Dans l’objectif d’un photographe : les voyages de Naskedemini à Tokyo, Berlin, en Haïti et à la Barbade

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Dans le quatrième volet de notre série « Dans l’objectif d’un photographe », Naskademini, basé à Montréal, partage les images de quatre de ses voyages les plus mémorables.

Bien que je me spécialise d’abord dans le portrait, j’ai toujours aimé prendre le monde en photo : je crois que le voyage est un remède contre l’ignorance. Il est important que les Noirs racontent des histoires. La personne derrière l’appareil photo est tout aussi importante que l’image elle–même.

16 juillet 2020

Tokyo

Lorsque je suis allé au Japon pour la première fois il y a 11 ans, j’ai été frappé par la façon dont les gens étaient gouvernés davantage par l’honneur que par la religion. Voir les gens coopérer dans le but d’améliorer la vie de tous rend le pays encore plus magique. Il suffit de constater la propreté des rues, l’approche minimaliste japonaise, l’urbanisme de Tokyo est également à un tout autre niveau. Après avoir passé tant de temps au Japon, je reviens à Montréal avec le désir d’être une meilleure personne.

Une vue sur la rue des logements compacts à Tokyo, Japon

Les Japonais savent vraiment optimiser leur espace de vie. Cette maison étroite en est un parfait exemple avec le garage construit juste en dessous et sa voiture de luxe garée à l’intérieur. Bien que ce soit un petit espace, c’est la réalité de la vie au Japon et les gens en tirent le meilleur parti. Ce serait le type de logement idéal pour moi si j’avais une adresse à Tokyo.

Un homme japonais tenant l'arrière de son cou avec des bijoux Goro sur les deux mains

J’ai pris cette photo pour un reportage enRoute sur le créateur de bijoux Goro Takahashi. Bien qu’il nous ait quittés, il a conçu des pièces pour lesquelles les gens faisaient la queue pendant huit heures. Ses créations convoitées sont inspirées par de nombreux bijoux indigènes et amérindiens, notamment ceux des Dakota et de la tribu Lakota. J’ai pris cette image à Shibuya, en chemin vers sa boutique. J’ai remarqué un homme qui se frottait les mains au feu rouge. Ses bagues ont attiré mon attention et je me suis dit : « Il porte du Goro. » Je le savais parce que je possède de ses pièces.

Photo noir et blanc d'un camion dans une rue japonaise minimaliste

Cette photo est un clin d’œil à l’esthétique minimaliste du design japonais. C’était beau de voir la lumière se manifester d’une telle façon dans la réalité. Même si Tokyo est une ville immense, je m’y sens toujours plutôt seul ou invisible en tant qu’homme noir. Je veux dire par là que les gens ne me remarquent pas, ou qu’ils ne se soucient pas de moi. Je ne dis pas cela de façon négative : personne n’a le temps de se préoccuper de votre existence parce que tout le monde est en mouvement.

Berlin

Avant d’aller à Berlin, j’avais des idées préconçues sur la façon dont l’Allemagne allait me traiter. Bien que ce soit une ville traumatisée par son histoire, la façon dont j’ai été reçu à Berlin témoigne du fait que la plupart des gens là–bas font de leur mieux pour vous accueillir. Je n’ai ressenti aucune vibration ou énergie négative, bien au contraire. La vie nocturne de Berlin est tout simplement époustouflante. Avec tant de stimulations visuelles de toutes parts, on est poussé à vouloir prendre encore plus de photos.

Un Volkswagen Beetle bleu vintage devant une boutique de Berlin

Cette voiture et la vitrine m’ont interpellé. Je me suis demandé : quel type de personne conduit ce genre d’auto ? Est–ce un homme bienveillant ? J’ai aimé la façon dont le véhicule est en quelque sorte penché vers l’avant et cette nuance de bleu est si riche. Devant ce fond chargé de graffitis, la voiture donne l’impression de ne pas être à sa place, mais en même temps, elle s’intègre parfaitement au décor.

Une personne avec un parapluie marchant sur la plate-forme à côté d'un tramway jaune à Berlin

Ces trams sont un indice que vous êtes à Berlin. Le parapluie rouge combiné avec le tram jaune et la personne anonyme vêtue de beige ont attiré mon attention. Sur cette photo, de nombreuses lignes indiquent qu’elle se dirige vers l’obscurité, avec la tour de télévision de Berlin et l’Alexanderplatz au loin. C’est un peu par hasard, tout s’aligne autour de ces couleurs parfaitement contrastées.

Une mère parle au téléphone pendant que sa petite fille monte sur ses épaules alors qu'elles marchent dans une rue de Berlin

En prenant cette photo, je savais qu’elle serait bonne. La mère, au téléphone, était un peu dans son monde, pendant que cet enfant et moi vivions un moment photographique. Je ne vois pas souvent des mères porter leur enfant de cette manière et elle avait des traits frappants : pommettes saillantes et lignes du visage fortes, tandis que son enfant avait des joues douces et rebondies.

