Vivre en Nouvelle–Zélande, c’est comment à l’heure actuelle ?

Partagez

Dans notre série Fenêtres sur le monde, nous demandons à des Canadiens vivant à l’étranger de nous donner une idée de ce à quoi ressemble la vie à l’endroit où ils résident. C’est une façon de franchir les frontières sans sortir de chez soi.

Encore au septième ciel à la suite de notre séance de massage, mon amoureuse et moi entrons dans l’eau. Près de nous, des couples flânent sur le bord de la piscine en sirotant des cocktails. Un pina colada à la main, je me détends, fascinée par la façon dont la lumière filtre par le feuillage de l’hibiscus qui étend ses branches en bordure de la piscine.

Non, je ne suis pas en train d’évoquer des souvenirs de vacances prises avant la pandémie. Et je n’ai pas découvert de machine à voyager dans le temps non plus.

Tout ceci s’est produit la semaine dernière.

23 février 2021
Les kayakistes ont une vue sur la montagne depuis le lac Hooker en Nouvelle-Zélande

Je suis une Canadienne vivant en Nouvelle–Zélande. En mars 2020, à l’annonce de la fermeture des frontières, ma conjointe et moi avons eu moins d’une journée pour décider où installer nos pénates.

Nous pouvions regagner l’Australie (d’où elle est originaire) ou le Canada (je suis de Cold Lake, en Alberta), ou rester en Nouvelle–Zélande, où nous vivions depuis 18 mois déjà. C’était le seul pays où nous pouvions travailler et résider légalement ; âgée de 35 ans, j’étais encore admissible à un visa vacances–travail (probablement pour la dernière fois), tandis que les Australiens n’ont pas besoin d’un visa pour traverser la mer de Tasman.

Le soleil qui brille sur Hooker Lake Track avec de hautes montagnes en arrière-plan en Nouvelle-Zélande

Nous avons donc décidé de ne pas bouger. C’était le seul moyen de garantir qu’on puisse rester ensemble.

« La Nouvelle–Zélande est notre meilleure chance d’une vie normale», disais–je, avant de remettre cet argument en question à peine quelques jours plus tard, quand un confinement strict de sept semaines a été imposé au pays.

Mais notre pari s’est avéré payant. Depuis septembre, la Nouvelle–Zélande n’a connu qu’un petit nombre de cas de transmission communautaire. Elle fait l’envie de la planète, qui la voit comme une utopie où les gens vivent encore comme à l’époque d’« avant ». Depuis le début de la pandémie, ce pays de 5 millions d’habitants n’a enregistré que 25 morts et 2340 cas confirmés d’infection au virus.

Une colonie de fous de Bassan sur la rive sablonneuse de la Nouvelle-Zélande

Mes journées ici sont une enfilade de moments banals devenus mémorables, chacun étant une mini–victoire attribuable au fait d’être au bon endroit au bon moment. Je peux faire mon épicerie sans porter de masque. Je peux sortir pour aller dans les caves à vin, les pubs et les festivals de musique. Diable, je peux même insérer mes doigts rendus graisseux par des ailes de poulet dans une boule de bowling comme si on était encore en 2019.

Encore plus important, peut–être, je peux toujours voyager.

Avant la pandémie, le surtourisme suscitait en Nouvelle–Zélande de plus en plus d’inquiétudes. Le pays fait en superficie moins de la moitié du Manitoba, mais en 2019 il a accueilli près de quatre millions de visiteurs. Au Milford Sound, un coin aussi réputé pour ses chutes d’eau que célèbre pour ses foules, les autocars touristiques crachaient chaque jour environ 3000 personnes.

Faire une randonnée à travers les falaises de Caly en Nouvelle-Zélande
Formations rocheuses à Nugget Point en Nouvelle-Zélande

Au moment de mon passage, en octobre 2020, ce nombre de touristes était plus proche de 200. Dans le cadre de ma visite guidée, il n’y avait que deux autres personnes, un couple de quinquagénaires n’étant jamais allés voir l’attraction la plus populaire de Nouvelle–Zélande, en dépit du fait qu’ils habitaient à quelques heures de distance. Ils n’avaient rien d’une anomalie : au cours de la dernière année, j’ai rencontré je ne sais combien de Néo–Zélandais qui redécouvrent leur pays. Où que j’aille, il y a un sentiment de camaraderie, et toujours ce sujet de conversation : est–ce qu’on n’est pas chanceux ?

Mais la liberté a un coût. Je suis quand même isolée, même ici. Nos amis et nos familles sont à des milliers de kilomètres de nous, et avec les restrictions sur les voyages internationaux qui changent quotidiennement, je ne sais pas quand je les reverrai. La vérité, c’est que je serais prête à renoncer à tous les cocktails à la piscine pour avoir la chance de souper avec ma mère.

Une personne marchant le long d'un chemin clôturé vers les Catlins de Nugget Point

« Je veux rentrer chez moi», me plaignais–je à ma cousine la semaine dernière, après que mon vol pour Edmonton a été annulé. Encore une fois.

« Oui, mais Jessica, pour toi c’est où, “chez toi” ? » m’a–t–elle demandé.

Dans la culture maorie, il existe un concept du nom de tūrangawaewae, qui signifie littéralement « lieu où l’on peut se tenir droit ». C’est par lui que les gens définissent d’où ils viennent et là où ils sont à leur place. Il englobe normalement leur collectivité immédiate, leur région et la place qu’ils occupent dans le monde.

Présentement, mon chez–moi, c’est la Nouvelle–Zélande. Mais mon tūrangawaewae ? Ce sera toujours Cold Lake.