« T’en veux ? » me demande Dula, qui m’assure qu’une petite dose ne me gèlera pas. Je décline poliment, voulant m’éviter un bad trip en pleine brousse tanzanienne. Et puis, n’a-t-on pas déjà assez abusé des abeilles ?
L’apiculteur de cinquième génération sort de sa sacoche un sac de plastique rempli de champignons en forme de muffin et à la couleur de bouse de vache séchée, des vesses-de-loup, dont les Massaïs de Tanzanie et du Kenya se servent depuis des siècles pour dompter les abeilles ; leurs spores délogent les insectes de leurs ruches et les abrutissent. (Les Anichinabés du sud du Québec utilisent la même technique.) Car la piqûre pour l’apiculture, mieux vaut l’avoir au sens figuré.
Voilà pourquoi il n’y a que moi qui enfile (à tout hasard, vous savez ?) une combinaison protectrice derrière la maison de Dula, à Tengeru, à environ 35 km d’Arusha, dans le nord de la Tanzanie. Dula, sans la moindre protection, prend une vesse-de-loup, le nuage de spores lui faisant secouer la tête avec vigueur. Je le suis dans un champ par-delà un enchevêtrement de cactus. Des ruches fixes sont suspendues aux acacias.
Jeunes, les vesses-de-loup sont couleur crème, tels les champignons de Paris ; mûres, elles sont pleines de poussière. En silence et suant dans ma combinaison, j’observe Dula qui en met des morceaux « fumants » dans les petites ouvertures d’une ruche ; le bourdonnement s’intensifie, momentanément, avant de s’arrêter sec. Quelques abeilles s’échappent ; de nombreuses autres tombent au sol, étourdies. Dula détache la ruche de l’acacia. Quand il l’ouvre, ses locataires s’écrasent par terre en tapon, assommées par les spores. J’en ramasse une poignée, et elles glissent entre mes doigts gantés, telle une sorte de pouding d’abeilles. Dula doit sentir mon trouble, même à travers la toile de mon vêtement. « Elles se réveilleront d’ici deux heures », m’assure-t-il.
Mais ce n’est pas ce qui me chicote. Revenue à la maison, je retire ma protection inutile, gênée de ne pas avoir cru au pouvoir des vesses-de-loup. Lors du retour vers Arusha, alors que le soleil se couche au loin derrière le mont Méru, je m’en veux d’avoir été une mauviette. Mais désormais, je sais : la vie est une spore (pas si) dangereuse.