Luis Mario Gell n’avait pas prévu revenir à La Havane. À Rome, où ce photographe publicitaire vivait depuis 10 ans, sa carrière était florissante : il prenait des clichés pour des marques comme Hermès et Dior. Mais en 2012, quand son frère a quitté Cuba pour ses études de pianiste de concert, il est rentré au pays à l’âge de 34 ans afin de s’occuper de sa mère. Pour joindre les deux bouts, il faisait des portraits de quinceañeras, ces jeunes filles de 15 ans aux somptueux anniversaires. Ce boulot ne le comblait pas ; il rêvait plutôt de bâtir un espace de création artistique. « Je voulais capter l’énergie de la jeunesse, dit–il. Arrivant de Rome, avec son Colisée et ses forts, je savais que, pour en mettre plein la vue, il faut voir grand. »
La ville où il était rentré ressemblait à celle qu’il avait quittée, du moins en surface : les rues étaient grandioses et délabrées, avec la grâce des pavés de Barcelone, le tape–à–l’œil Art déco de Miami et la dégradation de Detroit. Partout, la peinture (gaiement turquoise, jaune et rose) était tachée de sel et s’écaillait. Souvent, elle laissait voir béton et pierre bruts.
Mais si les édifices semblaient usés, on sentait une énergie nouvelle en ville. Le président, Raúl Castro, avait réformé le système communiste dans l’espoir d’éclairer le sombre avenir économique du pays. Un solide secteur privé s’était mis en place ; les gens cultivaient leurs propres terres et mangeaient dans des restos familiaux. Il y avait aussi eu changement de garde à Washington. Quand l’administration Obama a facilité les voyages des Américains dans l’île, les visiteurs ont afflué… pas seulement ceux déversés par les bateaux de croisière, mais aussi des conservateurs, galeristes et amateurs de design.