Comment l’Okanagan change la scène vinicole canadienne
Entre mégadomaines et minicaves, la dernière cuvée de producteurs vinicoles du sud de l’Okanagan, en Colombie-Britannique, déborde de contrastes qui assurent fraîcheur et saveur, tant aux résidents qu’aux visiteurs.
Même après 15 ans passés dans la vallée de l’Okanagan, d’abord comme restauratrice, et désormais comme organisatrice de soupers à la ferme, je ne m’explique toujours pas la partie sud de l’intérieur de la Colombie-Britannique. Outre ses paysages de lacs et de montagnes, c’est une incroyable terre nourricière. Je me suis éprise de ce terroir d’origine volcanique et glaciaire, de sa profusion de microclimats qui fait passer le type de sol de graveleux à argileux en moins de 10 m. Vu la rudesse de l’hiver et la brièveté de la saison de croissance, le fait qu’il s’agisse de la plus vaste région viticole de la province semble invraisemblable. Mais depuis mon arrivée d’Angleterre, l’Okanagan prospère sur plus de 250 km. Je pars donc faire une mini virée sur la route 97 au départ de Kelowna pour visiter trois nouveaux venus récents et très différents sur la scène vinicole en constante évolution.
« Outre ses paysages de lacs et de montagnes, c’est une incroyable terre nourricière. »
À explorer le Garnet Valley Ranch de 130 ha, luxuriant et sauvage, je me croirais à l’époque des colons de la fin du 19e si ce n’était de luxes modernes tels que signal cellulaire (irrégulier) et caravane Airstream à panneaux solaires pour les clients y passant la nuit. La terre est quasi vierge, la vue libre de voisins et le silence absolu. Le vignoble verdoyant et les coteaux semi-arides de ce domaine inauguré en juin par Christine Coletta et Steve Lornie, de la Haywire Winery, est à la fois familier et différent de tout ce que j’ai vu.
Mme Coletta, à l’avant-garde de la viticulture bio depuis plus de 10 ans, me fait visiter ce creuset de biodiversité : champs de lavande en fleur, ruches, étang restauré avec son héron, bref, un Disneyland pour obsédés du développement durable comme moi. Elle conserve une petite superficie pour prendre de l’expansion, le reste est laissé à l’état sauvage. Le vaste domaine axé sur l’agriculture responsable contraste avec la petite production de 1200 caisses, issue de 26 ha de pinot noir, de chardonnay et de riesling certifiés bios. « La terre est une extension de nous, on doit en prendre soin, dit Mme Coletta. On voulait des cépages qui s’exprimeraient parfaitement sans fard. »
C’est le vignoble le plus élevé de la vallée, à environ 680 m d’altitude. Je savoure la vue des montagnes quand l’odeur d’un feu de camp me fait rêver à de prochaines vacances à l’un des trois sites de camping du domaine.
En après-midi, sur le chemin pour me rendre à Oliver, à une heure au sud, le paysage se désertifie. Même de loin, le luxueux Phantom Creek Estates en jette. Dans une région qui gagne en mégaprojets, je suis accueillie par deux imposants anges de 7 m de la sculptrice chinoise contemporaine Wu Ching Ju.
Les restos de proximité abondent dans les vignobles des environs, et je me suis lassée des crevettes tachées de Colombie-Britannique et des pizzas au four à bois. C’était avant que la cheffe de cuisine Alessa Valdez se joigne à l’équipe du vignoble en 2021, un an après l’ouverture. L’ex-cheffe des restos torontois Buca Yorkville, et Alobar met de l’avant produits de la ferme, techniques françaises et un peu de ses racines philippines. Le saumon arc-en-ciel saumuré se pare de concombre mariné aux piments, de caramel aux jaunes d’œufs et de vinaigrette à la sauce XO. Après avoir dévoré une bavette si tendre que le couteau de table suffit, avec minibrocolis, shichimi et sauce choron, puis une génoise pas trop sucrée aux fraises et au matcha, je suis repue, mais ne somnole pas, état idéal pour une dégustation de vins.
Attirée par les musiciens, je sors sur la terrasse avec un riesling bien minéral à la main. Vu la taille de l’édifice et l’intégration d’œuvres de techniques mixtes, je présumais à tort que le Phantom Creek Estates aurait l’arrogance idoine. Oui, c’est tape-à-l’œil, mais, depuis le couvert végétal clairsemé du vignoble jusqu’à la diversité des clients et du personnel, tout concourt à faire oublier l’abord intimidant.
Le lendemain, je me gare au District Wine Village, amphithéâtre circulaire animé bordé de 15 débits de boisson dans des édifices aux lignes pures. Le prix des terrains pour vignobles ayant grimpé jusqu’à une moyenne de 620 000 $ par hectare planté, ce carrefour communautaire aide les microvineries à démarrer dans des locaux de 140 m2, comme Apricus Cellars l’a fait en août 2022.
Ce producteur n’a pas de vignoble, mais avec Sam Baptiste à la direction, ce n’est pas nécessaire. Depuis 32 ans, l’ex-chef de la bande d’Osoyoos cultive la vigne aux Nk’Mip Vineyards, qui produit les vins de Nk’Mip Cellars, premier producteur de propriété et de gestion autochtones d’Amérique du Nord. Le viniculteur Aaron Crey (Première Nation Stó:lō) explique que tout, du pressurage du raisin obtenu de Nk’Mip à l’embouteillage, se fait au moyen d’équipement appartenant au District Wine Village, que se partagent ses producteurs.
Dans la vinerie de 93 m2, les fûts de chêne s’empilent jusqu’au plafond, le reste de l’espace étant occupé par des cuves en inox de location. En plus de bâtir l’éventail de vins abordables d’Apricus Cellars, M. Crey désire être une source d’inspiration : « Je veux que ceci serve de tremplin, que d’autres Autochtones viennent ici pour découvrir l’industrie, servir les vins avec nous, en apprendre plus sur les terres où nous sommes et éventuellement ramener toutes ces connaissances dans leur communauté. »
Sur la route sinueuse du retour, je souris. Je suis heureuse que la vallée de l’Okanagan continue d’établir de nouveaux repères et demeure aussi diversifiée que ses microclimats.
3 Vins du coin à boire
- Garnet Valley Ranch, Traditional Method Sparkling 2016 —
Élevé six ans, cet assemblage à parts égales de pinot noir et de chardonnay a des notes
de pain brioché et de zeste de citron.
- Phantom Creek Estates, Kobau Vineyard Cuvée 2019 —
Ce souple assemblage à la bordelaise de cabernet franc laisse poindre des saveurs de prune et de fruit mûr et une vive acidité.
- Apricus Cellars, Daybreak 2020 —
Assemblage d’ehrenfelser, de riesling et de pinot gris aromatique et gouleyant, aux notes d’agrumes et fin de bouche minérale.