Li’l Star est une jument Missouri Fox Trotter. À 20 ans, elle est de 18 ans ma cadette, mais aussi, suivant la coutume que multiplier par trois l’âge d’un cheval permet d’obtenir un équivalent humain, assez vieille pour être ma mère. C’est un des nombreux paradoxes de la relation que nous établirons ces prochains jours au Moose Mountain Ranch, une entreprise familiale d’équitation à environ une heure à l’ouest de Calgary. En théorie, c’est moi qui tiens les rênes. Mais le pays de Kananaskis est le sien, et dans ces contreforts, Li’l Star connaît par cœur chaque cascade, fondrière de mousse et accident de terrain dans la forêt.
Dans un enclos labouré par les sabots derrière le ranch, je tends la main et la pose prudemment sur son énorme joue, sous son grand œil brun aux airs de soucoupe ciliée. C’est la plus grosse bête que j’aie jamais touchée. Elle fronce sa bouche sensible comme si elle était au bord des larmes. Selon Neil MacLaine, « c’est comme un premier rendez–vous : on y apporte des roses rouges, pas un panier de linge sale ». Une douzaine de chevaux nous tournent autour ; les MacLaine en gardent une quarantaine, dans tous les tons de blanc, de noir, de bai–brun et de palomino, prêts pour des randonnées d’une semaine avec cavaliers chevronnés ou des excursions d’un jour avec des néophytes comme moi.
M. MacLaine, qui coiffe son épaisse chevelure blanche d’un chapeau de cow–boy, est un ex–officier de l’Armée canadienne ayant servi à Chypre et dans l’Extrême–Arctique, où il a appris des Rangers canadiens à se préparer à une possible invasion soviétique dans les années 1980. Il s’est établi il y a une trentaine d’années au pays de Kananaskis avec quatre chevaux et un troupeau de bovins, mais l’élevage n’était pas pour lui ; ce qu’il aimait, c’était les randonnées équestres de plusieurs jours. « On appelle ça un passe–temps qui a dérapé », lance–t–il. À présent, ce cow–boy philosophe, qui gère le ranch avec son épouse, Undine, mène une quête sans fin de la parfaite métaphore équine. « Un cavalier débutant, c’est comme un suppléant à l’école », déclarera–t–il. Ou : « Certains chevaux sont des Porsche et d’autres des tracteurs, et on ne passe pas une Porsche à un apprenant. »