Jouer pour l’or aux championnats mondiaux de League of Legends

Partagez

À Berlin, des athlètes se battent pour des millions lors du plus important tournoi de sport électronique du monde.

Le Mercedes–Benz Arena, domicile des Eisbären de Berlin, sept fois champions de la Deutsche Eishockey Liga, vibre au son des tambours et des chants des fans appuyant leur équipe. Étonnamment, ce vacarme n’est rien comparé aux acclamations de l’autre côté de la rue, au Verti Music Hall.

En octobre, le Verti (que fréquentent plutôt les amateurs de musique classique et de ballet sur glace) accueillait le championnat du monde de League of Legends 2019, un des événements majeurs de sport électronique, où s’affrontaient, pour un prix de plus de deux millions de dollars, des joueurs professionnels de maintes nations, dont trois Canadiens : Eric « Licorice » Ritchie, Sun « Cody » Li–Yu et Philippe « Vulcan » Laflamme.

25 février 2020
Des partisans de G2 Esports lors du championnat du monde de League of Legends 2019
Un fan de G2 Esports arbore l’épinglette de son équipe
Des partisans de G2 Esports lors du championnat du monde de League of Legends 2019, amorcé à Berlin et conclu à l’AccorHotels Arena, à Paris.
Un fan de G2 Esports arbore l’épinglette de son équipe.
Une salle comble de 20 000 personnes assiste à la finale, à l’AccorHotels Arena de Paris
Une salle comble de 20 000 personnes assiste à la finale, à l’AccorHotels Arena de Paris.

L’exubérance des spectateurs de sport électronique n’a rien à envier à ce qu’on verrait à une épreuve olympique. Si certains partisans portent le maillot de leur équipe, d’autres arborent un des skins de leurs personnages préférés de League of Legends. Une jeune femme, habillée en Akali dans son skin K/DA, semble sortir tout droit du jeu : blouson marine style doudoune à manchettes dorées, ceinture extralarge à boucle en or et collants asymétriques en cuir.

Pour certains, voir le sport électronique comme un véritable sport tient de la blague, mais pour ceux qui s’entraînent des mois pour se qualifier au championnat du monde, c’est du sérieux. Le championnat de 2018, à Incheon, en Corée du Sud, a attiré plus de vidéonautes que le Super Bowl. Les gouvernements saisissent l’importance du sport électronique : pour se rendre aux compétitions, les joueurs professionnels ont les mêmes visas d’athlète mondialement reconnu que les grands noms du hockey ou du foot. Même les Raptors ont leur équipe de basket électronique (Raptors Uprising, formation de la NBA 2K League, une ligue profesionnelle).

L’équipe de Clutch Gaming   : Tanner Damonte (gauche), « Cody » Li-Yu et « Vulcan » Laflamme
Moment intense pour l’équipe de Clutch Gaming : Tanner Damonte (gauche), « Cody » Li–Yu et « Vulcan » Laflamme.

« Bien des gens butent sur la question de savoir si le sport électronique est un sport, lance Eric « Licorice » Ritchie. Mais la compétition regroupe des gens très doués jouant au plus haut niveau. Et c’est dur d’arriver jusqu’ici. »

D’aussi loin que Ritchie se souvienne, le jeu vidéo a fait partie intégrante de sa vie. Il a grandi à Calgary avec un frère de quatre ans son aîné, qu’il affrontait continuellement à Super Smash Bros. et à Mario Kart. En 2013, un camarade du secondaire l’a initié à League of Legends, qui en était alors déjà à sa troisième saison. Sous le pseudo « Licorice », Ritchie est rapidement devenu le joueur le mieux classé parmi ses amis. Puis, il a découvert le milieu profesionnel et a commencé à se représenter la vie d’athlète de sport électronique.

« Bien des gens butent sur la question de savoir si le sport électronique est bel et bien un sport. Mais la compétition regroupe des gens très doués jouant au plus haut niveau. Et c’est dur d’arriver jusqu’ici. »

Eric « Licorice » Ritchie de Cloud9 dans un maillot d'équipe
Eric « Licorice » Ritchie, de Cloud9, lors de la phase de poule à Berlin.

