Depuis cinq ans, Jason Logan arpente les rues de Toronto à la recherche d’ingrédients (entre petits fruits et mégots de cigarettes) pour fabriquer sa propre encre. (Découvrez ce qu’il met dans son bagage à main ici.) Le fondateur de la Toronto Ink Company et auteur du livre Make Ink: A Forager’s Guide to Natural Inkmaking fouille partout où il va, montant un labo de fortune sur le terrain avant de regagner son studio, où il transforme ses trouvailles en encres. Son processus créatif passe aujourd’hui au grand écran : Logan sera le sujet d’un documentaire de l’Office national du film du Canada, The Colour of Ink, dont le tournage débute cet automne.
enRoute Comment crée-t-on une encre ?
Jason Logan Il y a des règles de base quant au bon moment pour faire bouillir un ingrédient, le broyer ou y ajouter du vinaigre, du sel ou de l’alcool pur afin qu’en ressorte le pigment. Mais la fabrication d’encres suppose aussi beaucoup d’essais et d’erreurs. Si vous avez une couleur précise en tête, mieux vaut visiter la boutique de matériel pour artistes. J’aime transformer des idées en encres, embouteiller une expérience ou un paysage. Je travaille sur une encre faite à partir de terre et de gazon du Kansas. Je ne sais pas quelle couleur elle aura, mais je veux capturer l’essence des plaines du Kansas.
ER Comment glanez-vous vos ingrédients ?
JL Quand je pars en expédition, j’essaie d’oublier mes recherches pendant la première heure et je laisse le lieu me parler. Je traîne toujours un sac à dos rempli d’équipement (béchers, pinceaux, fioles) pour monter un minilaboratoire, peu importe où je me trouve. Je préfère commencer à travailler avec les ingrédients sur place plutôt que de simplement amasser des échantillons. Lors de ces premières expérimentations, je cherche à comprendre le plus possible la provenance des ingrédients.
ER Cette pratique ancienne trouve-t-elle écho aujourd’hui ?
JL Je vois à quel point mes ateliers de cueillette réveillent quelque chose chez les participants. Ils ne savaient pas qu’ils avaient ce besoin. En tournée pour promouvoir mon livre, j’ai réalisé qu’un mouvement social est en branle. Les gens veulent faire autre chose de leurs mains que texter. L’envie de les salir et de reconnecter avec des pratiques anciennes (que ce soit la fabrication d’encres, la gravure ou le saumurage) est grandissante.
ER Vous travaillez avec des ingrédients de partout dans le monde. Quelle place occupe le lieu dans la création d’encres ?
JL Depuis des millénaires, les viniculteurs comprennent que le sol et d’autres subtilités d’un terroir modifient la richesse et la complexité d’un vin. Si le lieu change les saveurs, pourquoi ne changerait-il pas aussi les couleurs ? L’encre faite d’ingrédients locaux permet aux gens d’ancrer leur quartier ou un moment d’histoire dans leur art. On m’a récemment envoyé de l’eau du robinet de Tokyo et des fragments de route de la Rome antique pour ajouter à mes encres.
ER Vous avez fouiné un peu partout à Toronto. Qu’y avez-vous appris ?
JL Plusieurs voient cette ville comme une jungle de béton, mais elle est beaucoup plus sauvage qu’on ne pourrait le croire. Je tombe souvent sur ces petites bulles en friche, parce que je ne suis pas à la recherche de beauté pendant mes sorties. Je crois que la vie urbaine pèse sur plusieurs, mais nul besoin de fuir en nature pour reconnecter avec son territoire. Il est possible de le faire juste au bout de la rue.
ER Que pouvez-vous nous dire sur The Colour of Ink ?
JL Cet automne, je me rends à Londres pour y rencontrer un calligraphe islamique incroyable. Je me rendrai sûrement au Japon également. Les cinq ou six prochains voyages seront pour le documentaire. Ce que j’aime du projet, c’est que la caméra traque mes expéditions, mes expérimentations et ma fascination pour le monde de l’encre. Si tout va comme prévu, le public ne verra pas un film à propos de moi, mais croira être moi. Je suis en quelque sorte les yeux du public ; espérons que ma curiosité à propos de l’encre sera partagée.
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