Un cours de dérapage (contrôlé) à l’école de conduite de BMW —
Bouclez votre ceinture.
Dans le désert californien, le soleil plombe, même en hiver. J’abaisse le pare-soleil pour protéger mes yeux, puis reprends le volant, sans trop le serrer. Je colle les omoplates contre le siège et tends les jambes par anticipation. Dans une radio bidirectionnelle, mon moniteur me donne le feu vert : « OK, Eva, go, go, go ! »
Un coup d’accélérateur et ma BMW M2 décolle, prête à brûler du bitume. L’aiguille grimpe au compteur, mais je ne dois pas quitter des yeux le virage serré droit devant. Pour le réussir, il me faut maintenir la vitesse jusqu’à frôler la sortie de piste. Je tiens le cap tant que je peux, puis je freine sec (un coup de pédale aussitôt relâché) avant de prendre le virage, au son des pneus qui crissent.
Je n’avais jamais pensé apprendre la conduite de course, mais me voici à la BMW Performance Driving School de Thermal, en Californie, près de Palm Springs, pour une journée intensive à piloter des bolides. J’aime la liberté des longs voyages dans de vastes étendues désertes, oui, mais je ne suis pas une passionnée de vitesse. En 20 ans de conduite, je n’ai reçu que deux contraventions. De plus, en cette époque de voitures robotisées et de transport très haute technologie, l’idée d’améliorer mes compétences au volant a quelque chose d’anachronique et de pittoresque ; les dérapages contrôlés n’ont pas leur place dans l’Hyperloop.
Pourtant, les cours ici affichent souvent complet. Si apprendre à conduire est une leçon de prudence, une école de sports motorisés fait appel à d’ex-pilotes de course qui vous soumettent à des exercices shootés à l’adrénaline, comme freiner dans un virage, virer à 180° et faire des poursuites autour de la piste. Mais par-delà les sensations fortes, je veux surtout acquérir un meilleur contrôle, et la certitude que je saurai maîtriser la situation en cas de dérapage.
Première leçon : prendre le contrôle, c’est d’abord le perdre. Mon premier exercice consiste à garder la maîtrise du bolide sur le béton poli de la piste de dérapage. Il faut ensuite tester les limites du survirage (drift) par la manœuvre suprême des courses-poursuites au cinéma : un dérapage prolongé qui permet de tenir le cap dans les virages serrés.
Mon moniteur, assis à ma droite, m’incite à accélérer, à écraser le champignon et à faire glisser le bolide, mais je résiste. Les dents serrées, je force dérapage après dérapage, en cercles étourdissants et palpitants, et finis par m’habituer à cette effarante sensation de glissement. Mes craintes s’estompent : je sais reprendre le contrôle en tournant dans le sens du dérapage. À la fin de l’exercice, je ris de joie.
Sur la piste, en pratiquant mes amorces de virage et mes freinages, j’arrive un instant (tout en essayant de penser, de regarder, de manier le volant, de freiner et de garder mon sang-froid) à apprécier la liberté que me procure la conduite. De l’obtention de mon permis au secondaire à la virée transcanadienne en solitaire qui m’a menée à Whitehorse, où j’ai élu domicile, l’automobile a toujours été liée à mes plus grands bonds vers l’indépendance. J’essaie d’imaginer un avenir prochain où les voitures robotisées auront pris le relais, et où les habiletés que nous peaufinons ne seront plus simplement facultatives, mais obsolètes… L’ultime perte de contrôle !
Les auto-écoles seront peut-être les clubs de cigares de demain, des lieux appartenant à une époque révolue. Mais j’espère que non. Apprendre l’art de conduire n’est pas qu’exaltant, c’est aussi valorisant : repousser les limites de son véhicule, se faire confiance, analyser et résoudre tous les petits accrocs du dernier tour. L’un des moniteurs définit la performance au volant comme une succession permanente d’ajustements pour corriger d’infimes erreurs. « L’espoir et la prière ne sont d’aucun secours sur une piste de course », dit-il.
C’est ce que j’ai en tête en m’approchant de la ligne de départ pour mon prochain tour chrono-métré. Je souhaite retrancher quelques dixièmes de seconde. Mon pouls s’accélère. Mes mains serrent plus fort le volant. Le pied prêt à enfoncer l’accélérateur, j’attends de filer.