« Ce n’était qu’un rêve à l’époque, au même titre qu’un enfant qui joue au basket vise les rangs de la NBA, raconte–t–il. Mais à force de jouer, j’ai réalisé que j’étais peut–être suffisamment doué pour devenir pro. J’ai fait : “Je veux faire carrière, ça me semble un travail de rêve.” » Aujourd’hui âgé de 22 ans, Ritchie fait partie de Cloud9, une des meilleures organisations de sport électronique au monde, qui a des équipes de compétition d’une douzaine de jeux.

La popularité du jeu professionnel n’a pas échappé aux grandes franchises de sport. Clutch Gaming, équipe basée en Californie dont font partie « Cody » Li–Yu et « Vulcan » Laflamme, est détenue en majorité par Harris Blitzer Sports and Entertainment, qui possède aussi les Devils du New Jersey et les 76ers de Philadelphie. Les équipes de sport électronique dépensent des millions pour recruter et former des joueurs, et les meilleurs à League of Legends sont payés dans les sept chiffres, plus leurs gains en tournoi. (Lee « Faker » Sang–hyeok, considéré comme le meilleur joueur au monde, aurait un salaire annuel de 2,5 millions de dollars US.)

Un chapeau de cosplay en velours vert avec des oreilles de chat et des lunettes intégrées
Profil d'une fan féminine avec G2 Win peinte sur son visage en jaune
Profil d'un fan masculin avec le logo G2 peint sur son visage

L’espoir de gagner gros fait partie de l’attrait. Ce n’est que lorsqu’une équipe a offert d’amener Li–Yu à L.A. et de lui verser un salaire régulier que sa famille, qui voulait qu’il aille à l’université, a réalisé que jouer toute la journée n’était pas qu’un rêve d’enfant, mais une chance de gloire et de fortune. Aujourd’hui, le Torontois se fait souvent arrêter dans la rue par des fans. « Ils sont vraiment gentils et ce n’est pas trop fou, dit–il. D’habitude, je prends des photos avec eux. »

À Berlin, les joueurs, chacun portant le maillot de son équipe et un casque antibruit pour bloquer le vacarme de la foule, entrent en scène. Ils s’assoient à des PC puissants, un écran géant diffusant l’action derrière eux. Commentateurs et analystes dissèquent en cabine le match à venir.

Lee « Faker » Sang–hyeok, considéré comme le meilleur joueur au monde, aurait un salaire annuel de 2,5 millions de dollars US.

Dans chaque partie d’environ 45 minutes de League of Legends, deux équipes de cinq joueurs tentent de détruire la base adverse. Ce tour de force requiert communication, travail d’équipe et des heures d’abnégation. (Les équipes s’entraînent 12 heures par jour les semaines avant un tournoi, pendant lesquelles elles se mesurent à d’autres et visionnent des vidéos de parties pendant que les entraîneurs soulignent les stratégies.)

Les partisans lèvent les poings et des spots blancs balaient le Verti Music Hall quand une bataille à quatre contre quatre dans la jungle entraîne la première mort du jeu. Quand une équipe tue un dragon, des lumières rouges clignotent et un dragon rugissant atterrit sur les écrans. Dans cette phase de poule façon Coupe du monde de foot, seules 8 des 16 équipes se qualifieront pour les demi–finales de Madrid, avant la finale de Paris. Les trois équipes nord–américaines n’ont pas fait long feu. (Ritchie était déçu ; Cloud9 avait atteint les demi–finales en 2018 et était le « dernier espoir de l’Amérique du Nord ».)

Deux semaines plus tard, à Paris, l’équipe chinoise FunPlus Phoenix allait balayer les Européens de G2 Esports 3 à 0 pour le titre de champion du monde de League of Legends devant 20 000 spectateurs à l’AccorHotels Arena. Les résultats du championnat, à l’instar des sports plus traditionnels, influencent les actions des équipes lors de la saison morte. Après les éliminations rapides de Cloud9 et de Clutch, ces deux équipes ont fait des changements de personnel ; Clutch, rebaptisée Dignitas, a depuis vendu les contrats de Li–Yu et de Laflamme.

L'équipe gagnante brandit le trophée sous les lumières et les confettis

Mais pour l’heure, vu de mon siège situé près de la scène à Berlin, c’est loin d’être fini. L’intensité des joueurs se lit sur leur visage. Après six heures de jeu, le Verti vibre toujours autant.