Des pandas dans leur habitat naturel dans un parc national en Chine
Un nouveau parc national du Sichuan est un refuge pour pandas, symbole mondial de protection de la faune.
L’article « Aventures au pays des pandas » a été publié à l’origine dans le numéro d’octobre 2018 d’Air Canada enRoute.
Notre guide Tang Bing s’arrête net près d’une grande paroi rocheuse des monts Min, dans l’ouest de la Chine. Après des heures à randonner parmi les ruisselets et chutes d’eau des luxuriantes forêts tempérées de la réserve naturelle de Laohegou, je n’ai pas vu grand-chose hormis un venimeux crotale à taches rouges blotti dans l’herbe. Mais cette fois, Tang pointe le sol de sa kandao, une machette recourbée qui fauche à merveille les branches rebelles. « Pas un autre serpent, j’espère », me dis-je. Quand je m’approche, il dévoile sa trouvaille, de la taille d’une brique : une boulette de pousses de bambou mal digérées, bref, une crotte de panda. Du caca de panda sauvage.
Avant que je m’emballe, Tang nuance : l’excrément n’est pas frais, c’est plutôt un reliquat vieux de six mois. N’empêche, peu de gens approcheront jamais de plus près un panda sauvage. On estime que dans cette réserve privée de 110 km2 à la frontière entre les provinces du Sichuan et du Gansu, vivent 13 des 1864 pandas sauvages du pays, la plus forte densité au monde. Mais peu de chercheurs à Laohegou en ont vu. Même Tang, qui habite le village juste hors des grilles de la réserve, me dit que sa dernière rencontre date des années 1980.
L’agence de voyages de luxe WildChina a récemment obtenu l’accès à Laohegou et lancé les toutes premières visites publiques, faisant de moi l’une des premières étrangères à mettre les pieds dans le parc. Si je repars d’ici sans voir de près un panda sauvage, ce sera bien ma veine. Dans mes reportages sur les relations ours-humains, j’ai souvent failli voir de fascinants spécimens de la mégafaune : grizzlis, ours noirs et ours blancs. Et aucune des huit espèces d’ours sur terre n’est aussi aimée (et inoffensive) que le panda.
À mes yeux, les pandas incarnent l’espoir. On a consacré plus de fonds à la sauvegarde de ce symbole mondial de protection de la faune qu’à celle de toute autre espèce. De nos jours, la principale menace pour la survie des pandas sauvages est la perte d’habitat, et leur assez faible adaptabilité n’aide pas : ils ne mangent que des pousses de bambou et ne sont pas très féconds. À présent, dans un vaste effort pour se positionner en leader côté changements climatiques et protection de la nature, la Chine investit dans les habitats du panda pour aider sa reproduction et sa survie à long terme à l’état sauvage. En conséquence, la condition des pandas (et du tourisme afférent) évolue rapidement, avec la création prévue d’ici 2023 d’un parc national du panda géant, au coût de près de deux milliards. La réserve de Laohegou en est une qu’on intègre dans cette nouvelle zone protégée, de quatre fois la taille du parc national Banff, garante de corridors forestiers à l’écart du développement humain. Le « circuit du panda », une route de la soie en noir et blanc, comprend une nouvelle autoroute reliant les quatre sanctuaires de pandas en captivité, le parc et les villégiatures axées sur le panda qui devraient suivre. Les revenus du tourisme, tirés surtout des Chinois qui affluent pour voir leur animal national, dépassent largement les coûts de la protection du panda. Attention, pandamanie en vue !
Même si l’espèce reste vulnérable à l’état sauvage (elle était jusqu’à récemment désignée comme menacée), le panda urbain se porte très bien à Chengdu. La métropole du Sichuan compte plus de huit millions d’habitants, et les pandas sont partout. Leurs visages noir et blanc, gentiment bédéesques avec leurs grands yeux, s’étalent sur les bus et panneaux d’affichage. Je me balade parmi les boutiques de la vieille rue Kuanzhai, série de ruelles larges et étroites dans le ton des édifices traditionnels de la dynastie Qing, où les marchands offrent sacs à dos en peluche à motifs de panda ou bandeaux parés de pandas (qu’adorent les adolescentes). À côté du poivre du Sichuan qui brûle et picote la langue et des régals de tout ce qui se mange en brochette, les étals proposent des dumplings au glaçage imitant des visages de panda, dont les traits fondent lentement au soleil.
Le centre de recherche sur le panda géant de Chengdu, fondé en 1987 avec seulement six ours et qui en compte à présent 176, est le premier parc à pandas du pays. Il est devenu la porte d’entrée au pays du panda. Arbres fruitiers en fleurs, températures douces et pouponnière d’irrésistibles oursons pelucheux et dodus en font une des principales attractions de l’ouest de la Chine. Le rythme de reproduction ursine est lent ; un panda a la taille d’une poire à la naissance, et, non carnivore, il lui faudra jusqu’à 13,5 kg de pousses de bambou par jour quand il sera 900 fois plus gros, adulte. Sur le chemin entre la trépidante zone de haute technologie de la ville et le centre, je pratique mon mandarin avec mon guide de WildChina, Dustin Zhang. Pour un laowai, ou étranger, le dialecte mandarin du Sichuan est un des plus ardus, et un accompagnateur anglophone est donc essentiel. Je tente de prononcer xiongmao (panda). « Shung-mao. » Dustin rigole et hoche frénétiquement la tête. Mauvaise inflexion. Panda se dit « sho-ong-mao », corrige-t-il. « Shung-mao », c’est torse poilu. Je perçois à peine la différence. Après quelques échecs répétés, je hausse les épaules. Chabuduo. Pas trop mal, comme disent les Chinois.