Un chauffeur de taxi passe entre deux voitures à Berlin tout en tenant la nourriture dans les deux mains

Nourriture à la main, ce chauffeur de taxi revenait vers son véhicule près du poste de contrôle Charlie. Avec tous les drapeaux en arrière–plan, je trouvais que cette image mettait la ville en valeur. Pour moi, c’est Berlin. À Montréal, d’où je viens, on ne voit pas beaucoup de voitures de taxi haut de gamme, alors que dans la capitale allemande, ce sont toutes des Mercedes Benz peintes d’une étrange couleur coquille d’œuf, style mayonnaise. À l’époque où j’écoutais du Kanye West, il a un jour improvisé quelque chose du genre : « mayonnaise colored Benz, they call it a miracle whip. » J’ai finalement compris ce qu’il voulait dire quand je suis arrivé à Berlin.

Haïti

Haïti, autrefois connue comme la Perle des Antilles, était un lieu de prédilection de nombreuses célébrités dans les années 1960 et 1970. Mais sa réputation a grandement souffert de la corruption et de la destruction causée par les catastrophes naturelles. Non seulement Haïti est magnifique, mais la résilience de ses habitants et leur capacité à garder le sourire et un sentiment de joie et de fierté est contagieuse. Impossible de se promener dans les quartiers sans être frappé par le bonheur des gens.

Deux frères en uniforme scolaire partagent un vélo sur une route haïtienne

Des enfants à vélo dans la ville côtière des Gonaïves. Je suppose que l’un des deux était le frère aîné qui emmenait son frère cadet à l’école. Les uniformes m’ont séduit, car je suis allé à l’école primaire et au lycée publics et je n’ai pas eu à les porter. L’aîné était rasé de près et arborait un large sourire. Il portait des chaussures habillées noires avec des chaussettes blanches, ce qui serait considéré comme un faux pas de style dans les pays occidentaux, mais dans les Caraïbes, c’est la vie normale de tous les jours. J’ai senti une camaraderie entre eux. C’est simplement une belle image, pleine de réconfort et d’affection.

Vue imprenable sur la montagne à la Citadelle Laferrière à Cap-Haïtien

Cette photo, prise à la Citadelle Laferrière, au Cap–Haïtien, aurait eu l’air d’un fond d’écran gratuit si je n’avais pas cadré les boulets de canon. Je l’ai fait pour montrer ce que représente cette armurerie. À la fin du XVIIIe siècle, le peuple haïtien a mené la seule rébellion d’esclaves réussie de l’histoire contre les colonialistes français et, quelques années plus tard, a fondé la première république noire moderne du monde.

Un jardinier en Haïti passe devant un gros tas de boulets de canon pour se rendre sur la route

Je suis d’avis qu’il faut d’abord prendre la photo et ensuite demander la permission de le faire. Quand votre appareil photo est levé, les gens sont sur leurs gardes. J’aime être comme une mouche sur un mur. Je crois que ce type était le gardien du terrain parce que je l’ai vu sous son grand chapeau, dehors, sous le soleil brûlant, à travailler d’innombrables heures pour s’assurer que l’endroit demeure impeccable. C’était un homme grand et mince, mais à mes yeux, il avait cette force de superhéros. Je l’ai vu comme le symbole d’un peuple travaillant : les Haïtiens font leur travail, puis rentrent chez eux s’occuper de leur famille.

Barbade

Je suis allé plusieurs fois à la Barbade pour des vacances. C’est un pays formidable, avec de la bonne nourriture. Les gens sont gentils et accueillants. Comme le pays survit grâce au tourisme, les gens ont appris à dérouler le tapis rouge pour les visiteurs qui y débarquent. J’adore y aller et la cuisine bajanaise est l’une de mes préférées. C’est une cuisine maison copieuse qui donne l’impression d’un gros câlin.

Un homme et une femme prennent de l'ombre sous l'égide de leur vendeur de rue à la Barbade

J’étais en mission avec enRoute en 2018 pour réaliser la couverture du magazine et un article sur le rhum. Nous traversions la paroisse de St. James où il y a beaucoup de vendeurs de rue. Ceux–ci se réfugiaient à l’ombre ; nous savons tous que la Barbade est très chaude. Ça m’a rappelé Trinidad, d’où mes parents sont originaires.

Une mère et sa fille se tiennent à côté de leur maison dans leurs meilleurs vêtements et avec des parapluies un jour de pluie à la Barbade

Au risque de me répéter, une chose que j’aime des Caraïbes, c’est que les enfants y portent un uniforme scolaire et qu’on remarque d’emblée la fierté qu’ils ont de revêtir des tenues fraîchement repassées. Mes parents m’ont raconté les histoires de leur enfance à Trinidad et ils repassaient leur uniforme tous les jours avant l’école. Dans les familles caribéennes, on vous apprend à sortir de chez vous en étant le plus beau possible. J’aime les couleurs et le contraste de cette image ; la mère dans sa robe rose avec son parapluie baissé.