Le riz sauvage a frôlé l’extinction, mais il pousse encore ici
Source naturelle et abondante de nourriture, cette graminée pousse en surface, mais ses racines sont profondes.
Le lac sur la réserve de Curve Lake, à quelque 25 km de Peterborough, Ontario, est bleu canard et lisse, et la scène serait aussi paisible qu’une balade dans les couleurs d’automne s’il n’y avait ces vols de bernaches cacardeuses. Saison de la chasse oblige, j’entends aussi les coups de fusil des chasseurs qui donnent des airs de champ de bataille à ce plan d’eau par ailleurs serein. Une chance que je porte mon k-way rouge.
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S’il a récemment frôlé l’extinction, le riz sauvage (ou zizanie des marais) pousse depuis des siècles, sur ces terres marécageuses. Source naturelle et abondante de nourriture, cette graminée indigène, qui a l’aspect du riz et dont on cuit les grains telle une céréale, a une délicieuse saveur de noisette grillée. Alors que nous pagayons dans son canot vert en fibre de verre, James Whetung me raconte que récolter cette plante est sa façon de préserver les traditions anichinabées. Il a appris à cueillir et à transformer le riz sauvage il y a plus de 30 ans, quand le ministère ontarien des Richesses naturelles a délivré un permis à un moissonneur commercial, puisqu’on n’en faisait presque plus la récolte. « On ne voulait pas ça », précise-t-il, une lueur dans le regard, en expliquant comment on a abouti à un accord. Quand je mentionne la cherté du riz sauvage par rapport au véritable riz, il secoue la tête en riant. « C’est facile à dire. Quand vous verrez le travail que ça demande, vous comprendrez que ça vaut le triple. »
Et s’écoule le jour, preuve de ce qu’il avance : nous sillonnons le lac avec deux bâtons lisses, un pour plier doucement les longues tiges au-dessus du canot, l’autre pour taper les panicules et faire tomber les graines dans l’embarcation. C’est comme ramasser de minuscules grains de riz à l’aide de baguettes ridiculement disproportionnées. De retour à la rive, Whetung étale les graines en longues piles dans la cave en ciment de sa grange près du lac, à côté de rangées de graines déjà en traitement. Pendant 10 jours, il fourchera les piles une fois par jour. C’est le début d’un processus visant à séparer de leur enveloppe les grains foncés et comestibles de riz sauvage.
Whetung me montre l’immense chaudron de fer où il torréfiera les grains. (D’habitude, il se sert d’une machine plus moderne et plus grande, me dit-il, mais aujourd’hui, nous suivons la tradition.) Il verse du riz déjà vieilli dans un petit sac, puis fait un feu qu’il entretient plusieurs heures, tandis que nous remuons en permanence le riz avec une spatule de bois pour une torréfaction uniforme. Au début, les grains s’agglutinent et je me prends à rêver à un pouding au riz sauvage, mais en séchant, ils se séparent et acquièrent une odeur de beurre rôti et une couleur champagne foncé. (Mes pensées se tournent vers un riz frit à l’anichinabée.) Puis nous laissons le feu s’éteindre et faisons refroidir la marmite. « C’est le temps de la danse du riz », annonce Whetung.
J’enfile des mocassins de cuir tanné, monte dans le chaudron et m’appuie sur une paroi tout en repoussant le riz de l’autre côté avec mes pieds, comme si j’apprenais à faire un ciseau de brasse dans une barboteuse. J’ai l’impression de nager dans du sable mouvant. Je jette l’éponge au bout de quelques minutes, mais Whetung continue pendant une heure, peinard. Nous transvasons le riz presque entièrement décortiqué pour l’empiler au centre d’une grande couverture, que nous empoignons à quatre par les coins pour vanner le riz, en le lançant dans les airs pour que le vent du soir emporte toute la paille avant de le rattraper dans la couverture. Le riz peut maintenant être apprêté et mangé. La fille de Whetung prépare de savoureuses courges poivrées farcies de riz sauvage, qui s’avèrent valoir leur pesant d’or.
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