Un voyage gourmand sur la côte atlantique de l’Irlande
Dans le Burren, dans le comté de Clare, chefs, producteurs et cueilleurs célèbrent les ingrédients qui poussent chez eux.
Le tavernier Peter Curtin trône dans son habitat naturel : sa Roadside Tavern, à Lisdoonvarna, en Irlande. Les murs vieux de 155 ans sont entièrement couverts de souvenirs et l’atmosphère est carrément décontract, ambiance peut-être due à l’Euphoria que nous sirotons, bière au gruit dont le bouquet aromatique vient d’herbes médicinales sauvages plutôt que du houblon. D’un nez fruité, herbacée et pétillante, elle évoque un kombucha par son acidité désaltérante. « En bouche, elle crée un soupçon de joie, un effet “la vie est belle” », déclare M. Curtin.
Récits, chansons et boissons coulent à flots ici, dans le nord-ouest du comté de Clare que domine le Burren, 530 km2 de calcaire glaciaire désert, de collines de formes étranges et de grottes, où l’on verrait bien habiter quelques Hobbits. On ne s’étonne pas d’apprendre que J. R. R. Tolkien descendait souvent dans la région au Gregans Castle, ni qu’il ait, selon la légende locale, mis un peu du Burren dans ses romans. Même notre bière baigne dans ce mysticisme : une nuit de l’été 2017, M. Curtin a grimpé le lieu-dit Hill of the Fairies (« colline des Fées »), non loin, pour récolter la levure sauvage qui a lancé sa fermentation.
Ce coin reculé d’Irlande se nourrit d’un regain d’intérêt pour les traditions séculaires, le développement durable et une culture artisanale en plein essor, avec l’Atlantique sauvage en toile de fond. Inscrits conjointement au Réseau mondial des géoparcs de l’Unesco, les falaises de Moher, hautes de 200 m (deuxième attraction en popularité au pays), et le parc national du Burren sont des arrêts obligés sur la Wild Atlantic Way qui s’étend sur 2500 km du nord au sud, de Malin Head à Kinsale. Mais peu de gens restent assez longtemps pour vraiment goûter, comme moi, le comté de Clare. Des richesses de l’Atlantique Nord aux fermes des hauts plateaux d’East Clare, en passant par le terroir unique du Burren, le comté a tous les ingrédients pour une éclatante odyssée culinaire.
Le lendemain matin, je passe au Lisdoonvarna Enterprise Centre, où la Food Fayre annuelle bat son plein à deux pas de la Roadside Tavern. Des dizaines de fabricants proposent des produits artisanaux tels que pain brun typique d’Irlande, fromage et délicat miel polyfloral parfumé par la flore mi-arctique, mi-méditerranéenne qui se plaît sur le Burren. Cette végétation profite aussi au bétail : à l’automne, suivant une tradition millénaire, on transhume le cheptel dans les hauteurs, où il hivernera sur des pâturages plus riches et au climat plus doux.
Enfant chérie du Burren Ecotourism Network et du Burren Food Trail (gardiens du fragile écosystème de la région et promoteurs de ses charmes), la Fayre privilégie l’écogastronomie. J’y croise la complice de Peter Curtin dans le projet Euphoria de la Burren Brewery, l’herboriste Lisa Guinan, qui sélectionne les plantes qui font de cette bière au gruit l’euphorisant de saison qu’elle est. Ferrée en phytothérapie irlandaise, Mme Guinan dirige des visites de groupe et indique une pratique pharmacopée : trèfle des prés contre les sueurs et la toux, ortie contre le rhume des foins et les démangeaisons, fleur de tilleul et achillée millefeuille pour la bière joyeuse.
Derrière la cuisine de démonstration, le chef Robbie McCauley, du Gregans Castle (l’ex-planque de Tolkien est devenue une destination gourmande de luxe), me fait goûter son plat d’huîtres Flaggy Shore Dainty, coiffées de crème de raifort, d’huile de livèche et de caviar et émaillées de croûtons de pain brun, qui résume en une bouchée toute la richesse culinaire du Burren. Il s’avère qu’ici, la fine cuisine s’est beaucoup répandue depuis les sombres années 1980, ayant évolué avec la repopularisation de toutes les bonnes choses qui poussent à portée de main.
Les algues sont une des récoltes les plus abondantes, mais peu évidentes, du comté. Au paradis des golfeurs et surfeurs qu’est la plage de Lahinch, je retrouve Oonagh O’Dwyer, dont l’entreprise, Wild Kitchen, propose cueillettes guidées et ateliers de cuisine. Mme O’Dwyer récolte 14 variétés d’algues différentes, de préférence juste après la pleine lune, quand la marée basse de vives-eaux dévoile un luxuriant jardin sous-marin.
Le temps est gris et bruineux, mais on repère aisément la doudoune rouge et la flamboyante chevelure de Mme O’Dwyer. Nous mettons le cap sur de longs rochers plats, sécateur et seau à la main. « Ça, c’est du kombu royal, ou laminaire sucrée », dit-elle en indiquant de grands rubans bruns aux bords frisés. Elle aime griller au barbecue des maquereaux entiers en papillote dans ces grandes feuilles, mais le gros du kombu sert d’engrais, d’aliments pour animaux ou à faire de la teinture d’iode.
