Trois jours avant de me rencontrer à son resto, le Damas, Fuad Nirabie terminait un voyage d’achats à 100 km de la capitale syrienne. Il venait de faire la navette pendant deux semaines entre le Liban et la Turquie, se procurant épices, sucreries, antiquités et carreaux, inspectant olivaies et fermes et visitant sa femme et son fils, qui vivent près de la frontière nord du Liban, pas trop loin, mais pas assez proche, de ses racines à Homs, en Syrie. Avant qu’éclate la guerre civile en 2011, ce chef né en Alberta et ayant grandi à Homs s’approvisionnait directement en Syrie. C’était une précaire promesse qu’il s’était faite de reproduire les saveurs auxquelles il renonçait en rentrant au Canada pour l’université. Mais les soulèvements ont débuté quelques mois après qu’il a ouvert le Damas, et ses voyages d’achats en zigzag sont aujourd’hui incontournables.
Au dernier jour de sa halte à Tripoli, au Liban, il est tombé sur un régal qu’il n’avait jamais vu offert hors de Syrie, et encore moins en si grande quantité : des terfès, ou truffes du désert. Certains prennent ces champignons gros comme le poing pour des pommes de terre, mais lui les a tout de suite reconnus, parce qu’enfant, il accompagnait son grand–père commerçant au souk quadricentenaire de Homs, site historique anéanti en à peine trois ans de guerre civile. Les terfès ne poussant que si des orages hivernaux crevassent le sol désertique et le gorgent de pluie azotée, il peut se passer des années sans que les marchands en voient (et ça, c’était avant que la guerre ne rende leur cueillette périlleuse), et maintenant, il y en a partout.