Une communauté autochtone de l'île de Vancouver ouvre au monde ses terres retrouvées

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Impossible de savoir si les vagues dansent au roulement du tambour ou si ce sont les mains du percussionniste qui suivent le rythme de la nature. La question ne se pose peut–être pas, puisque selon les enseignements des Premières Nations, tout ne fait qu’un. Les vagues déferlent sur les rochers ; leur souffle projette une constellation de gouttelettes portées jusqu’aux arbres par le vent, libérant leurs parfums de sel, de sable et de cèdre vers le ciel. La musique du tambour s’arrête, mais l’océan Pacifique garde la cadence de la nature.

Trevor Cootes, conseiller auprès du gouvernement autonome Huu–ay–aht, range son tambour. Tant et aussi longtemps que l’histoire de son peuple s’est exprimée par le chant et la danse, cette anse abritée se nommait Kiix̣in (prononcé “kee–hin”). « C’était l’un de nos principaux villages, » dit Cootes à propos de ce site qui domine les îles de l’archipel Broken Group, sur la côte ouest de l’île de Vancouver. Il arpente aujourd’hui les sentiers récemment délimités par des coquilles d’huîtres décolorées par le soleil qui orientent les visiteurs dans ce qui est devenu un site historique national. « Pendant la saison de la pêche à la baleine, nos ancêtres vivaient ici, dans des maisons longues », ajoute–t–il.

Kiix̣in est un site ancien. Les archéologues estiment que la présence humaine ici date d’au moins 5500 ans. Avec le temps, les habitants du village se sont peu à peu retranchés dans la forêt. Les pilotis en décomposition des anciennes maisons longues sont là pour mémoire et servent désormais à fertiliser des arbrisseaux qui pointent déjà fièrement vers le ciel. De nos jours, les lieux sont en voie de devenir le symbole de la revitalisation de toute une communauté.

01 juillet 2019
Glen Friesen

L'ancien village fortifié de Kiix̣in a été abandonné au 19e siècle. C’est le seul endroit dans l’île de Vancouver où l’on peut encore voir des vestiges de maisons longues, comme cette entrée.

En marge de ce paradis en bord d’océan, Kiix̣in elle–même se révèle une ruche bourdonnante d’activité. Les Huu–ay–aht sont maîtres de leur destin grâce à un accord en 2011 sur les revendications territoriales. Cette entente leur accorde le droit de former leur propre structure de gouvernance, assujettie aux lois fédérales et provinciales, et de prendre leurs propres décisions économiques. « Notre objectif est de recouvrer en 15 ans ce que nous avons perdu en 150 ans de colonialisme, dit Cootes, Kiix̣in fait partie de notre processus de réinstallation. »

Le village est la pierre angulaire d’une stratégie visant à créer des emplois et d’amener des visiteurs en territoire Huu–ay–aht. L’Entente définitive avec les Premières Nations Maa–nulth s’inscrit dans le cadre de revendications territoriales modernes. En vertu de ce nouveau type de traité, la nation ne recevra plus de subsides gouvernementaux et doit donc développer ses propres sources de revenus, cette fois à ses conditions. « Avec ce traité, nous pouvons enfin faire ce que nous voulons et renforcer nos trois principes fondamentaux – tout ne fait qu’un ; respect ; et prendre soin de ce qui nous entoure – dans tout ce que nous faisons. », affirme ƛiišin (Tliishin), aussi connu sous le nom de Derek Peters, grand chef du conseil héréditaire. « Rien de tout cela n’était possible sous Affaires autochtones et du Nord Canada. »

Ce conseil est formé de sept chefs ; ƛiišin en est le grand chef, le plus ancien Tayii Ḥaw̓ił (Tayii Hawiilth) depuis 2008. Un autre conseil est élu tous les quatre ans, mais ce sont les chefs héréditaires qui révisent les lois et les plans de haut niveau. Ils veillent également sur l’héritage culturel – danses, chansons et récits – la transmission des noms traditionnels et la protection des lieux sacrés. « Même si nous n’avons pas recouvré 100 % de notre territoire traditionnel, nous avons plein contrôle sur notre traité d’entente territoriale, l’exploitation des ressources et l’investissement dans notre développement économique », ajoute ƛiišin.

Le mot « Kiix̣in » signifie : eau coulant sur la roche. C’est l’endroit où vivaient jadis les Huu–ay–aht pendant la saison de la pêche et de la chasse. Ces os sont les restes d’une chasse réussie.

Ce dernier point permettra la création d’une économie durable, largement basée sur le tourisme, pour réduire la dépendance de la communauté à l’exploitation forestière. C’est un scénario ambitieux qui vise à attirer à Kiix̣in des touristes qui pourront fréquenter le camp de pêche, le motel, le restaurant et le magasin général récemment acquis par la nation dans la ville voisine de Bamfield. Un projet qui vise à assurer l’indépendance économique de la communauté. « L’objectif ultime de l’autosuffisance est de préserver la culture Huu–ay–aht et pour ce faire, nous avons besoin que certains des nôtres reviennent parmi nous », estime ƛiišin. Les Huu–ay–aht sont au nombre d’environ 850, dont seulement une centaine vit sur la réserve d’Anacla, le siège principal du gouvernement de la nation. D’autres vivent à Port Alberni, la ville la plus rapprochée où se trouve le deuxième bureau du gouvernement. Certains Huu–ay–aht se sont plutôt installés à Victoria et à Vancouver.

