Les multiples raisons d’aller au Yukon cette année

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On fête en 2023 les 125 ans de la ruée vers l’or du Klondike, moment marquant que l’essor du tourisme autochtone éclaire sous un nouveau jour. 

Voilà tout l’attrait de Dawson, au Yukon. Dans cette ville, on est toujours en 1896, l’année où on a découvert de premiers riches dépôts aurifères dans la région, découverte qui allait déclencher une véritable ruée vers l’or du Klondike. On peut y jouer au prospecteur et y chercher de l’or à la batée, tout perdre à la maison de jeu Diamond Tooth Gerties ou monter à bord du S.S. Keno, un historique bateau à aubes mû à la vapeur. Dans cette ville, les danseuses des saloons sont toujours de belle humeur et les orpailleurs sont toujours excentriques. (Si vous voulez allier bonne humeur et excentricité, passez au Sourdough Saloon et commandez un Sourtoe Cocktail, qu’on vous servira avec un orteil humain déshydraté en garniture.) 

29 juin 2023
Un groupe de bâtiments à Dawson City, Yukon
Dawson.   Photo : Patrick Federi

On comprend aisément pourquoi la ruée vers l’or du Klondike, dont le Yukon fête en 2023 les 125 ans, a attiré tant de visiteurs au fil des décennies. Après tout, c’est une histoire d’ambition, d’aventure et de persévérance, élevée au rang de mythe dans les livres de Pierre Berton et les poèmes de Robert Service. 

Mais c’est aussi une histoire racontée depuis longtemps d’un seul point de vue. Jusqu’ici, le secteur touristique a mis l’accent sur l’expérience des colons et a étouffé les voix des 14 Premières Nations du Yukon, qui ont pourtant vu leur mode de vie chamboulé à tout jamais par l’arrivée des chercheurs d’or. Tout ça est en train de changer, cependant, avec l’émergence de nouveaux voyagistes autochtones qui éclairent sous un nouveau jour (et qui se réapproprient) l’histoire du Yukon et de sa ruée vers l’or. 

« Les gens aspirent à mieux connaître l’histoire des Premières Nations », m’explique la propriétaire de Tutchone Tours, Teri–Lee Isaac, tandis que nous marchons dans Fort Selkirk, établi sur la rive du Yukon. Des dizaines de cabanes et édifices du tournant du vingtième siècle, aujourd’hui abandonnés mais dont certains abritent encore les meubles et babioles de leurs anciens occupants, s’y dressent parmi des prairies d’épilobes en épi magenta, de fraisiers des bois et d’arnica. 

Une table remplie de bouteilles en verre à Fort Selkirk
Fort Selkirk se trouve dans un champ plein de fleurs au Yukon
Fort Selkirk.   Photos : Jessica Wynne Lockhart

Aujourd’hui uniquement accessible par bateau, ce site historique qui à l’époque a failli devenir la capitale du Yukon est à peu de chose près une ville fantôme, et madame Isaac est la seule à y proposer des visites guidées, y compris une expérience avec nuitée en camping qu’elle offre pour la première fois en 2023. Madame Isaac a fondé Tutchone Tours en 2021 parce qu’elle voulait apporter son éclairage de membre des Premières Nations sur un lieu qui est beaucoup plus que juste un ancien poste de traite ayant servi d’escale aux prospecteurs dans leur marche vers l’or du Nord. En fait, des traces archéologiques montrent que le site de Fort Selkirk était habité par les Tutchones du Nord depuis au moins 8000 ans. 

« Je parle de la vie des gens qui habitaient ces édifices, je raconte qui ils étaient et quels sont leurs liens avec ma communauté », résume madame Isaac. 

Les voyagistes de proximité ne sont pas les seuls à réécrire la trame du récit. À Dawson, site d’un camp de pêche saisonnier fréquenté pendant des siècles par les Tr'ondëk Hwëch'in avant l’arrivée des mineurs, Parcs Canada recentre également l’axe de sa programmation. 

