Le festival international des drag queens d’Austin sous toutes ses coutures —

Paillettes, perruques et (beaucoup de) fond de teint : notre reporter se déhanche au « SXSW des drag queens ».

« Dans ce cours, on s’exerce le visage », explique Crimson Kitty en arpentant la salle de réunion de l’hôtel en robe blanche flottante alors qu’elle jauge ses élèves. Avec la dizaine d’autres inscrits à Lip Sync 101, j’essaie de chanter en play–back 9 to 5 de Dolly Parton, qui joue à tue–tête sur un stéréo portatif. « Si vous ne la savez pas, ce n’est pas grave », dit Crimson en revenant sur ses pas. « Remuez les lèvres comme pour dire : “Watermelon, apple, orange.” »

Je suis à Austin pour l’International Drag Festival, qui en est à sa quatrième année. Imaginez SXSW, mais avec des essayages de perruques en plus des tests de son. Plus de 20 cours sont offerts pendant cette fête de quatre jours, et celui–ci est bien plus ardu qu’il en a l’air. Pour notre deuxième chanson, on nous demande de bouger en interprétant Material Girl de Madonna : « Défilez comme si vous étiez couverts de diamants », précise Crimson. J’arrive difficilement à intégrer cette contrainte et finis par déambuler sans but dans la pièce en agitant gauchement mains et bras tel un agent de la circulation. Mais je m’en tire mieux avec la troisième consigne. Crimson nous demande d’extérioriser nos émotions en pensant à quelqu’un qui nous a fait du tort. Je dois faire quelque chose de bien, le visage aussi renfrogné que barbu, en mimant Dancing On My Own de Robyn le regard dans le vague, car on me gratifie à la mi–chanson d’une volée de claquements de doigts et de « Yas queen! ».

05 juin, 2018
Helvetica Font, de Portland
De gauche à droite : Helvetica Font, de Portland, a du caractère ; le talon est partout à l’International Drag Festival d’Austin.

La culture drag vit présentement une sorte de renaissance culturelle. RuPaul’s Drag Race, poids lourd de la téléréalité où les drags s’affrontent dans une série de défis de stylisme, de jeu et d’humour, en est à sa 10e année. Chez moi, chaque épisode est célébré comme La soirée du hockey, avec bières, grignotines et cris dirigés vers l’écran. L’émission est aujourd’hui une fabrique de stars. Avec l’essor sur Facebook et YouTube des mèmes internet, des tutoriels de maquillage et plus encore, ce qui était une petite industrie en grande partie locale et limitée à la communauté LGBTQ est devenu viral. Cette forme d’art suscite un nouvel appétit. Certains parcourent le monde pour leur amour de la culture drag et j’en suis.

Je ne peux imaginer meilleur endroit qu’un Holiday Inn au centre du Texas pour tenir un événement aussi burlesque. On y trouve tout ce qu’on attend de la chaîne bon marché : murs et mobilier aux tons chauds de beige et de brun, tables rondes avec nappes blanches dans les salles de réunion, lumière fluorescente au plafond. Sur cette sobre toile de fond, tout ressort, y compris la traînée de brillants et de paillettes sur le tapis de peluche entre l’ascenseur et la chambre de mon ami Matt. On y a improvisé un studio photo et invité chaque personnage coloré qu’on croise à y prendre la pose. Ils viennent de partout : Melbourne, Berlin, Brooklyn, Los Angeles, Portland, Cleveland, Victoria, Toronto. Une drag vaporeuse, Cheddar Gorgeous, de Manchester, rigole : « L’aspirateur va avaler des brillants pendant des mois. »

Deux drag-queens
Deux drag–queens observent le spectacle au Sidewinder.

