Cristina Mittermeier photographie nos océans pour mieux les sauver

Cristina Mittermeier connaît le pouvoir de l’image. Biologiste de la vie marine et militante établie sur l’île de Vancouver, elle est une pionnière du mouvement moderne de la photo de protection de la nature. Cette photographe de longue date du National Geographic a aussi cofondé Sea Legacy, un OSBL qui se sert de l’art de raconter en images pour influencer les politiques environnementales, diffuser les efforts des organismes de protection de la nature et mobiliser tous ceux qui ont à cœur les océans dans le monde. Des îles Galápagos à l’Antarctique, en passant par le Timor oriental, elle plonge son appareil photo sous les vagues pour révéler l’état d’écosystèmes vulnérables et proposer des solutions viables.

25 mars 2020
Une paire d'otaries dans les îles Galapagos
   Photo : Cristina Mittermeier / @mitty

enRoute Qu’est–ce qui vous a poussés, vous et votre conjoint, Paul Nicklen, à fonder SeaLegacy ?
 

Cristina Mittermeier Nous étions mandatés par le National Geographic pour photographier la vague de chaleur océanique qu’on appelle le blob, une énorme masse d’eau chaude qui s’était formée au large du Nord–Ouest Pacifique, et qui déséquilibrait l’ensemble de l’écosystème. Certaines espèces, les otaries et les loutres de mer, par exemple, étaient littéralement affamées, les poissons s’étant réfugiés plus bas, en eaux froides. D’autres souffraient de convulsions et de paralysie imputables aux algues toxiques. C’est là que j’ai dit à Paul qu’on devait s’impliquer.
 

ER Qu’est–ce qui fait de la photographie un outil de protection de la nature efficace ?
 

CM Pour que la science ait un impact, il faut la rendre accessible aux politiciens et au grand public. La photo permet de convier les gens à une discussion qui, autrement, leur semblerait inaccessible. Certaines images, dont celles d’un ours polaire émacié que nous avons captées dans l’Arctique canadien, ont l’effet d’une gifle et forcent une prise de conscience. Mais nous publions aussi des « histoires » qui sont une célébration de la nature et qui démontrent que la planète mérite qu’on se batte pour elle.

Cristina Mittermeier avec son appareil photo sur un bateau
   Photo : Cristina Mittermeier / @mitty

ER Comment se passe une expédition typique de SeaLegacy ?
 

CM Nous avons une petite équipe de « couteaux suisses », comme Paul les appelle. Tous savent accomplir des tâches variées : manœuvrer un drone, mener des entrevues avec des gens du cru, assurer la sécurité des plongeurs… J’ai, pour ma part, souvent à faire des photos mi–air, mi–eau, qui saisissent simultanément ce qui se passe au–dessus et en dessous de la surface. C’est un exercice frustrant, parce qu’il faut travailler avec deux niveaux d’exposition très différents, mais c’est aussi génial, puisque les sujets les plus captivants se tiennent près de la surface. En photographiant des rorquals à bosse en République dominicaine récemment, j’ai réalisé que si je faisais une pirouette dans l’eau, le rorqual face à moi en faisait une aussi.
 

ER Quel est le secret quand vient le temps de faire des photos de la faune ?
 

CM Les animaux réagissent à votre type d’énergie. Une attitude calme et respectueuse augmente les chances de proximité. C’est parfois instantané. Il y a quelques mois, en Dominique, un jeune cachalot est venu vers Paul et a tenu son bras dans sa gueule. Le plus souvent, cela dit, il faut déployer de gros efforts pour gagner la confiance de l’animal. Mais quand une femelle vous permet de nager avec son groupe, vous savez que vous vivez une chose remarquable et inoubliable.

Photo en noir et blanc de Cristina Mittermeier 40 pieds sous l'eau prenant une photo d'un cachalot endormi
   Photo : Cristina Mittermeier / @mitty

ER En quoi le métier a–t–il changé depuis que vous avez fondé l’International League of Conservation Photographers en 2005 ?
 

CM L’article, évalué par mes pairs, que j’ai publié dans l'International Journal of Wilderness, qui présente la photo de protection de la nature comme nouvelle discipline, a suscité bien des critiques sur les distinctions à faire avec la photo de la nature. Mais il y a aussi eu une génération entière de jeunes photographes qui se sentaient attirés par cette idée de finalité. À titre d’exemple, Shawn Heinrichs et Paul Hilton se servent de leur travail pour faire amender des politiques sur la coupe des nageoires de requins et le commerce d’espèces sauvages.
 

ER Quel est votre lieu de prédilection pour la photo sous–marine ?
 

CM L’île de Vancouver, surtout sa côte nord, compte parmi les meilleurs sites de plongée en eau froide au monde. Je suis choyée de vivre près de ces écosystèmes foisonnant de vie marine.
 

Voyez ce que Cristina emporte dans son bagage à main.