« Traditionnellement, nous racontions l’histoire de la ruée vers l’or telle que vécue par les chercheurs d’or qui se sont précipités ici, c’est–à–dire en majorité des hommes blancs, déclare Janice Cliff, gestionnaire, Expérience du visiteur pour Parcs Canada à Dawson. Notre narration des événements était dépassée. » 

Le centre culturel Dänojà Zho
Le centre culturel Dänojà Zho.   Photo : Peter Mather Photography

La visite par madame Cliff d’une exposition sur la Commission de vérité et réconciliation (CVR) au Dänojà Zho Cultural Centre de Dawson a renforcé sa conviction qu’elle avait l’« obligation morale » d’apporter des changements. C’est l’appel à l’action 79 de la Commission, dit–elle, qui lui a permis de le faire : cet appel demande au gouvernement fédéral de modifier la Loi sur les lieux et monuments historiques de manière à inclure la représentation des Premières Nations, des Inuits et des Métis au sein de la Commission des lieux et monuments historiques. 

Son équipe a commencé à discuter avec des anciens, à organiser des ateliers communautaires et à éplucher des documents historiques, notamment la correspondance entre l’évêque anglican William Bompas et l’inspecteur Charles Constantine de la Police montée du Nord–Ouest, dans laquelle les deux hommes évoquaient le « problème » des Tr'ondëk Hwëch'in. 

Le résultat de ce processus, « Sergé rouge et ruban rouge », est un nouveau programme d’interprétation de Parcs Canada qui jette un regard critique sur les conséquences d’un gouvernement colonial sur les Tr'ondëk Hwëch'in, qui ont été déplacés 5 km en aval par l’afflux de nouveaux arrivants. Ce programme d’interprétation offre des visites tous les jours en été, mais celles–ci n’affichent pas nécessairement complet sur–le–champ. 

« C’est pas facile à vendre, admet madame Cliff. Les gens sont en vacances. Ils n’ont pas nécessairement envie qu’on leur rebatte les oreilles de la réconciliation. » 

Même pour les visiteurs qui sont prêts à s’impliquer, il est facile de se perdre dans une version glamour de l’histoire de la ruée vers l’or qui imprègne l’ensemble du territoire. À Whitehorse, une statue d’un chercheur d’or domine le hall de mon hôtel, même si je me trouve à 500 km de l’endroit où toute l’agitation de l’époque a eu lieu. Et dans la salle d’embarquement de l’aéroport, les murs sont tapissés de photos historiques de bateaux à aubes, d’orpailleurs, de commerçants de fourrures et d’agents de la GRC. Presque tous les visages qu’on y voit sont blancs. 

Tout ça, pour une période qui n’a duré que quatre ans. En 1899, la ruée vers l’or était terminée. Étant donné que l’histoire du Yukon remonte à la dernière glaciation (des datations au carbone 14 dans les grottes de Bluefish suggèrent que les premiers humains en Amérique du Nord seraient passés par là il y a 24 000 ans), ça me semble extrêmement borné. Mais il arrive que le signal du changement soit une infime lueur, et non une marée humaine, ainsi que je l’apprends bientôt. 

Un crâne avec des bois sur le toit d'une cabane au Long Ago Peoples Place au Yukon
Une cabane à Long Ago Peoples Place
Long Ago Peoples Place.   Photos : Jessica Wynne Lockhart

Par une chaude journée de juillet, j’emprunte une route bordée de vesces pourpre foncé et de lupins jaunes jusqu’au village de Champagne Landing (22 habitants), situé à peu près à mi–chemin entre Whitehorse et Haines Junction. C’est là que se trouve la Long Ago Peoples Place, qui recrée un village des Premières Nations et qu’a établie Meta Williams et son associé, Harold Johnson, en 1995.  

