Liberté et résistance en costumes dans les Amériques
Le photographe français Charles Fréger prend des portraits de gens en uniformes et en costumes depuis la fin des années 1990. Sa dernière collection, Cimarrón: Freedom and Masquerade, présente ceux portés par des descendants d’esclaves africains dans les Amériques. Pour monter le projet Cimarrón (terme hispano-américain désignant les esclaves en fuite), Fréger a voyagé de la Colombie aux Caraïbes, en passant par le Brésil, l’Amérique centrale et le sud des États-Unis. Nous lui avons demandé de nous parler de la genèse de son projet et du lien de confiance entre lui et ses sujets.
enRoute Comment est né Cimarrón?
Charles Fréger En 2011, j’ai eu l’idée de photographier les Indiens du Mardi gras [ces festivaliers afro-américains qui portent des costumes influencés par les cérémonies autochtones lors du Mardi gras] de La Nouvelle-Orléans. Puis j’ai eu envie d’aller plus loin. Cimarrón est né en 2014.
En parlant de leurs traditions, ils ont exprimé ce qui est devenu le thème central du projet : ces Afro-Américains disent porter l’héritage culturel africain, tout en revêtant leurs costumes de plumes en hommage aux peuples autochtones qui ont accueilli les esclaves en fuite.
Dans la première série, il y avait une trilogie de cultures, trois influences : le carnaval européen, la culture afro-américaine et la culture autochtone.
er Qu’est-ce qui unit les photos du projet Cimarrón?
cf Le projet montre ce choc des cultures. La rencontre de trois influences différentes sur un territoire où se mêlent choc, domination et syncrétisme (un mélange de cultures et la façon dont elles s’influencent).
Quand je parle de choc et de domination, c’est que les colonisateurs ont forcé leur culture aux peuples autochtones et aux esclaves. Ces deux derniers groupes ont incorporé leurs religions et cultures, selon leur propre interprétation de la culture coloniale, afin de résister, en quelque sorte.
La question est complexe, puisque ces traditions mêlent trois cultures. Parfois, la signification première d’une danse ou d’un rituel est religieuse, vient d’une célébration ou est influencée par le christianisme. Mais le sens propre a été détourné. Le projet s’intéresse à ce détournement.
er Comment avez-vous mené vos recherches?
cf C’est comme forer du pétrole. Vous creusez pour voir s’il y a quelque chose. Et puis vous devez regarder autour s’il y a plus. Peut-être trouverez-vous une source, peut-être ne trouverez-vous rien. Habituellement, on réalise que le territoire est plus grand que prévu et il faut le sonder plus largement.
er Comment avez-vous bâti le lien de confiance avec les sujets?
cf C’est un travail d’équipe. Je ne sais pas s’il s’agit de confiance. Ce sont des gens qui acceptent de nous recevoir pour quelques heures afin d’être photographiés, et ce, hors du contexte de la tradition (donc pas au moment de la célébration). Ils acceptent de créer une représentation, de montrer une représentation d’eux-mêmes. En ce sens, mon travail en est un de représentation.
L’écrivaine française Marie Darrieussecq décrit mon travail ainsi : «Des êtres humains debout sur la planète.» Ça me plaît bien. Je voyage partout et je photographie des gens debout. Être debout signifie être en vie. C’est une prise de position que d’être debout et de regarder l’objectif en affichant votre identité avec force et fierté.
Pour voir toutes les photos, procurez-vous une copie de Cimarrón: Freedom and Masquerade