Dans l’étroit escalier qui descend au Discount Suit Company, à Londres, je dois pencher la tête pour ne pas me cogner. L’immeuble d’angle du XVIIIe siècle de Spitalfields est l’endroit rêvé pour un bar à cocktail caché aux plafonds bas, et archibas à l’entrée. Située dans la resserre du tailleur qui était autrefois établi au rez–de–chaussée, cette cave n’était pas prédestinée à accueillir les branchés de l’est de Londres désirant lâcher leur fou. Mais les voilà, en foule compacte dans ce décor à l’éclairage tamisé, aux murs de brique et poutres apparentes et aux causeuses en cuir favorables aux échanges discrets, malgré le bruit ambiant.
Je me glisse jusqu’au comptoir où les barmans jouent du shaker au son de vieux airs de soul. Le groove est dû au 45–tours qui joue sur la platine dans le coin du bar. On change de disque et je reconnais les premières notes de Tainted Love, mais il y a un hic. Ce n’est pas la fameuse version de 1981 de Soft Cell, qui s’ouvre sur des bips aux synthés, mais plutôt celle de 1965, plus coulante et dansante, lancée au moment où cet édifice était encore voué à la confection d’étoffes bon marché. La voix rauque qu’on entend est celle de Gloria Jones, une musicienne américaine devenue célèbre sur le tard au Royaume–Uni, où on l’a baptisée la Northern Queen of Soul.