Depuis plus de 25 ans, tous deux y décrivent comment leurs ancêtres vivaient de la terre, et à quel point l’arrivée des commerçants de fourrures et des prospecteurs a changé leur mode de vie. (« Quand la ruée vers l’or a débuté, les Hans ont cédé leurs légendes aux peuples de la haute Tanana [en Alaska], parce qu’ils savaient ce qui s’en venait », explique M. Johnson, en parlant du déplacement des Tr'ondëk Hwëch'in à Dawson.) Mais c’est seulement depuis un an qu’ils sentent une évolution notable. 

« Personne ne parlait de réconciliation quand on a commencé. On n’avait pas le temps de s’occuper de nos blessures, raconte madame Williams. Mais à présent, les gens viennent ici parce qu’ils veulent mieux comprendre les Tutchones du Sud. Le tourisme permet de poser des questions sans crainte d’être jugé. » 

Madame Cliff croit elle aussi que bientôt, ce seront les dures réalités qui attireront les gens au Yukon. Les gens ne veulent plus de contes de fées ou de faux–semblants, ils veulent de l’authenticité. 

« Les réactions, en majorité, sont du type “Ce n’est pas trop tôt ! Cette partie de l’histoire mérite d’être entendue”, dit–elle. Ça nous a donné le courage de continuer à aller de l’avant. » 

Teri Lee à Fort Selkirk
Teri Lee au Fort Selkirk.   Photo : Jessica Wynne Lockhart

Et, ainsi que je l’apprends au cours de ma journée passée avec madame Isaac, l’histoire (même les bouts pénibles et affligeants) n’est pas nécessairement incompatible avec le plaisir. Oui, marcher dans Fort Selkirk nous donne à réfléchir, par exemple quand nous pénétrons dans l’ancien presbytère anglican, mais partageons aussi bien des éclats de rire. 

Et il y a de la place pour les traditions. Au dîner, près du fleuve, je demande à madame Isaac si elle a déjà vu des fantômes à Fort Selkirk. 

Elle sourit. L’an dernier, me dit–elle, elle a campé une nuit sur place avec des membres de sa famille et des amis. Cette nuit–là, elle a rêvé de femmes en robes longues réunies autour d’elle. Au matin, elle a appris que l’une de ses amies avec fait exactement le même rêve. Elle croit que c’étaient ses ancêtres qui leur rendaient visite. 

« Elles étaient heureuses de nous voir ici avec nos familles, dit–elle. Elles étaient tellement heureuses de voir que nous étions de retour. » 

Sur place

Yukon

Extérieur des cabines en épicéa noir
Black Spruce Cabins.

Où loger

Quand on regarde par les fenêtres qui font presque pleine hauteur de son chalet à Black Spruce, on a l’impression d’être entièrement plongé dans la forêt boréale environnante, même si on se trouve à quelques minutes seulement du centre–ville de Whitehorse. Conçus en ayant le développement durable à l’esprit, les quatre chalets tout équipés de Black Spruce sont dotés d’une cuisine complète, et de commodités zéro déchet, et on y a accès à un sauna..
 

Où manger

Situé sur la rive du Yukon à Whitehorse, le Gather Cafe & Taphouse résulte d’une association improbable entre un resto de tacos et un atelier de souffleurs de verre. Après en avoir sué un coup lors d’une initiation au soufflage du verre, prenez une rafraîchissante margarita servie dans un verre créé sur place.

Danseurs se produisant au festival culturel d'Adäka
Une artiste au Adäka Cultural Festival.   Photo : Manu Keggenhoff

Quoi faire

Prévoyez de faire coïncider votre séjour à Whitehorse avec l’Adäka Cultural Festival. Ce festival d’une semaine, qui a lieu chaque année au début juillet, propose des ateliers, des tables rondes et des spectacles de musique mettant en vedette des artistes autochtones du nord du Canada et du reste de la région circumpolaire.