Une visite en images d’Israël avec la photographe Yuli Gorodinsky

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enRoute Pouvez–vous me parler de votre formation de photographe ? Quand avez–vous commencé à vous intéresser à la photo ?

Yuli Gorodinsky J’avais 24 ans et je vivais une pénible séparation quand j’ai acheté mon premier appareil photo. Je me sentais coincé et la photographie m’a servi d’outil pour me rebrancher sur le monde. Puis je me suis inscrit à une école de cinéma, mais j’ai décroché pour aller en Inde. Je me disais que je prendrais ce voyage pour me reposer et réfléchir au sens de la vie, mais au lieu de ça je me suis retrouvé à tout photographier de manière obsessionnelle. À mon retour, je me suis formé moi–même à la photo et à l’art. J’ai passé des heures à étudier l’histoire de la photographie à l’ordinateur et à visiter des galeries et des musées.

ER Vous avez émigré enfant de Russie en Israël. Quels contrastes majeurs avez–vous remarqués entre ces deux pays ?

YG C’est difficile de les comparer. Israël est un pays plus petit que la ville où j’ai grandi. La Russie dégage une impression de grande immensité : on peut rouler pendant des jours sans jamais voir le bout de la route. Israël, par contre, se traverse en six heures. Ici, je me sens comme un touriste qui n’a jamais véritablement trouvé sa place.

13 février 2019
Les panneaux publicitaires sur lesquels sont représentés des nuages ​​interagissent avec les nuages ​​dans le ciel et masquent en partie des gratte-ciel en construction, créant ainsi un effet surréaliste.
Ramat Gan : J’ai pris cette photo dans le Diamond Exchange District de Ramat Gan, une ville à l’est de Tel–Aviv, qui est le cœur de l’industrie du diamant au pays. Certains des plus hauts gratte–ciels de la région s’y trouvent désormais, et depuis quelques années les entreprises spécialisées dans la technologie s’y concentrent. La présence de nuages de carte postale sur cette clôture d’un chantier de construction m’a paru si ironique, presque cruelle, qu’il fallait que je prenne une photo. Mais quand j’ai examiné ce cliché par la suite, j’ai découvert qu’il allait au–delà de la simple ironie. Pour moi, quand on ne voit que des nuages réfléchis dans des tours miroitantes, alors peut–être que regarder une image de nuages est plus proche de la réalité que le reste.

ER Quels thèmes précis explorez–vous dans vos photos ?

YG La photographie est pour moi une façon d’aborder un paysage inconnu et de créer un sentiment d’intimité. Elle m’a permis de révéler un point de vue qui a toujours été présent chez moi, celui d’un immigrant, d’un perpétuel étranger. Mon travail vise constamment à établir un dialogue avec le paysage local.

ER Vous photographiez beaucoup de vestiges du passé laissés à l’abandon. Qu’est–ce qui vous attire dans ce genre de sujet ?

YGJ’aime bien m’imaginer en train d’errer dans un monde postapocalyptique, en essayant d’appréhender le passé par le biais des vestiges que je découvre. C’est pour moi une façon de toucher du doigt l’essence de notre monde façonné par l’homme ainsi que son interaction et son intégration, toutes deux inévitables, avec et dans la nature.

ER Selon vous, qu’est–ce qui fait la force ou le côté génial d’une image ?

YGUn point de vue unique sur le quotidien et sur la beauté évanescente qui échappe à l’attention de vos semblables.

 Une photographie de paysage avec une montagne, un immeuble et un McDonald's à l'arrière-plan, une pelouse et des palmiers au premier plan.
La mer Morte : Il s’agit du centre commercial qui se trouve du côté israélien de la mer Morte. Même si la mer Morte est l’un des endroits les plus magiques que j’ai eu le bonheur de voir, je voulais en détourner mon objectif. Ces dernières années, la région a connu plus que sa part de dévastation découlant de la surexploitation de ses ressources naturelles par les industries locales. Au lieu de photographier ces dégâts, j’ai décidé de tourner mon regard vers cette oasis luxuriante et climatisée, où une imposante enseigne de McDonald’s semble déclarer son amour pour le capitalisme d’évasion. J’aime bien saisir de tels instants de beauté paradoxale.

ER Pour cette série, nous vous avons demandé de cibler des instants de surprise en Israël. Comment avez–vous interprété cette requête ?

YG J’ai essayé de choisir les photos qui rendraient le mieux les contrastes et contradictions (mais qui ne soient pas trop politiques), tout en restant fidèle à mon approche esthétique, qui combine composition, couleur et un indispensable sens de l’humour pour équilibrer tout ça.

ER En quoi la vie à Tel–Aviv vous inspire–t–elle ?

YG À Tel–Aviv, on est comme dans une bulle, culturelle et intellectuelle. Cette ville est un collage à grande échelle de cultures et de peuples, d’architecture et de palmiers, de sons et de rythmes, ce qui la rend extraordinairement imprévisible et toujours surprenante.

ER Quel serait votre photoreportage ou projet de rêve ?

YG J’adorerais retourner en Inde. C’est là où je suis tombé amoureux de la photo, et j’aimerais redécouvrir le pays dans l’optique que j’ai aujourd’hui.

 Les gens éloignés dans les groupes sur une plage de sable et les grandes marches qui y mènent.
La plage de Jaffa: Voici à quoi ressemble un après–midi de farniente en hiver sur la plage de Jaffa, près de Tel–Aviv. C’est un de mes endroits préférés quand je veux me relaxer et regarder le soleil se coucher. À la frontière entre Jaffa et Tel–Aviv, ce coin est le lieu de rendez–vous des jeunes cherchant à fuir le quartier Florentin, des familles locales et des touristes désirant prendre une pause des marchés aux puces bondés de la ville. À intervalles réguliers on entend soit des cloches d’église, soit l’adhan (l’appel à la prière des musulmans), ce qui souligne le charme multiculturel de cette plage.

ER Qu’apportez–vous systématiquement à chaque voyage, et pourquoi ?

YG Un casque d’écoute. La musique joue un grand rôle comme source d’inspiration. C’est parfois important de l’éteindre afin de prendre le pouls de ce qui nous entoure, mais en règle générale la musique m’aide à trouver le rythme visuel de l’endroit où je suis.

ER Quels comptes Instagram ont votre prédilection ?

YG Si vous voulez découvrir des points de vue uniques sur Israël, je recommande le compte du photojournaliste @odedbalilty. Pour un regard haut en couleur et humoristique, j’aime bien le flux de @teddyco. Pour ma dose quotidienne d’inspiration, je peux toujours compter sur les illustrations de Geffen Refaeli à @dailydoodlegram.

 Un groupe de personnes observe le défilé de la fierté à Tel-Aviv. Il fait beau.
Touristes à la marche des fiertés : Chaque fois, mon instinct me dicte de regarder dans la direction opposée aux principales attractions, en quête d’une vue d’ensemble de la culture depuis les coulisses. J’ai pris cette photo lors de la marche des fiertés de Tel–Aviv, un défilé noir de monde, très haut en couleur et torride qui attire des gens de tous les coins de la planète. Debout sur la terrasse devant les mots « La mer », les spectateurs du défilé évoquent les passagers d’un bateau de croisière, et sans le vouloir ils sont tout aussi pittoresques que les participants à la marche.