Liberté et résistance en costumes dans les Amériques

Le photographe français Charles Fréger prend des portraits de gens en uniformes et en costumes depuis la fin des années 1990. Sa dernière collection, Cimarrón: Freedom and Masquerade, présente ceux portés par des descendants d’esclaves africains dans les Amériques. Pour monter le projet Cimarrón (terme hispano–américain désignant les esclaves en fuite), Fréger a voyagé de la Colombie aux Caraïbes, en passant par le Brésil, l’Amérique centrale et le sud des États–Unis. Nous lui avons demandé de nous parler de la genèse de son projet et du lien de confiance entre lui et ses sujets.

24 Octobre 2019
Une personne en costume se dresse sur une plage devant un plan d'eau. Le corps entier de la personne est masqué par les cheveux blancs du costume et une paire de cornes fait saillie sur le côté de la "tête" du costume.
JAM BULL Saint Croix, Îles Vierges Américaines
Une personne en costume se tient à côté de la caméra, posant avec son bras gauche en l'air et sa droite à côté de lui. Le costume comprend une très longue perruque, noire en haut et bleue en bas. Il est debout dans un champ d'herbe.
TIFUÁS San Juan de la Maguana, République Dominicaine

enRoute Comment est né Cimarrón?

Charles Fréger En 2011, j’ai eu l’idée de photographier les Indiens du Mardi gras [ces festivaliers afro–américains qui portent des costumes influencés par les cérémonies autochtones lors du Mardi gras] de La Nouvelle–Orléans. Puis j’ai eu envie d’aller plus loin. Cimarrón est né en 2014.

En parlant de leurs traditions, ils ont exprimé ce qui est devenu le thème central du projet : ces Afro–Américains disent porter l’héritage culturel africain, tout en revêtant leurs costumes de plumes en hommage aux peuples autochtones qui ont accueilli les esclaves en fuite.

Dans la première série, il y avait une trilogie de cultures, trois influences : le carnaval européen, la culture afro–américaine et la culture autochtone.

Une personne en costume se tient devant de courts palmiers. Le costume masque tout le visage et le corps de la personne, avec un casque à grosses cornes et une forme conique, comportant des trous pour les yeux et un trou pour la bouche, et une grande robe en papier déchiré au bas.
PLATANUSES Cotuí, Sánchez Ramírez, République dominicaine
Une personne vêtue d'un costume aux couleurs vives et comportant des éléments du drapeau brésilien se tient devant des dunes de sable herbeuses.
CARETAS DE TRIUNFO Caruaru, Pernambuco, Brésil

er Qu’est–ce qui unit les photos du projet Cimarrón?

cf Le projet montre ce choc des cultures. La rencontre de trois influences différentes sur un territoire où se mêlent choc, domination et syncrétisme (un mélange de cultures et la façon dont elles s’influencent).

Quand je parle de choc et de domination, c’est que les colonisateurs ont forcé leur culture aux peuples autochtones et aux esclaves. Ces deux derniers groupes ont incorporé leurs religions et cultures, selon leur propre interprétation de la culture coloniale, afin de résister, en quelque sorte.

La question est complexe, puisque ces traditions mêlent trois cultures. Parfois, la signification première d’une danse ou d’un rituel est religieuse, vient d’une célébration ou est influencée par le christianisme. Mais le sens propre a été détourné. Le projet s’intéresse à ce détournement.

Une femme debout devant une zone herbeuse avec un plan d'eau à l'arrière-plan porte un costume comportant une énorme coiffe à plumes et des rubans coulants de nombreuses couleurs.
RAJADA São Luís, Maranhão, Brésil
Un homme portant un énorme chapeau jaune en fourrure ou en plumes et un costume en tissu similaire se tient devant un champ et des arbres.
CABOCLO DE PENA São Luís, Maranhão, Brésil

er Comment avez–vous mené vos recherches?

cf C’est comme forer du pétrole. Vous creusez pour voir s’il y a quelque chose. Et puis vous devez regarder autour s’il y a plus. Peut–être trouverez–vous une source, peut–être ne trouverez–vous rien. Habituellement, on réalise que le territoire est plus grand que prévu et il faut le sonder plus largement.

Une personne portant une cape rouge et un costume avec un grand chapeau avec un dôme bleu et une grande plume rouge et noire sur le dessus se tient sur le sable avec son côté à la caméra, tenant un fouet. À l'arrière-plan se trouve un plan d'eau.
CAPORAL, SON DE LOS DIABLOS Lima, Peru
Une personne vêtue d'un costume orné et multicolore comportant beaucoup de broderies et un grand masque ressemblant à une créature magique ou à un monstre se dresse dans un champ d'herbe.
REY MORENO Y MORENADA Puno, Puno, Peru

er Comment avez–vous bâti le lien de confiance avec les sujets?

cf C’est un travail d’équipe. Je ne sais pas s’il s’agit de confiance. Ce sont des gens qui acceptent de nous recevoir pour quelques heures afin d’être photographiés, et ce, hors du contexte de la tradition (donc pas au moment de la célébration). Ils acceptent de créer une représentation, de montrer une représentation d’eux–mêmes. En ce sens, mon travail en est un de représentation.

L’écrivaine française Marie Darrieussecq décrit mon travail ainsi : «Des êtres humains debout sur la planète.» Ça me plaît bien. Je voyage partout et je photographie des gens debout. Être debout signifie être en vie. C’est une prise de position que d’être debout et de regarder l’objectif en affichant votre identité avec force et fierté.

Pour voir toutes les photos, procurez–vous une copie de Cimarrón: Freedom and Masquerade

Une personne en costume est assise sur un cheval tenant un drapeau. Le costume comporte un masque monstrueux, de longs cheveux et un pantalon blanc déchiré.
CACHACEROS San Martín, Meta, Colombie
Une personne vêtue d'un costume rose vif et bleu vif fleuri et coloré qui masque ses traits se tient devant un mur rose sur un sol rose.
SPY BOY KENNETH, MOHAWK HUNTERS New Orleans, Louisiana, Étas–Unis