Je mange au moins un demi–bagel grillé par jour. Ça fait partie de ma vie. C’est mon héritage. C’est règle générale mon déjeuner.
Il y a plusieurs restos juifs à produits lactés dans ma ville, Toronto, qui se spécialisent dans la boulange : bagels, challahs, babkas et tout le reste. Au tournant du XXe siècle, quand de nombreux Juifs pratiquants sont débarqués d’Europe de l’Est pour fuir la persécution, « lacté » était synonyme de « cachère » (puisqu’il n’y avait pas de viande dans les préparations, la crainte que s’y trouve de la viande non cachère ou un mélange viande–lait disparaissait). Ce qui était cachère rappelait la maison. Un de ces restos à produits lactés, l’United Bakers, a été fondé en 1912 et prospère toujours. De son côté, la Harbord Bakery sert le meilleur challah et les meilleures danoises au fromage du monde depuis 1945. Toronto compte plusieurs bageleries, comme les Gryfe’s, Bagel World, Bagel House et le nouveau NU Bügel, un pisher de Kensington Market, là où les Juifs se sont d’abord établis à Toronto.
Au milieu des années 1990, j’étudiais le journalisme à Halifax, en Nouvelle–Écosse, dans une petite cohorte d’environ 36 étudiants. Dave, un gentil garçon de la banlieue de Toronto, faisait partie du lot. Je ne mangeais pas de pizza au pepperoni, et c’était ce que le groupe commandait sans cesse. Alors Dave, qui était sans doute secrètement amoureux de moi, avait toujours un bagel et un minicontenant de fromage à la crème pour moi. Un soir, quelques étudiants se sont réunis pour une pizza dans la chambre de Dave, pour célébrer la fin d’un examen. Dave m’a consciencieusement préparé mon bagel au fromage. J’ai regardé ses cheveux foncés et ses yeux bruns ténébreux, et je l’ai soudainement vu sous un autre jour.