Rich Francis, de l’émission Red Chef Revival, sur l’avenir de la cuisine autochtone au Canada

Le chef iroquois Rich Francis a travaillé dans le circuit de la cuisine gastronomique avant de devenir le premier chef autochtone à participer à l’émission Top Chef Canada (quatrième saison). Mais c’est pendant un repos forcé de six mois, après un accident d’auto en 2010, que son destin se précise : « réécrire la trajectoire de la cuisine autochtone colonisée ». Rich Francis partage la vedette de la série Red Chef Revival, une production de Storyhive qui explore comment la culture autochtone se réinvente à travers la cuisine. Nous avons discuté avec le chef et restaurateur avant la projection du troisième épisode de Red Chef Revival à Toronto, dans le cadre du tout nouveau festival Toronto Food Film Fest en octobre 2019.
 

enRoute Qu’est–ce que la cuisine autochtone et quelles fausses idées s’en fait–on ?
 

Rich Francis J’essaie encore de la définir, au fil de mon processus de guérison et du démantèlement des systèmes qui nous ont oppressés pendant beaucoup trop longtemps. Je peux difficilement dire ce qu’elle est, mais je peux dire ce qu’elle n’est pas. Par exemple, on ne servira pas de banique à mon nouveau restaurant, qui ouvrira ses portes l’an prochain sur le territoire mohawk de Kahnawake, parce qu’elle fait partie du système colonial. C’est un aliment lié au traumatisme. On aime la banique, mais elle n’est pas bonne pour notre santé. Elle est certes réconfortante, mais on pourrait en dire tout autant de la drogue et de l’alcool.

02 janvier, 2020
Rich Francis devant les caméras pour son émission Red Chef Revival

Photo : Rich Francis

ER Comment pensez–vous que cette émission changera la perception de la cuisine autochtone ?
 

RF J’espère que Red Chef Revival ouvrira le cœur et l’esprit des gens qui sont prêts à apprendre des peuples autochtones, à les écouter. Ils pourront ainsi contribuer à faire tomber les préjugés entourant la cuisine autochtone. Dans le premier épisode, je visite la réserve indienne Osoyoos, en Colombie–Britannique. On voulait redécouvrir la « nourriture de survie » que les peuples autochtones ont consommée en période de famine. On parle de cuisiner le cougar, la feuille de cactus et la lewisie à racine amère. La nourriture doit raconter une histoire et honorer nos traditions. Les gens s’intéressent au terroir, et ceci est la quintessence du terroir : on a cuisiné avec des aliments qui se trouvaient à 100 mètres de nous.
 

ER Qu’est–ce qui vous a motivé à participer à ce projet ?
 

RF Je voulais utiliser ma voix, mon expérience, mes connaissances et mon intuition pour imaginer vers où peut aller la cuisine autochtone. Mais avant de la réinventer, il fallait d’abord la redécouvrir. L’un de mes plats signatures, le saumon fumé, est préparé avec quatre plantes de la roue de médecine autochtone : cèdre, foin d’odeur, sauge et tabac. Je veux donner aux gens une référence gustative de ces quatre saveurs.
 

ER Quel est l’avenir de la cuisine autochtone au Canada ?
 

RF Je pense qu’il faut reconnecter avec ce que mangeaient nos ancêtres autochtones avant la colonisation et les pensionnats. La nourriture a un pouvoir de guérison extraordinaire. Je souhaite qu’on se crée une nouvelle identité, qu’on cesse de dire que notre cuisine est « canadienne », et qu’on se réapproprie ce qui nous appartient depuis toujours en Amérique du Nord. En ce moment, notre cuisine en est une de résistance, mais en fin de compte, je crois qu’elle a aussi un pouvoir de réconciliation pour le reste du Canada.

Saumon cuit au feu éclaboussé au thé d'érable et au cèdre

Photo : Rich Francis

ER Pourquoi est–ce important de donner une tribune aux chefs et à la cuisine autochtones ?
 

RF Parce que nous avons une voix, un territoire et une cuisine qui nous sont propres, et que nous voulons nous en servir pour raconter notre histoire. Nous ne sommes plus seulement des chefs, nous sommes devenus des éclaireurs et des gardiens du savoir pour nos peuples.
 

ER Comment les Canadiens peuvent–ils vous aider à obtenir une meilleure tribune ?
 

RF La collaboration est primordiale en ce moment ; il faut inviter le reste du Canada à forger avec nous des identités qui ne sont pas liées au racisme et au colonialisme. À mesure que les Canadiens en sauront plus sur la vie et la cuisine autochtones, j’espère qu’ils s’impliqueront davantage dans les questions qui touchent les Autochtones : en participant aux manifestations contre le réchauffement climatique ou contre le pipeline en Colombie–Britannique, ou en se renseignant sur les meurtres et les disparitions de femmes et de filles autochtones.
 

ER Qui sont les personnes qui vous inspirent dans le monde de la cuisine autochtone 
 

RF Il ne s’agit pas seulement de chefs, mais de défenseurs de la souveraineté alimentaire en Amérique du Nord, la jeune génération, et plus spécialement nos femmes autochtones. Elles sont les matriarches et les gardiennes de notre cuisine, et l’avenir repose sur elles. Ma mentore, Bertha Skye, est une chef, éducatrice et forte matriarche de la bande Six Nations, en Ontario. Elle a cartonné aux Olympiades culinaires internationales et a inscrit la cuisine autochtone dans la gastronomie. C’est elle qui a ouvert la voie aux chefs autochtones d’aujourd’hui.