Nous ramassons de la laitue pourpre, alias nori au Japon ou sliocháin dans West Clare, où traditionnellement on la servait dans les fêtes du printemps ou comme substitut bourratif du chou. « C’est 40 % de protéines », m’explique Mme O’Dwyer, qui me montre comment cueillir l’algue de façon durable, en coupant chaque grande feuille au tiers de sa longueur en partant du crampon.
Notre seau rempli, nous passons au Market House d’Ennistymon, chouette café et boucherie artisanale, où nous accueille la proprio, Fiona Haugh, dont la ferme familiale fournit la viande. Mme Haugh me tend une assiette de carpaccio rubis avec copeaux de parmesan ; la viande est riche et salée, typique des pâturages d’hiver du Burren. Pendant ce temps, Mme O’Dwyer a préparé un délicieux dîner à base d’algues : coquilles de palourdes remplies de laminaire sucrée revenue au tamari ; himanthales vert vif marinées au jus de citron et parachevées d’huile de sésame ; laitue de mer riche en fer avec kimchi ; croustilles de petit goémon au four. Ces éclatantes saveurs iodées étendent le sens du terme « fruits de mer ».
Le lendemain après-midi, un air de tranquillité brumeuse plane sur le terrain de 8 ha de l’Irish Seed Savers Association, dans l’est du comté de Clare. On y trouve un verger de 175 variétés de pommes du patrimoine et une banque de plus de 600 types de semences traditionnelles bios à pollinisation libre, ou non hybrides, de plantes qui se reproduisent naturellement et fidèlement depuis des générations. L’employée au développement Tansy Watson explique ce qui rend ces semences si spéciales : elles ont préservé les saveurs franches de l’ère préindustrielle, ainsi que leurs noms associés à des lieux ou à des gens précis, tels le navet de Tipperary ou le chou frisé d’oncle John, qu’un habitant du comté de Cork a perpétué 50 ans dans son potager et qui pousse aujourd’hui partout en Irlande.
Courges, citrouilles et tomates sont étalées sur les longues tables d’une salle vitrée, où j’observe le sauvetage de semences. Un employé passe un petit rouleau sur des fleurs bleu-vert de poireaux d’hiver pour en extraire les graines. D’autres boîtes contiennent des graines d’asperge, aux airs de baies rouges, de menues graines d’endive et des haricots blancs mis à sécher. Les semences sont déshydratées avant d’être réfrigérées à température et à humidité contrôlées.
Mme Watson m’apprend que l’association vend à travers l’Irlande de 2000 à 3000 pommiers à racines nues par an et qu’elle organise un atelier cidricole à l’automne. Dans ce coin reculé comme partout au pays, semble-t-il, les gens s’emploient à réhabiliter des savoir-faire éprouvés.
Après du thé et des scones au café de l’association, Mme Watson m’offre un sachet de graines de basilic sacré (une espèce rustique à mettre en terre une fois de retour chez moi) et une bouteille de jus de pomme bio (ou sú úll orgánach) de Seed Savers.
Quand je la débouche, plus tard, j’ai le verger patrimonial en bouteille, riche et multidimensionnel, d’une exquise douceur naturelle. Je savoure l’Irlande à son meilleur jusqu’à la fin, et le germe est semé : je sais qu’il me faudra absolument répéter l’expérience.
Air Canada offre un service sans escale de Toronto à Dublin, à raison de trois vols par semaine. Vérifiez les exigences d’entrée imposées par le gouvernement avant de voyager.
Carnet de voyage
Où loger
Burren Glamping Séjournez à la scandinave sur cette ferme de 12 ha dans un camion pour quatre chevaux converti, avec lits superposés et douche écolo Mira Sport. Le déjeuner complet à l’irlandaise fait la gloire du matin : œufs, bacon de la ferme, scones au bicarbonate de soude et discussions animées avec les proprios Stephen et Eva Hegarty.
Gastronomie
Linnane’s Lobster Bar On peut voir les pêcheurs décharger leurs prises de homards, de crabes et de palourdes sauvages à ce resto de port à l’ambiance joyeuse sur la baie de Galway. Essayez la chaudrée (aiglefin fumé, moules et crevettes) ou un plat d’huîtres « Gigas » géantes (servies sur lit d’algues), à arroser d’une IPA Scraggy Bay.
Moher Cottage Halte idéale sur le chemin des falaises voisines de Moher, le café spacieux (dans l’étable reconvertie de son mari) de Caitríona Considine propose scones, fudge, café, souvenirs et vue sur la baie de Liscannor, tous superbes.
Quoi faire
Burren Smokehouse Birgitta Curtin marie les techniques de fumage irlandaise et suédoise dans sa gamme de poissons fumés à chaud et à froid à la clientèle mondiale. Son saumon irlandais bio fumé à froid se décline aux algues, au miel ou encore au whiskey et au fenouil, et on peut aussi s’en offrir, quand on n’y tient plus, à l’aéroport de Shannon.
St. Tola Irish Goat Cheese On doit réserver longtemps d’avance la visite de cette fromagerie primée de 26 ha, avec sautillant troupeau de chèvres et dégustation de crottins, de bûchettes cendrées ou de fromages à la grecque.
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