En bas, dans sa chambre, le Canadien Chris Pelrine nous laisse assister à sa transformation en Kristi Davidson, un éventail de pinceaux de maquillage, de fards et de fonds de teint sur le comptoir de la salle de bain. À Halifax, Kristi vient de célébrer ses 10 ans d’existence, mais à Austin, c’est une inconnue. Chris espère se faire un nom ce soir en révélant un des personnages de Kristi : Patti Mae, une croyante qui craint pour l’âme de son neveu gai. Ce numéro est un mélange exaltant d’un gospel et d’un monologue de The Big Gay Musical, à grand renfort de tambourin. Maquillé, Chris enfile la robe de velours fleurie de roses qu’il a lui–même faite tandis que David, son conjoint, le pare d’un bracelet scintillant. « J’ignore ce qui va ressortir de ce soir », déclare Chris en rajustant sa perruque rousse devant le miroir. « L’objectif suprême serait de voyager plus, de faire valoir le talent d’Halifax. »

Étant un OSBL, le festival drag–queen d’Austin s’occupe moins de célébrité que d’offrir un tremplin aux artistes pour faire avancer leur carrière et perfectionner leur art (dans des cours comme Survival Sewing, Audition Tapes et It’s Not Drag, It’s a Business!). Et la diversité est immense, avec presque autant de drag–kings que de drag–queens, et des drags à barbe, des femmes drag–queens, des drags de concours et des drags épeurantes, plus des artistes de burlesque et des performateurs non–binaires. Et il y a le public.

La belle du Sud et le plumage électrique
De gauche à droite : La belle du Sud Symone N. O’Bishop, de Beaufort, en Caroline du Sud ; le plumage électrique de Goldie Peacock, de Brooklyn.

J’observe une femme en hidjab donner 1 $ de pourboire à Viola DeGradable–Debris, qui plane sur son hoverboard dans la salle de bal de l’hôtel en mimant Xanadu d’Olivia Newton–John dans sa robe de papier bulle couleur sarcelle. Des enfants regardent avec leurs parents, fascinés par toutes ces excentricités. Je repère trois ados à l’avant et leur demande pourquoi elles sont venues. « C’est une communauté si accueillante et une super façon de s’exprimer », affirme McKenna, 15 ans, qui arbore elle–même un œil charbonneux. « Et quiconque affirme que le maquillage n’est pas de l’art a tort. C’est beau. »

Je me suis habillé en drag quelques fois (surtout avec des amis, ou à l’Halloween), mais je ne me suis jamais senti « belle ». Je m’attarde à une table où l’on offre une séance de maquillage auprès d’un pro, et je suis tenté, puis je me ravise. Je suis ici à titre de groupie. Et avec ma barbe et mes bras poilus, je suis loin d’être aussi ravissante que le reste de la salle.

Femme fatale
De gauche à droite : Loris, femme fatale et vedette de la téléréalité Dragula ; Viola DeGradable–Debris, gagnante du concours de beauté Miss Pink Flamingo 2018.

Plus tard en soirée, Matt et moi allons au centre–ville pour les représentations nocturnes. Tout le monde s’entasse dans la navette de l’hôtel, drag–queens et drag–kings d’abord. Nul ne nous connaît, mais c’est le cas de chacun. On s’échange des noms, on fait des blagues (que je ne peux répéter ici), de grandes mains à faux ongles sortent des téléphones pour des photos et échanges de numéros.

La navette nous dépose dans le Red River Cultural District d’Austin, où près de 200 artistes se relaieront aux 10 minutes sur les scènes de trois bars de quartier voisins au cours des prochaines soirées. Ce ne sont pas des bars gais, et l’orientation sexuelle du public ne se laisse pas deviner. Aucune importance : il n’y a que des sympathisants, dont Holly et Katura, deux meilleures amies venues d’Hawaii et de l’Alaska, respectivement. Holly assiste au festival depuis la première année. Sur l’île d’Hawaii, elle est orthophoniste, mais ce soir, elle est subjuguée par les habiletés motrices des artistes. « Elles vivent mon rêve, dit–elle. L’âme à nu, ne sont–elles pas magnifiques ? »

Dernier coup de brosse
Dernier coup de brosse au quartier général du festival, dans la salle de bal principale du Holiday Inn.

