Le Torontois qui révolutionne l’alimentation au deuxième meilleur resto de la planète

À la fois philosophe et artiste (et mannequin à temps partiel), David Zilber est la tête pensante derrière le célèbre laboratoire du Noma, un resto de Copenhague comptant deux étoiles Michelin qui s’est hissé en première place du palmarès des 50 meilleurs restaurants au monde durant quatre années consécutives. (Il s’est classé au deuxième rang en 2019.) Zilber et son équipe du laboratoire de fermentation utilisent de la moisissure, des bactéries et une panoplie de matériel hyper technologique pour créer des ingrédients et des saveurs qui repoussent les frontières de la gastronomie. « Il n’y a pas de limite à notre créativité », affirme le natif de Toronto, qui a coécrit le Guide de la fermentation du Noma avec le fondateur de l’endroit, René Redzepi. Tous deux y dévoilent leurs recettes de garum et de kombucha, entre autres excentricités.

25 octobre 2019
Un morceau de magret de canard tenu entre des pincettes
   Photo : David Zilber

enRoute Quel rôle joue le laboratoire de fermentation au Noma ?

David Zilber Nous créons les ingrédients et les bases qui serviront à la cuisine d’essai pour élaborer le menu. L’équipe de la cuisine d’essai peut nous arriver en disant : « Comment obtient–on telle saveur? » Elle a parfois essayé avec des méthodes traditionnelles, sans y parvenir. On s’y penche alors d’un point de vue scientifique pour voir si des microbes ou même un appareil pourraient nous aider.

ER La fermentation est un procédé ancien. Pourquoi pensez–vous qu’il est si populaire sur la scène culinaire mondiale en ce moment ?

DZ Ce n’est pas un effet de mode ; la fermentation fait plutôt l’objet d’une compréhension nouvelle. Nous n’avons pas inventé ce procédé, mais nous trouvons des façons inédites d’en repousser les frontières et de recombiner les éléments. C’est comme Beethoven : il n’a pas inventé les notes de piano, mais il a su les agencer. Avant l’arrivée de la réfrigération, la fermentation était nécessaire. Aujourd’hui, nous l’utilisons pour faire du fromage, de l’alcool et des produits marinés parce qu’on aime leur goût. Les gens comprennent maintenant le pouvoir de la fermentation, grâce à laquelle on produit des aliments qui n’ont jamais été mangés, mais qui peuvent être autrement délicieux. Ce n’est plus une nécessité, mais c’est exaltant.

Une vue microscopique d'un grain de riz
   Photo : David Zilber

ER On dit que vous changez l’avenir de l’alimentation. Qu’en pensez–vous ?

DZ Noma a transformé notre façon de nous alimenter (ce n’est pas moi qui le dis). On le voit à Copenhague, à Stockholm et même à Londres. Impossible, il y a 15 ans, de trouver du skyr au supermarché, et maintenant, il existe des restaurants où l’on sert des déjeuners skyr à Copenhague. Le jus de baie d’argousier n’était pas un produit qu’on pouvait acheter dans un café, comme c’est le cas aujourd’hui. Certaines choses ont émergé sous l’influence du Noma et de sa capacité à nous inspirer.

ER Vous vous intéressez à l’agriculture cellulaire. Pensez–vous qu’elle sera de plus en plus présente dans le futur ?

DZ J’ai toujours été fasciné par ses possibilités. C’est une solution intéressante à la surconsommation de protéines animales, et elle soulève d’intéressantes questions philosophiques. Par exemple, doit–on faire de la technologie un deus ex machina ? Je crois que c’est une solution alimentaire envisageable si un nombre suffisant de personnes y adhèrent et si elle est abordable. Est–ce que je considère que c’est l’option la plus morale ou la plus vertueuse ? Je pense qu’on peut en débattre. Devrions–nous dépenser la grande quantité de ressources requises pour inventer une nouvelle technologie qui mènera vers un changement d’attitude ?

Plusieurs récipients sur une table au laboratoire de fermentation de Noma
   Photo : David Zibler

ER Quelle est la chose la plus inusitée que vous ayez fermentée et qui a étonnamment fonctionné ?

DZ On a fait une sauce à la viande fermentée de castor, trouvé en Suède. Mon équipe m’a mis en garde : « On a essayé de faire griller du castor et ça goûte le rat mort. Oublie ça. » Ça puait à plein nez, mais on l’a fait fermenter avec du koji et c’était pas mal bon.

ER Y a–t–il un ingrédient que vous avez envie d’ajouter à votre expérience ?

DZ Le Cordyceps militaris. C’est un champignon qui parasite les insectes. Il est utilisé dans la médecine traditionnelle chinoise, mais techniquement, c’est un agent de fermentation. Certains chefs s’en servent, mais j’aimerais le travailler de façon non traditionnelle. Oui, travailler avec des déterreurs de cadavres fait partie de mes projets.

Le rose profond des pins salés
   Photo : David Zilber

ER Si votre meilleur ami venait vous rendre visite à Copenhague, où l’amèneriez–vous ?

DZ Au Iluka, où le chef propriétaire, Beau Clugston, un ancien du Noma, sert des plats de fruits de mer nordiques simples et frais, tels que la queue de langoustine crue avec trempette ou l’oursin sur pain de seigle grillé. On ne peut demander mieux. Le cadre est des plus décontractés, mais c’est très raffiné. Pour un verre, je l’amènerais chez Pompette, mon bar à vin nature préféré en ville. Ils offrent de grands vins à partir de 50 couronnes le verre. Il se trouve dans une ruelle paisible de Nørrebro, où on peut s’asseoir dehors et regarder le monde passer.

ER Vous avez grandi à Toronto. Y a–t–il un endroit que vous aimez visiter quand vous revenez ?

DZ Mr. Jerk au Peanut Plaza. Je donnerais tout pour une assiette de Mr. Jerk là, maintenant. J’aime aussi Golden Patty (anciennement Patty King) au Kensington Market, et Terroni pour les pâtes aux truffes. C’est là que j’ai appris à m’asseoir et à lire un livre en mangeant : on s’assoit au bar, avec un livre, et on nourrit à la fois son corps et son esprit.
 

Découvrez ici ce que contient le bagage à main de David.