En matière de millésimes et de cépages, la coupe est pleine. Il y a assez de vins dans les caves de l’Ancien et du Nouveau Monde pour qu’on puisse en siroter un verre chaque jour de sa vie sans jamais boire exactement le même. Mais ceux qui ont le palais sensible savent aussi qu’il se peut que chaque verre d’une même bouteille ait un goût distinct. Comme l’explique Véronique Rivest, sommelière de renommée mondiale, tout, de votre plat à votre humeur, peut colorer votre appréciation d’un vin. Y compris boire en avion.
« L’avion est un environnement radicalement différent de votre salle à manger », affirme Mme Rivest, qui choisit les vins pour la classe Signature et la Classe affaires d’Air Canada. En vol, la pression atmosphérique et l’humidité diminuent et le bruit de fond augmente ; or tous ces facteurs agissent sur nos sens, dont l’odorat, qui compte pour jusqu’à 80 % de notre gustation.
En 2008, des chercheurs de l’institut Fraunhofer de physique des bâtiments, en Allemagne, ont comparé six vins dans des conditions normales et dans une cabine de vol simulée. En « situation de vol », la perception du fruité des vins légers diminuait tandis que les vices ressortaient, dont le goût d’évent et l’âcreté.
D’autres études ont exploré les effets du bruit des avions sur la vigueur du vin. Un article de 2014 du psychologue en psychologie expérimentale Charles Spence et de ses collègues concluait qu’un bruit ambiant élevé atténue le sucré et le salé, ainsi que l’amer et l’acide. Seule la cinquième saveur de base, l’umami, est presque inchangée par les bruits de fond. Ça explique pourquoi près de 27 % des commandes de boissons au chariot sont du jus de tomate, généralement la boisson disponible la plus riche en umami.
Considérant tous ces facteurs, Mme Rivest évite les vins trop austères. Les cabernets sauvignons, chiantis et autres vins très tanniques se voient donc frappés d’un interdit de vol. Il en va de même pour les sélections fortement boisées ou alcoolisées. « Je recherche des vins équilibrés, mais aussi d’une grande polyvalence », résume Mme Rivest, qui opte plutôt pour des rouges légers et des blancs ou des rosés fruités et croquants. Les vins présentant un taux d’acidité élevé tendent à offrir plus de vivacité et de fraîcheur. « Ils chatouilleront votre palais et sont plus polyvalents. »
Questions de goût
Le domaine naissant de la neurogastronomie étudie la connaissance des saveurs et la gustation. Voici de récentes découvertes.
- Vin en musique Marier vin et musique peut jouer sur les sensations en bouche. Une étude de 2011 du British Journal of Psychology concluait que boire au son de la Valse des fleurs de Tchaïkovski donnait au vin un goût subtil et délicat, alors que Just Can’t Get Enough de Nouvelle Vague rendait le même vin dynamique et rafraîchissant. Les mêmes chercheurs ont aussi montré que jouer des airs de musette en supermarché faisait vendre cinq fois plus de vins de France que d’Allemagne.
- Étiquette placebo Une expérience des chercheurs français Frédéric Brochet et Gil Morrot a révélé qu’une même bouteille était louangée ou jugée sévèrement par les critiques, selon qu’elle était étiquetée « grand cru » ou « vin de table ». Une autre étude, de l’école de commerce INSEAD, a observé les réactions du cerveau à un vin, selon qu’on le présente au dégustateur comme étant cher ou bon marché. Elle a constaté qu’une augmentation du prix correspond à une activité accrue dans le système de récompense du cerveau.
- Quel bouchon ? Le liège est associé à un meilleur goût. Dans une étude publiée l’an dernier dans l’International Journal of Hospitality Management, les participants ont préféré les vins versés de bouteilles à bouchon de liège, qui se voyaient attribuer des notes plus élevées pour ce qui est du bouquet, du goût et de la qualité globale par rapport à ceux en bouteilles à bouchon à vis ou synthétique. Étonnamment, les bouchons de verre étaient presque aussi bien cotés que le liège, ce qui en fait un choix viable.