La révolution des petites manufactures de Détroit —

Après des décennies de stagnation, le centre–ville de Détroit renaît.

Dans un vaste édifice industriel de l’ouest de Detroit, 50 personnes travaillent avec zèle à une chaîne de montage, penchées sur des outils à renvoi d’angle, à assembler des vélos urbains sur mesure. Certains installent des garde–boue sur le C–type, un vélo à pignon fixe avec guidon de course, d’autres règlent le B–type, un vélo de ville classique à cadre ouvert (offert en vert menthe rafraîchissant).

05 septembre 2018
Illustration colorée d'un homme à vélo.

Fondée en 2011 par le Calgarien Zak Pashak, Detroit Bikes fabrique environ 8000 vélos par an, soudant à la main des cadres aux tubes d’acier américain et alignant des roues fraîchement lacées sur place. La ville qui lui donne son nom offre aussi la meilleure main–d’œuvre possible au seul fabricant de vélos à grand volume des États : « Bricoler et réparer, on a ça dans le sang ici », explique le directeur de l’exploitation de Detroit Bikes, Chris Kiesling. « L’assemblage, ça nous connaît. » Quand il a établi l’entreprise à Detroit, Pashak n’a pas trouvé qu’une main–d’œuvre qualifiée et affamée d’emplois, mais aussi un coût de la vie bas et des propriétés abordables, résultat de décennies de déclin.

Detroit Bikes s’inscrit désormais dans une mouvance de petits fabricants qui réinvestissent à Detroit et réintroduisent la culture maker de la ville. La marque branchée et haut de gamme Shinola emploie 250 personnes à assembler platines, montres et articles de maroquinerie. Renchérissant sur l’influence musicale de Motown, Jack White a ouvert Third Man Pressing en 2017, une usine de pressage où huit presses à vinyles façonnent des disques alimentant la renaissance du microsillon.

Ouvriers d'usine de Detroit.

Detroit est aussi un musée vivant des transports : en plus d’être le centre de l’univers automobile américain, elle propose un monorail inauguré dans les années 1980, une culture du vélo en expansion et le nouveau tramway QLine de 5 km, lancé en 2017. « Detroit a eu un vaste réseau de trams jusque dans les années 1950, quand on l’a démantelé et vendu », me raconte Jacob Jones, 26 ans, devant un café matinal dans le hall du David Whitney Building, gratte–ciel historique devant Grand Circus Park. Indifférence à l’égard du transport en commun et tensions socioéconomiques ont contribué à l’abandon des vieux quartiers. « La population de la ville diminue chaque année depuis », ajoute–t–il. Et d’après le recensement de 2016, elle est toujours en déclin. Guide pour la firme de design et de visites guidées Pure Detroit, qui fait la promotion de la ville, Jones me montre plusieurs monuments sur Woodward Avenue, où les façades rénovées sont un signe que le centre–ville reprend vie ; les vélos filant sur la voie réservée de l’artère principale de Detroit en sont un autre.

Au moins un acteur local de longue date s’est rallié à la cause du renouvellement urbain. En juin, la Ford Motor Company, fondée à Detroit en 1903, a annoncé avoir acquis Michigan Central Station, depuis longtemps symbole du déclin de la ville. L’édifice, vide depuis 1988, sera réaménagé par l’agence d’architecture Snøhetta et deviendra la pièce maîtresse du nouvel emplacement de Ford au centre–ville. Le constructeur automobile a investi 11 milliards dans les véhicules électriques et autonomes, et 200 employés seront affectés ici à un pôle de recherche. C’est un aperçu du futur qui n’a rien d’un come–back. Les gens de Detroit vous diront qu’ils ne sont jamais partis.