On peut observer des signes qui montrent déjà que la nouvelle orientation de la communauté porte fruit. Par exemple, Hinatinyis, aussi connue sous le nom de Brittany Johnson, est rentrée à Port Alberni depuis Victoria pour accepter un emploi comme coordonnatrice en langues et en histoire dans la communauté. Som signifie elle est toujours accueillante. « Je fais partie des exemples positifs de la nouvelle stratégie : j’ai pu revenir chez–moi et dénicher un emploi auprès de la Première Nation Huu–ay–aht grâce au traité,» dit–elle. «Notre communauté offrira des opportunités à ceux et celles qui en feront la demande et qui souhaitent vivre ici. »

En parallèle à son emploi au bureau gouvernemental de Port Alberni, Hinatinyis poursuit des études en langue Nuu–chah–nulth dans le cadre d’un projet pilote de l’Université de Victoria. Le programme est rendu possible en vertu du traité et a pour but de préserver la langue et la culture de la nation. « Il y a beaucoup de pression sur les étudiants, ce n’est pas comme si nous allions en vacances au Mexique pour apprendre l’espagnol, confie Hinatinyis. Lorsque je suis revenue à Port Alberni, c’était dans l’objectif d’éventuellement devenir membre du conseil et de servir mon peuple. Nous jouissons d’un traité moderne ; je suis une jeune femme moderne et je crois que je peux apporter beaucoup à la table du conseil pour une jeune nation nouvellement sous traité. »

Découvrez Kiix̣in en participant à une visite guidée gratuite. Wišqii, le porte–parole du grand chef héréditaire et principal guide, fait revivre l’histoire des Huu–ay–aht à travers contes et chansons.

De son côté, Ayanna Clappis étudie à l’Université de Victoria, avec spécialisation en sciences politiques. Son programme porte également sur les dimensions humaines du changement climatique. En saison estivale, elle retourne à Anacla où vit sa famille maternelle immédiate. « Un été, j’ai travaillé comme aide guide touristique à Kiix̣in ce qui m’a donné la chance d’en apprendre davantage sur ma culture à un moment où je traversais de profonds questionnements sur mon identité. » Après avoir obtenu son diplôme, Ayanna espère pouvoir rentrer chez elle en territoire Huu–ay–aht. « Le traité nous donne les moyens de créer des emplois et d’exploiter nos propres ressources », souligne–t–elle. Elle ajoute que l’acquisition des entreprises de Bamfield est le changement le plus visible en ce sens et la meilleure preuve de la résilience du peuple Huu–ay–aht. Elle reconnaît qu’il existe encore des préjugés contre les peuples autochtones, mais croit que Kiix̣in permettra de renverser la vapeur. « Si nous voulons progresser, il faudra que les colonisateurs rendent des comptes et qu’ils commencent à remettre en question leur propre histoire familiale. Nous pourrons alors établir une meilleure compréhension mutuelle et renforcer nos relations. »

Wišqii (Wishkey), connu sous le nom de Robert Dennis Jr., acquiesce. « Kiix̣in représente une chance de nous réapproprier notre histoire et de faire un pas vers la réconciliation. Ça nous aidera à écrire une nouvelle page d’histoire et à adopter la nouvelle voie à suivre. » Wišqii est porte–parole du Tayii Ḥaw̓ił, en plus d’être guide touristique en chef et d’agir comme guide spirituel auprès de son peuple. Son nom veut dire celui qui réfléchit avant de parler. « Puisque nous sommes tellement déconnectés de notre culture et de notre langue à la suite du colonialisme, des pensionnats et de l’interdiction des potlatchs, je joue également le rôle d’interprète de nos racines », précise–t–il.

Sur le chemin de l’anse où Kiix̣in surplombait jadis le Pacifique, vous verrez des arbres altérés: l’écorce de ces cèdres a été partiellement arrachée pour tisser des paniers, des chapeaux et d’autres objets.

Lorsqu’il conduit des visiteurs à Kiix̣in, qu’ils soient autochtones ou non, son objectif est de faire revivre l’histoire Huu–ay–aht. « Dans le passé, nous n’avions pas d’écrits, alors le conteur était le gardien des récits, des chansons, des danses et de l’art. » Il explique qu’une visite au site historique en bord de mer commence par une chanson, jadis réservée aux festins, sur l’apprentissage de la chasse de subsistance. « Une fois sur la plage, nous entonnons des chants à ramer en Klee–Klee–Ha, pour pagayer à la même cadence dans des pirogues traditionnelles (lighting canoe). La dernière chanson de cette visite a pour thème l’espoir de ‘venir récupérer ma maison’. » Pour Wishkii, Kiix̣in est plus qu’un site archéologique ; il offre aussi la chance de renouer avec le passé. « Lorsque je suis à Kiix̣in, je sais que les ancêtres veillent sur moi par les yeux des corbeaux et des aigles », confie–t–il.

Et, enfin comme le dit le chef ƛiišin : « Kiixin est le seul endroit sur l’île de Vancouver où on peut encore déambuler parmi les vestiges de structures d’une culture ancienne. » Kiix̣in est un lieu sacré qui a tout le potentiel de ne redevenir qu’un, où les Huu–ay–aht danseront une fois de plus au rythme de la nature.