Sur la piste des léopards du Sri Lanka

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Voir un paon au Sri Lanka n’a rien de plus banal, ils sont légion sur l’île. Mais celui que je repère sous un pont, trempé, les ailes partiellement déplumées étendues au sol, immobile, est une réjouissance. Je n’ai rien d’une naturaliste morbide, mais lorsqu’on traque le fugace léopard, même au parc national de Yala, qui abrite la plus haute densité de ces félins au monde, chaque piste compte.

Après une heure à arpenter en camionnette le bloc 1 du parc de 979 km2 à la recherche de la bête tachetée, l’impatience de mes voisins de siège est palpable et commence à me contaminer. Je regarde frénétiquement de gauche à droite, je fixe les branches des arbres, je scrute les mouvements de chaque talle d’herbes hautes.

Finalement, je dirige mon attention sur notre guide qui, bien qu’armé de jumelles, fixe l’horizon calmement. Le guide ne tente pas de repérer le léopard, il cherche les signes précurseurs de sa présence, un peu comme les bourrasques avant un orage. Lorsque nous repassons devant le paon, celui-ci a non seulement perdu des plumes, mais il a aussi changé de place, signe que la bête est repassée chercher son lunch, mais a encore été interrompue.

Illustration d'une queue de léopard du Sri Lanka

Quand le conducteur éteint le moteur, à l’orée de la jungle touffue, je scrute les environs, mais surtout, je tends l’oreille, à l’écoute de la réaction en chaîne que cause un léopard. « Il est là », nous dit le guide. Si l’environnement autour de nous serait qualifié de calme dans un autre contexte, pour le naturaliste averti, il n’en est rien : dans les arbres, les macaques crient pour avertir leurs confrères et font craquer les branches en sautant d’une à l’autre. Leurs mouvements font décoller deux calaos, et le claquement des ailes dans l’air humide alerte un groupe de cerfs axis en train de brouter, qui nous tournent aussitôt le dos et détalent dans les buissons en bondissant d’un pas léger. Toutes les bêtes, dont je suis à ce stade, ont les sens en alerte.

Est-ce le poil du bout de la queue d’un léopard que j’ai vu se profiler entre les herbes jaunes à gauche de la camionnette ? Je ne le saurai jamais.

Voir un léopard, c’est bien, mais sentir la nature frissonner et le stress des mammifères qui flairent le danger, c’est quitter son état de touriste et se mettre au niveau de la faune. C’est aussi prendre conscience que si ce n’était de la cage de métal qui me protège, je pourrais, à l’instar du pauvre paon déplumé, être un plat pour félins affamés.