Les bijoux d’argent faits main que tout le monde s’arrache à Tokyo

Comme toute quête du Graal, l’acquisition d’un bijou Goro’s en argent fait main est nimbée de mystère : même le plus zélé des chercheurs peut revenir bredouille. Il n’y a qu’une seule boutique, dans un immeuble couleur Creamsicle à l’orange du quartier Harajuku. Y entrer exige savoir–faire et coup de bol, et parfois huit heures d’attente en file.

L’histoire va comme suit : feu Goro Takahashi a été initié, ado, au repoussage du cuir par des soldats américains basés à Tokyo dans les années 1950. Ceci l’a amené à se rendre ensuite aux États–Unis, où il s’est intéressé aux cultures autochtones et a appris la gravure sur argent, y compris des techniques traditionnelles navajos. Il s’est lié d’une profonde amitié avec les Lakotas du Dakota du Sud, qui l’ont baptisé Yellow Eagle.

Cette expérience a modelé son art, et une plume sacrée est devenue son symbole fétiche. On considère que Takahashi, qui a ouvert boutique en 1972, est à l’origine de la demande insatiable des Japonais pour la joaillerie amérindienne. Comme il ne fabriquait que quelques bijoux par jour, seul un petit lot de clients pouvait entrer dans sa boutique et en acheter. Quand la mode de rue a décollé dans Harajuku, dans les années 1980, le statut culte de Goro’s s’est imposé. Et les files ont allongé.

28 août 2019
Une photo en noir et blanc de clients pleins d'espoir qui font la queue pour entrer dans la bijouterie

Takahashi est mort en 2013, mais son héritage subsiste dans la minuscule boutique familiale. Les pendentifs, bagues et bracelets convoités restent difficiles à obtenir, même si des tuyaux non officiels pour en dénicher se transmettent de bouche à oreille : arrivez avant 10 h, faites la file pour un tirage donnant droit d’entrer, attendez encore, croisez–vous les doigts.

À ce qu’on dit, le personnel ne vendra que ce qui sied à un client. « La plupart des gens en veulent parce que c’est difficile à obtenir », affirme le consultant en création et blogueur mode montréalais Marcus Troy, qui a amassé 25 articles Goro’s en 10 ans. Mais les vrais adeptes y voient quelque chose de plus : les bijoux sont censés porter l’esprit de Goro. « Une des filles [de Takahashi] m’a dit qu’il aimait que des gens de l’extérieur du Japon possèdent ses créations, précise le blogueur, parce qu’il avait l’impression de voyager avec elles. »
 

Une brève histoire de Goro’s

Milieu du XIXe siècle Atsidi Sani, qu’on dit être le premier orfèvre navajo, apprend son art d’un artisan mexicain ; des générations plus tard, la même tradition inspirera Goro Takahashi.

Années 1960 Takahashi part aux États, où il se lie d’amitié avec des tribus amérindiennes et reçoit un nom honorifique lors d’une cérémonie sacrée.

Années 1970 Takahashi crée son motif de plume d’aigle sacré, mu par son désir de porter ce symbole de courage (d’habitude réservé aux cérémonies) en tout temps.
 

Allez–y Préparez–vous à faire la file devant cet immeuble unique, à deux pas d’Omotesando Hills, haut lieu du magasinage. Goro’s Bldg. 2F, 4–29–4 Jingumae, Shibuya–Ku, Tokyo