La styliste Sage Paul préserve traditions et histoires autochtones grâce à la mode
Sage Paul a grandi dans un ensemble immobilier autochtone à Toronto, où la mode faisait partie de son quotidien. Elle a appris à faire ses vêtements et des boucles d’oreille à perles, à orner des tenues cérémonielles, et on lui a montré la signification des images, des symboles et des couleurs.
« Pour les Autochtones du pays, l’expression culturelle et artistique passe beaucoup par les textiles et l’artisanat », résume Mme Paul, Dénésuline tskwe urbaine et membre de la Première Nation d’English River. « Enfant, je voyais plus ça comme un mode de vie qu’une carrière. »
Après avoir étudié la mode au George Brown College de Toronto et travaillé à l’ImagineNATIVE Film + Media Arts Festival, elle a commencé à voir le lien entre les tenues traditionnelles qu’elle faisait, enfant, et l’industrie classique de la mode. En 2018, après 10 ans consacrés à ses propres créations, elle fondait l’Indigenous Fashion Week Toronto (IFWTO), festival biennal qui met en vedette des créateurs, artistes et artisans autochtones du Canada et d’ailleurs. L’événement de quatre jours a eu un succès immédiat : Mme Paul a été bombardée de soumissions de créateurs et de demandes d’entrevue, et les billets se sont tous vendus. « Ça démontrait qu’on est sous-représentés dans les semaines traditionnelles de la mode », dit-elle.
L’IFWTO rejette l’appropriation culturelle et symbolique et le côté exploiteur de l’industrie de la mode. Les créations de Mme Paul en font autant, fusionnant son identité avec l’art et la mode (voyez ses tenues cérémonielles en plexiglas), et pour elle ce sont les catalyseurs d’un débat essentiel sur le colonialisme. Sa dernière collection, Rations, lancée en juin, propose robes de forme renflée, manches allongées et étoffes diaphanes et chatoyantes, et fait allusion aux anciennes tactiques colonialistes du gouvernement fédéral pour limiter l’accès des communautés autochtones à la nourriture et aux matériaux.
« La collection n’a pas un look traditionnel, admet Mme Paul, mais elle amène les gens à échanger sur une partie de cette histoire du Canada. C’est ce que j’aime dans la mode : bien conçue, elle peut être source de questions. »
Récemment, la diplômée de George Brown y a mis sur pied un cours sur la mode autochtone, dans lequel elle transmet ces valeurs à une nouvelle génération de créateurs. « Je rappelle aux étudiants que la mode ne se limite pas au prêt-à-porter eurocentrique ou à l’exploitation des cultures d’autrui », déclare Mme Paul, qui siège aussi au conseil consultatif de l’Université Ryerson sur la mode. « Je leur demande plutôt : “Comment s’inspirer de sa propre identité ? Et, si on s’inspire d’autres cultures, comment s’assurer de faire entendre leur voix ?” »
Ces jours-ci, Mme Paul s’affaire à créer des costumes pour des projets d’émissions, de films et d’œuvres théâtrales, y compris la prochaine série de SF Utopia Falls, sur CBC Gem, et la pièce de Marie Clements The Unnatural and Accidental Women, présentée ce mois-ci au Centre national des Arts à Ottawa. Elle planifie également l’IFWTO de l’an prochain, qui se déroulera du 28 au 31 mai. La liste complète des créateurs invités n’a pas encore été dévoilée, mais l’artiste néomédiatique canadienne Skawennati travaille à une collection de vêtements « de résistance », tandis que la visualiste Amy Malbeuf proposera des pièces de cuir à tannage maison pour tous les types corporels et toutes les expressions de genre.
Depuis qu’elle a lancé l’IFWTO, Mme Paul a tissé des liens avec la grande communauté de la mode autochtone du Canada et d’ailleurs : elle était à Calgary l’automne dernier pour la semaine de la mode autochtone, Otahpiaaki, et à Londres en février comme productrice de la collection Delicate Tissue de Curtis Oland à l’International Fashion Showcase de la London Fashion Week, qui mettait en vedette 1 créateurs émergents d’un peu partout. Originaire de la vallée de l’Okanagan et de sang lil′wat, M. Oland était le premier créateur de mode autochtone canadien à y être invité.
« Il y a un mouvement mondial de créateurs qui ne se contentent pas d’habiller nos communautés, mais qui perpétuent nos traditions, nos histoires et nos modes de vie, conclut Mme Paul. La mode autochtone est en ébullition et ça me donne espoir en l’avenir. »
Kensington Market, Toronto « J’adore dénicher des perles, de la fourrure, des imprimés, des bijoux d’époque et de beaux tissus transformables et valorisables. »
Halford’s, Edmonton « On y trouve quantité de cuirs tannés à la main et autres superbes matériaux. »
Marché de l’Indigenous Fashion Week Toronto « Les articles faits main, traditionnels ou contemporains, racontent la culture, l’histoire et la beauté autochtones. »