Wes Anderson a conçu le décor d’un café de Milan et tout est parfait
Comme de nombreux cinéphiles, j’ai toujours voulu être une Tenenbaum… ou n’importe quel être imaginé par Wes Anderson, en fait. Je n’avais jamais pensé que, vêtue à l’image d’un de ses nombreux personnages, en Converse rouge cerise et verres fumés rose bonbon, je visiterais un jour Milan pour réaliser ce fantasme. Mais dès que j’ai poussé la porte du Bar Luce, fuyant la chaleur suffocante de l’été, je suis devenue mon alter ego.
Imaginé par le réalisateur en 2015, le Bar Luce se trouve dans l’édifice de la Fondazione Prada, qui présente bon nombre de manifestations artistiques de la ville. Oui, l’immense complexe est associé à la griffe Prada, et, oui, ses bâtiments impressionnants (dont un est recouvert d’or) sont la quintessence du luxe. Ce qui fait que cet hommage paré de formica d’Anderson à la culture des cafés italiens des années 1960 est une installation artistique des plus raffinée, où l’on peut boire la vision du cinéaste culte tout en comblant son envie de caféine. (« Bien que l’endroit ferait un bon décor de film, je crois qu’il est encore plus parfait pour en écrire un, note le cinéaste sur le site du Luce. J’ai tenté d’en faire un bar où je voudrais passer mes après-midis non fictifs. »)
Avec 10 films à son actif, Wes Anderson a imposé un style visuel fort qui fait la part belle aux couleurs vives et à la symétrie. Même lorsqu’il ne donne pas dans l’animation (Fantastique Maître Renard, L’île aux chiens), il propose des univers d’un autre monde, comme si ses personnages évoluaient dans une maison de poupées créée spécialement pour eux. Avec ses contrastes de couleurs marqués, ses plafonds de verre et son papier peint censé répliquer la Galleria Vittorio Emanuele II de Milan, l’endroit me donne l’impression d’entrer dans le prochain film du réalisateur, sentiment renforcé par la police exagérée du menu ou les machines à boules inspirées des œuvres La vie aquatique et Moonrise Kingdom.
Je reluque furtivement la collection bien garnie d’eaux-de-vie du Bar Luce et je salive à l’idée d’un Negroni. Mais respectant la tradition qui veut qu’un 5 à 7 n’arrive jamais avant le déjeuner, je commande plutôt une tasse de thé corsé et un croissant farci de confiture, qui me donneront le temps de réfléchir : avec lequel des petits bijoux de gâteaux repartirai-je ? Autour de moi s’active un mélange étrange de touristes tout à Instagram, de Milanais plongés dans leur journal et de travailleurs de la mode vêtus de noir de la tête aux pieds. La scène est cinématographique et apaisante, et je n’ai pas envie de partir. N’est-ce pas ce que souhaitait Wes Anderson ?