Elle a raison. Il se passe plein de belles choses flyées dans ce bar. Comme pour tout mouvement qui se popularise, des ramifications alternatives germent des racines, et je suis fasciné par les numéros plus marginaux et audacieux. Une drag de Providence du nom de Complete Destruction me ravit avec une douce ballade pop dont le refrain mielleux semble possédé par un démon. Tout de noir vêtue avec une grosse perruque rouge, elle finit son numéro comme le ferait Nosferatu : en hurlant face au public. Puis il y a Loris, de Suisse, qui se présente sur scène vêtue d’un justaucorps noir, d’une perruque blonde et d’un masque de reptile vert pour chanter du Nine Inch Nails. Ses lèvres de lézard travaillent fort sous le silicone, mais elle ne manque pas un mot.

Shyanne O’Shea
De gauche à droite : Shyanne O’Shea en performance ; ce festival, c’est le pied.

Mais nulle ne m’émeut autant que Symone N. O’Bishop, de Beaufort, en Caroline du Sud, qui prononce quelques mots après son interprétation du libérateur Hate On Me de Jill Scott. Dans sa robe jaune vif, ses bottes rouges aux genoux et sa perruque afro, elle a une taille mannequin parfaite. « Je me faisais tabasser parce que je jouais aux Barbie, dit–elle au micro. Et je me suis dit que si je devais subir des raclées parce que je jouais aux Barbie, j’étais aussi bien d’en devenir une. » La foule hurle son soutien, et elle sourit. « Maintenant je sais que je suis ici à ma place. »

Le dernier matin du festival, je constate à quel point tout le monde est grisé par la fatigue. Certains reviennent à l’hôtel après le déjeuner, portant encore le maquillage de la veille. D’autres sont sur leur départ, traces de mascara apparentes. « À l’année prochaine ! » entends–je quelqu’un crier à un ami, comme au dernier jour d’un camp de vacances. Et bientôt, les couloirs de ce Holiday Inn sont silencieux. Vie et couleurs s’en sont allées, sauf pour ce qui traîne sur le tapis. Je me retrouve à penser que j’aurais dû profiter de la séance de maquillage. Je n’aspire peut–être pas à devenir la prochaine superstar des drags, mais je peux toujours faire semblant.


La drague

Devenez une autre durant ces événements internationaux de drag–queens.

Laila McQueen
Laila McQueen, une des vedettes de la saison 8 de RuPaul’s Drag Race.

Austin International Drag Festival

November 15–18 Austin, austindragfest.org

Broken Heel Festival

Rendez–vous à Broken Hill alors que la ville minière de la Nouvelle–Galles du Sud rendue mondialement célèbre par Les aventures de Priscilla, folle du désert tient son festival annuel en l’honneur de ce classique culte.

Du 7 au 9 septembre Broken Hill, Australie, bhfestival.com

RuPaul’s DragCon

Voyez toutes vos drags préférées de la télé comme BenDeLaCreme et Alyssa Edwards dans une même salle huppée à cet événement (style congrès Star Trek avec de plus beaux costumes).

Du 28 au 30 septembre New York, rupaulsdragcon.com

Queens Overboard

Les légendes Heklina et Peaches Christ pilotent cette croisière dans les Antilles qui promet du bon temps, avec spectacles dignes de Broadway et bingo en drag.

Du 2 au 9 février Au départ de Miami, queensoverboard.com


Carnet de voyage

Austin Motel
De gauche à droite : Bienvenue au Austin Motel, nouvellement rénové ; Kristi Davidson, d’Halifax, en transformation

Austin Motel

La star hôtelière texane Liz Lambert a refait une beauté l’an dernier à ce motel de 1938. Les 41 chambres totalement rénovées de l’édifice rendent hommage à sa gloire des années 1950 : bases de lit en vinyle capitonné, téléphones en forme de lèvres et papier peint voyant.

On a aimé se prélasser toute la journée à la piscine de 100 m2 en forme de haricot (les jouets de piscine décalés ont aussi fait des vagues).

austinmotel.com