Des navettes ouvertes (avec cercles noirs peints autour des phares, façon panda) amènent les visiteurs par des tunnels de bambou aux enclos des pandas géants. Les bougainvillées fleurissent d’un vif fuchsia et les feuilles de bambou nous pleuvent dessus pour disparaître illico dans les porte-poussière de diligents balayeurs. Le ciel se dégage ; je note que la plupart des visiteurs ont troqué les masques antipollution omniprésents dans les grandes villes chinoises pour de pittoresques chapeaux-pandas. À la pouponnière, les « pandarazzis », comme je surnomme la légion de touristes nationaux braquant de toutes leurs mains iPhone et reflex mono-objectifs, se pressent contre la vitre. Neuf oursons font des culbutes, se blottissent et croquent du bambou, ignorant leur public ravi. L’un d’eux se dandine et se laisse sitôt choir sur un de ses petits copains, et je me joins au concert de oh ! montant de la foule, onomatopée universelle.
Leurs visages noir et blanc, gentiment bédéesques avec leurs grands yeux, s’étalent sur les bus et panneaux d’affichage.
Après avoir observé les pandas se régaler, il est temps de faire pareil, en essayant la fameuse fondue chinoise de la province, mélange bouillonnant sur table d’épices et d’huile. Au resto Ba Shu da Jiang, près du parc du Peuple où les retraités viennent valser et faire du taï-chi, je plonge des morceaux de racine de lotus, du tofu braisé et des œufs durs de caille (pour experts ès baguettes) dans un caquelon orné d’un dragon. M’inspirant du divertissement matinal, j’ajoute même des tranches de bambou.
Le centre de recherche de Chengdu a élevé depuis 30 ans une petite armée de dignitaires poilus afin d’imposer la manière douce (dans tous les sens du terme) de la Chine. Beaucoup de ces 261 pandas ont été envoyés à des zoos hors du pays, gestes de diplomatie étrangère au bénéfice de partenaires commerciaux (pensons à Justin Trudeau étreignant deux oursons dans une séance photo qui a fait le tour du monde). Dans leurs vieux jours, la plupart sont dirigés vers un sanctuaire de retraite pour pandas à Dujiangyan, à une zigzagante heure de Chengdu par une route dont les voies ne semblent exister que pour la forme.
À 8 h 30, je me présente au sanctuaire de Dujiangyan, où l’on me tend une ample combinaison bleue à la poche poitrine brodée des mots « Apprentie éleveuse de pandas ». Aujourd’hui, je vais faire quelques heures de travail manuel éreintant (et payer 160 $) en échange du privilège de nourrir un panda géant à la main. Ma première tâche consiste à ramasser à la pelle les crottes faites hier par le panda Fei Fei, le superviseur pointant les cacas que j’ai oubliés. Les contreforts verdoyants du mont Qingcheng, un des berceaux du taoïsme, se dressent derrière moi, même si le sommet de la montagne sacrée est encore dans la brume. Les crottes de panda, soit dit en passant, ne sentent pas trop, ce qui rend le boulot plus facile que le suivant.
Avec un couple de Californie, on m’envoie dans une cour pavée où l’on nous fait marteler le sol avec des tiges de bambou de 3 m à morceler. Les pandas, semble-t-il, sont très exigeants sur la présentation culinaire. Puis arrive le moment tant attendu : le repas. Fei Fei, une femelle de 23 ans née en captivité au centre de recherche sur les pandas de Wolong, au Sichuan, s’assoie en bouddha, fesses calées contre un côté de la cage, alors qu’entre les barreaux je glisse des tranches de carotte, de pomme et de pain spécial pour pandas dans sa bouche ouverte. Je n’ai jamais été si près d’un ours, et je suis conquise : on ne peut que sourire quand Fei Fei mâchonne avec bonheur. Et ce n’est même pas l’expérience suprême. Pour 400 $ de plus, afin me dit-on d’aider à l’exploitation du centre, les bénévoles peuvent jouir d’un moment à la Trudeau : un câlin de 15 secondes avec un panda vivant.
Entre une bête captive à cajoler et un panda sauvage entraperçu, j’opterais pour le second. Notre idée des pandas découle en grande partie du côté pataud et affectueux qu’ils ont en captivité. Les efforts pour populariser les pandas (en courtisant les touristes et en en faisant de mignonnes bédés) peuvent aider à leur survie, mais on leur nie leur animalité.
À ma dernière nuit au gîte de Laohegou, un mélange d’hôtel et de station de recherche près de l’entrée de la réserve, une pluie torrentielle s’abat sur les montagnes. Des gouttes géantes crépitent sur le toit de style pagode et inondent les jardins soignés. Sur mon balcon couvert en tek, je sirote du « thé panda », une infusion de graines de sarrasin fertilisé au fumier de panda, au goût plus salé que sucré. WildChina planifie davantage de visites de cette réserve encore largement privée, où les travailleurs affirment voir de plus en plus de pandas, surtout grâce aux caméras des sentiers. Ici, à l’ombre des monts Min, un ours peut encore être un ours. La véritable Chine à l’état sauvage, c’est sans doute ça.