Vu mon mal de cœur, El Mestizo serait–il, encore une fois, hors de portée ? Le chauffeur prend à toute allure les lacets serrés de la montagne, sans se soucier des brusques dénivellations ou des estomacs fragiles des étrangères à l’arrière. Entre deux profondes inspirations, je m’efforce de garder les yeux sur la route. Il y a des semaines que je tente de dîner à El Mestizo. D’abord, la date de sa réouverture m’a échappé. Puis des barrages routiers de manifestants m’ont coincée à Cuenca, en Équateur, où j’ai mes pénates. Et hier il s’est mis à neiger à plein ciel, et le sol s’est couvert d’un épais et rare duvet blanc. Maintenant que je suis finalement en route, je doute encore de parvenir à mes fins.
La voiture file presque tout droit quand mon amie s’écrie : « ¡Aquí! » (« c’est ici »). El Mestizo profite du soleil qui chauffe le village de Molleturo, à 75 minutes de route de Cuenca. J’observe le portail chocolat et les parures anthracite avant de repérer le véritable objet de ma visite : un gigantesque rocher, haut de deux étages, qui, détaché de la montagne en février dernier, s’est écrasé contre un angle du resto, bloquant sa vitrine.