Kuno Kuheiji, dont les cheveux grisonnants en bataille encadrent le visage juvénile, arpente sa brasserie de saké Banjo Jozo à Nagoya, spacieuse construction du XVIIIe aux murs blancs, aux poutres de cèdre foncées et aux escaliers affreusement raides. S’arrêtant à une table de dégustation en inox, le proprio de quinzième génération de la brasserie familiale me sert du saké d’une bouteille brune étiquetée à la main. « Goûtez à ça, dit‑il, on l’a pressé aujourd’hui. »
C’est un échantillon de son junmai daiginjo d’étiquette « Kanochi », où n’entrent que riz hautement poli, eau et, pour lancer la fermentation, koji (une moisissure convertissant l’amidon du riz en sucres fermentables) et levure. Le brassin est si jeune qu’il est encore un peu brut, avec un nez de banane, de fraise et de riz, mais sans l’élégance et la structure qu’il acquerra en vieillissant six mois en bouteille.
M. Kuheiji s’apprête à tenter une grande expérience franco‑nippone englobant sa ferme rizicole de la préfecture de Hyogo et le Domaine Kuheiji, son vignoble au cœur de la Bourgogne. C’est une entreprise basée sur sa vision romantique d’un mariage mixte entre deux traditions ancestrales en matière d’alcool. Le saké, qui existe depuis plus de 2000 ans, est brassé plutôt comme la bière. Un bon brassin a besoin de riz de qualité, d’eau et du talent du maître brasseur, mais la notion de terroir s’est perdue avec le temps. La viniculture française traditionnelle, au contraire, célèbre l’alchimie qui se produit entre le cépage, le sol où il pousse et le savoir‑faire du viticulteur.