fenêtre, et c’est la même planète ; pourquoi ne pas la contempler avec la même admiration ? Seule la perspective change. Nous sommes tous dans l’espace; nous sommes tous des cosmonautes dont le vaisseau mère, la Terre, flotte en orbite autour du Soleil. »

La vue de Montréal et des environs depuis l'espace
   Photo : David Saint-Jacques, Agence spatiale canadienne/NASA
Progress ravitaillement de l'engin spatial (let), la mer Adriatique, avec l'Italie et le Monténégro au premier plan depuis l'espace (à droite)
   Photo : Agence spatiale canadienne/NASA (gauche) ; David Saint-Jacques, Agence spatiale canadienne/NASA (droite)
Une vue spatiale du volcan Raikoke
   Photo : David Saint-Jacques, Agence spatiale canadienne/NASA

ER Quand on pourra à nouveau voyager, quels sont les endroits sur Terre que vous avez hâte de visiter ?
 

DSJ Je serai content de revoir Montréal, et de visiter mes parents à leur chalet au bord du lac. Mais pour l’instant, je ferme les yeux et je voyage en imagination.
 

ER Comment votre séjour dans l’espace a–t–il changé votre vision de la Terre ?
 

DSJ Il y a deux choses essentielles : tout d’abord, savoir à quel point notre espèce est vulnérable sur notre belle planète bleue qui flotte au milieu de nulle part, ça donne à réfléchir. L’atmosphère vue de l’espace, c’est comme une fine couche de brume collée à la surface de la Terre. Les océans semblent n’être qu’une simple couche de vernis. Il n’y a rien de plus: voilà l’improbable oasis perdue dans l’immensité où nous vivons tous. Et si on regarde aux alentours, la Lune n’est qu’une roche, le Soleil une boule de feu, les autres planètes sont inhabitables, mais il y a la Terre. Imaginez un alpiniste qui n’aurait qu’une seule corde : il aurait intérêt à en prendre soin. L’ampleur des défis environnementaux et politiques auxquels nous sommes confrontés est énorme, mais nous n’avons d’autre choix que de les relever.

Deuxièmement, le pouvoir de l’esprit humain est vraisemblablement sans limites. Je trouve ça merveilleux, la façon dont la communauté de la Station spatiale internationale, composée de pays qui il n’y pas si longtemps étaient encore en guerre, collabore dans l’espace et parvient à d’incroyables miracles technologiques. Il m’arrivait de me réveiller un dimanche, de me faire un café, d’aller contempler notre planète et de me trouver parfaitement à l’aise dans l’espace… et c’est grâce à la collaboration internationale et aux milliers de gens qui se sont creusé les méninges pour relever d’impossibles défis techniques. Il est là, le point positif : oui, les défis environnementaux, politiques et sociaux auxquels nous devons faire face sont immenses, mais ça ne m’inquiète pas parce que l’humain est capable de trouver des solutions, parce que la portée et la le pouvoir de l’imagination humaine sont sans limites, dès lors que nous travaillons tous ensemble.
 

ER Lors de notre entretien avant que vous décolliez, vous avez dit avoir particulièrement hâte de « voir notre belle planète flottant dans le velours noir de l’espace ». Est–ce que c’était à la hauteur de vos espérances ?
 

DSJ J’en ai encore des frissons. Nous étions encore dans le vaisseau spatial Soyouz et le moteur venait de s’éteindre après 10 minutes d’accélération constante pour atteindre la vitesse orbitale. Comme nous avions décollé au coucher du soleil, nous avions la face nocturne de la Terre devant nous à notre arrivée dans l’espace. J’ai regardé par le hublot de ma cabine entre deux directives et j’ai vu mon premier lever de soleil : la courbe de l’horizon terrestre vu d’en haut, les couleurs, les vestiges des lumières urbaines. C’était très émouvant de voir ainsi la Terre.

La vue quotidienne depuis la coupole de la station spatiale est devenue un jeu : j’essayais de deviner l’endroit de la Terre que je survolais. Quel était le continent? Le pays ? J’y suis devenu assez bon. Chaque continent a son allure propre; on reconnaît assez vite l’Europe, l’Asie et l’Afrique. On avait cette phrase qu’on se répétait à bord : « Si ça a l’air vraiment étrange et que tu ne penses pas y être jamais allé, c’est sans doute l’Australie. » J’adorais survoler le Canada ; il est très facile de reconnaître le Bouclier canadien, le Grand Nord, la forme de la côte Ouest, de la côte Atlantique et du Québec. L’une des choses les plus précieuses que j’ai rapportées de l’espace, c’est cette perspective.

Photo noir et blanc de David St. Jacques vérifiant l'étanchéité de sa combinaison de pression Sokol
   Photo : Agence spatiale canadienne/NASA
La vue de l'Afrique du Nord depuis l'espace
   Photo : David Saint-Jacques, Agence spatiale canadienne/NASA

« Pour l’instant, je ferme les yeux et je voyage en imagination. »

 

Le questionnaire

  • Voisin de rêve Nelson Mandela. Ou Gandhi. Ces dirigeants tellement sages appliquaient leur éthique personnelle à la vie publique et vivaient selon une maxime que j’essaie, moi aussi, de mettre en pratique : « C’est bien d’être quelqu’un d’important, mais c’est plus important d’être quelqu’un de bien. »

  • Premier souvenir de voyage J’ai un souvenir de mes trois ans, dans un camping du midi de la France. Je me souviens du temps superbe et de la liberté de se promener. Je pense que je m’étais peut–être échappé du camping ! Mes parents me cherchaient, mais je trouvais ça génial de me promener et d’explorer.

  • Dernier voyage J’étais dans le sud de l’Angleterre il y a deux semaines, pour faire du voilier avec un groupe d’amis d’université pour fêter nos 50 ans. Il faisait un temps horrible, mais le vent soufflait fort, et on sortait dans les pubs en soirée. C’était génial de se retrouver.

  • Souvenir préféré La montre que je porte tous les jours, fabriquée à partir d’éléments de fusées spatiales. Je l’avais dans la Station spatiale internationale ; je l’ai eue pour l’occasion. C’est un des rares objets physiques que j’ai ramenés de là–haut. Je ne suis pas un grand amateur de souvenirs et de breloques, mais cette montre me fait sourire chaque fois que je la regarde.

  • Les voyages ont le pouvoir… D’élargir vos horizons.