Les édifices qui font voyager une célèbre architecte

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Frida Escobedo est d’avis que l’architecture n’est pas qu’utilitaire et esthétique. La célèbre architecte mexicaine déclare sur son site web que « l’architecture et le design offrent un moyen crucial de poser des questions et de débattre de phénomènes sociaux, économiques et politiques ». Son œuvre, qui comprend des édifices et des expos temporaires, puise à diverses sources d’inspiration, des beaux–arts à l’histoire, en passant par la philosophie d’Henri Bergson. En 2018, Mme Escobedo est devenue la plus jeune architecte à être invitée à concevoir le pavillon d’été provisoire annuel de la Serpentine Gallery, à Londres. Nous l’avons rencontrée en janvier dernier alors qu’elle était à Toronto à titre de conférencière d’honneur de l’Interior Design Show afin de discuter avec elle de la façon dont les architectes voyagent et de ce que la conception d’édifices peut nous apprendre sur la société.

23 octobre 2020
Trois femmes se sont rassemblées devant un projet de logement expérimental à Apan, au Mexique
Du territoire à l’habitant, un projet immobilier expérimental d’Apan, au Mexique.   Photo : Rafael Gamo
Vue aérienne du pavillon Serpentine 2018 à la Serpentine Galleries à Londres
Le pavillon d’été de 2018 de la Serpentine Gallery, à Londres.   Photo : Iwan Baan

enRoute En quoi le voyage a–t–il influencé votre approche du design et de l’architecture ?

Frida Escobedo En voyage, nous devenons plus conscients de notre environnement, notre sensibilité est différente. On ne connaît pas l’endroit que l’on visite, il faut donc être particulièrement attentif.

Tout y est nouveau pour nous, et il nous faut nous rappeler chaque coin parce qu’il faut qu’on puisse retrouver notre chemin. Chaque fois que je rentre au Mexique, j’essaie d’avoir ça en tête. Nous manquons tant de détails quand nous passons en mode automatique et que nous ne sommes plus en état de sensibilité. C’est un des aspects des voyages que je préfère. De même que les rencontres qu’on fait. Et les mets qu’on goûte.

Une personne marchant sur La Tallera au Mexique
Vue extérieure de La Tallera au crépuscule
La Tallera, Cuernavaca, Mexique, 2012.   Photo : Rafael Gamo
Extérieur de La Tallera.    Photo : Rafael Gamo

ER Avez–vous des conseils sur la façon de découvrir une ville grâce à son architecture ?

FE Oubliez Google Maps et tâchez de parcourir différemment la ville où vous êtes. Nous sommes si obnubilés par l’endroit où nous voulons nous rendre que nous oublions le trajet lui–même, et c’est là que le plus intéressant se produit, là où nous pouvons tomber sur quelque chose qui n’est pas sur la carte.

ER Avez–vous des destinations préférées ?

FE Tellement. Mais si on me demandait à l’instant présent où j’ai envie d’aller, je répondrais le Japon.

Le Brésil est un autre endroit fascinant. J’aimerais en savoir plus sur l’Amérique du Sud : je ne suis allée qu’en Argentine. J’aimerais aussi explorer plus en profondeur mon propre continent (c’est la première fois que je viens au Canada) et mon propre pays. Il y a tant à voir. L’État d’Oaxaca, par exemple, est remarquable. Il offre tant de richesses et de diversité en termes de paysages et de cuisine, on peut y passer du désert à la forêt humide, et de la montagne à la plage. On y trouve de tout.

Une arche extérieure à Oaxaca, Mexique
Oaxaca, Mexique.     Photo : Fernando Gomez
Un groupe de cactus à Oaxaca, Mexique
Cactées d’Oaxaca.     Photo : Kat Stokes
Détails complexes sur les murs et le plafond de la mosquée-cathédrale de Cordoue en Espagne
Mosquée–cathédrale de Cordoue, Espagne.   Photo : Girl with red hat (Unsplash)

ER Comme architecte, vos voyages vous ont–ils fait visiter des édifices qui vous ont marquée ?

FE La grande mosquée de Cordoue est tout à fait unique. C’est une mosquée qu’on a plus tard convertie en église catholique. On entre dans une cour qui donne une impression de grande intimité. Mais là on est accueilli par ces orangers disposés de façon à créer une impression de rythme, et par leur odeur, et il y a des fontaines : c’est une petite oasis dans la touffeur de Cordoue.

ER Vous êtes connue pour vos projets de revitalisation d’édifices et de lieux laissés à l’abandon. Comment abordez–vous la tâche de redonner vie à un endroit ?

FE Se contenter de faire du neuf en oubliant l’intention originale de l’édifice qu’on rénove, ça ne marche pas ; c’est important de garder le passé vivant.

Comment faire pour préserver l’esprit d’un édifice tout en comprenant que celui–ci n’est pas statique, qu’il doit s’adapter et évoluer et abriter ou recevoir autre chose ?

Un homme debout dans une voie étroite extérieure de la Mar Tirreno 86 à Mexico
Étagères de bouteilles sur les murs intérieurs texturés à l'Aesop Park Slope
Mar Tirreno 86, Mexico, 2016–2019.   Photo : Rafael Gamo
Aesop Park Slope, milieu de vente au détail de Brooklyn.    Photo : gracieuseté d’Aesop
Vue aérienne d'un pavillon du Victoria & Albert Museum à Londres
Pavillon installé en 2012 au Victoria and Albert Museum de Londres.   Photo : Rafael Gamo

ER Que peut nous dire l’architecture sur notre façon de vivre ?

FE C’est presque un portrait de ce que nous considérons comme important. Un édifice est la manifestation d’un lieu et d’une époque spécifiques. Il y a les aspects techniques des matériaux utilisés, comme le béton, les éléments ou panneaux en béton préfabriqué. Les techniques évoluent, et cette évolution crée une sorte de portrait matériel du progrès humain.

Mais il y a aussi le progrès social: quelles sont nos priorités ? Pourquoi préférons–nous le rose ou le bleu à une époque donnée ? Comment faire pour l’exprimer ? Et pour quelle raison préférons–nous telle texture ou telle couleur à telle autre ? Pourquoi se fait–il qu’on embrasse de nouveau ce qu’on considérait précédemment comme vieux ou moche ? Ça m’a toujours fascinée, cette notion du « bon goût ».