En selle pour le ski attelé, le sport d’hiver par excellence de l’Alberta
Le skijoring façon cowboy, tel qu’il se pratique dans le district de Foothills, en Alberta, est un croisement entre le rodéo d’hiver et le ski extrême, exécuté sous le regard d’une foule endiablée.
Sous un ciel d’un bleu singulièrement éblouissant du sud de l’Alberta, 11 hommes en tunique bavaroise chantent l’hymne national en iodlant dans une arène enneigée. Alors que les derniers mots d’Ô Canada résonnent dans la tribune bondée, un cheval s’élance depuis l’arrière du Wildrose Yodel Club, monté par une voltigeuse debout dans ses étriers. Il tire un skieur tout de denim vêtu. Celui-ci dévie vers un gros tremplin à l’intérieur de la piste, lâche la corde et s’envole dans un salto arrière qui ébahit la foule, tout en tenant un drapeau sur lequel on peut lire : « Skijor Canada ».
L’hippodrome de Millarville, dans le district Foothills, qui se trouve à 45 minutes au sud-ouest du centre-ville de Calgary sur les contreforts des Rocheuses, est le site d’un événement si albertain dans l’âme qu’on pourrait croire qu’il a été inventé ici. Mais le ski attelé, ou skijoring, où un skieur se fait tirer sur la neige par des chiens, un cheval ou un camion, est vieux de milliers d’années : la première mention remonte à l’Altaï, en Asie centrale. Skijoring vient du norvégien skikjøring (kjøring signifiant « conduite ») ; depuis longtemps, les Samis de Norvège se font traîner à skis par des rennes pour traverser des étendues enneigées. Les épreuves organisées de ski attelé ont pris leur essor au début du XXe siècle ; les Jeux nordiques, à Stockholm, et les Jeux olympiques d’hiver de 1928, à Saint-Moritz, en ont présenté. Ici, au royaume des ranchs albertains, le ski attelé de compétition décolle à peine. Et il se pratique à cheval, façon cowboy.
Avec son manteau long bordé de fourrure et couvert de pièces vintage et sa crinière blonde qui ruisselle de sous son chapeau de cowboy en feutre, Sam Mitchell ne passe pas inaperçue à l’hippodrome. Entraîneuse de chevaux et instructrice d’équitation, c’est la fondatrice de Skijor Canada et de son principal événement, Skijordue. Cavalière et skieuse depuis l’enfance, Mme Mitchell a combiné la mode et les après-ski des Alpes (où elle a passé sept hivers), l’esprit cowboy du district Foothills et la culture du ski et du snowboard des Rocheuses pour créer Skijordue. « C’est la crème de l’Alberta, avec une petite touche d’Europe », dit-elle. Cet événement-bénéfice annuel d’une journée, inauguré en 2016 lorsqu’une dizaine d’amis se sont réunis pour faire du cheval et manger du fromage, voit cavaliers et skieurs s’affronter dans quatre épreuves (circuit, sprint, relais et saut en longueur). Ça se déroule devant une foule haute en couleur, où les looks « ski en Europe » et western forment un patchwork bigarré d’habits de neige, de jambières et chapeaux de cowboy et de fourrure, et où tout le monde carbure aux fondues, saucisses et bière.
Le ski attelé a beau être un sport-spectacle relativement nouveau dans le district Foothills, les amateurs de chevaux du coin en font depuis toujours. Kirk « Gongshow » Prescott vit à De Winton, à 20 minutes d’ici : « Jeunes, on avait l’habitude de se tirer l’un l’autre en traîneau et à ski, mais depuis cinq ans le ski attelé a décollé et est devenu un vrai sport. » À titre d’ambassadeur de Skijor Canada, il fait partie de l’organisation bénévole tissée serré que dirige Mme Mitchell pour promouvoir ce sport, en œuvrant à normaliser épreuves et sécurité et à aider d’autres communautés à organiser des compétitions. On en appelle les membres d’aussi loin que la Chine pour leur poser des questions sur la façon de tenir des courses comme celle-ci.
Pour la compétition de 2020, Susan Oakes, détentrice du record du monde de saut en hauteur en amazone, et son ami d’enfance Barry O’Brien Lynch ont fait le voyage depuis l’Irlande. Lorsque Mme Oakes l’a annoncé sur sa page Facebook, le duo a été interviewé par la radio locale du comté de Meath, ce qui a attiré l’attention des journaux nationaux, et l’approche albertaine unique du ski attelé a fait la une de l’Irish Examiner. « Des gens de partout ont soudain appris l’existence de ce sport étonnant et su que nous venions, raconte Mme Oakes. Toute l’Irlande est derrière nous. »
L’épreuve sur circuit, chronométrée, se déroule sur une piste curviligne où skieurs et planchistes font un parcours d’obstacles : se faufiler entre des bottes de foin, monter sur les talus et, pour des points bonis, faire sonner une grosse cloche à vache suspendue à un arbre. Alors qu’un cheval et son cavalier foncent pour faire franchir la ligne d’arrivée à leur skieur, l’annonceur sonde la foule : « Combien d’entre vous assistent à une épreuve de Skijor pour la première fois ? » Les cris fusent des gradins déjà bruyants. À la première édition officielle de Skijordue, en 2017, l’assistance était de 800 personnes ; on compte à présent 4000 spectateurs, plus 150 concurrents. « Peu de gens qui ne montent pas à cheval assistent à des concours hippiques, et peu de non-skieurs vont aux courses de ski, conclut Mme Mitchell. Mais ils vont vouloir voir ça. »
Les épreuves
Circuit
Dans cette épreuve individuelle chronométrée, cheval et cavalier courent au bord intérieur de la piste, le skieur franchissant des obstacles à l’extérieur.
Saut en longueur
Chevaux et cavaliers tirent les skieurs sur un tremplin de 2 m (un à la fois). Un vainqueur est déclaré pour la distance parcourue, un autre pour le style.
Relais
Trois chevaux et leurs cavaliers s’affrontent, remorquant un skieur A sur 90 m, qui remet ensuite la corde au skieur B pour les 90 m de retour.
Sprint
Quatre chevaux et leurs cavaliers tirent des skieurs sur 200 m en droite ligne.
Sur place
District Foothills, Alberta
Azuridge Estate Hotel
Serti dans le nord-ouest du district Foothills, ce joyau d’hôtel a pour thème les pierres précieuses (les proprios sont géologues). Chacune des 13 chambres porte le nom d’un minéral, et le Flourish The LIV Well Spa, inauguré en 2020, intègre des pierres dans ses soins.
The Westwood
Passez à ce resto décontracté de Black Diamond prendre un Sunday Brekkie (tartine à l’avocat, œufs de ferme et bacon épais) qui marie traditions albertaines et australiennes. La chef copropriétaire Erin Kendrick, d’origine australienne, sert aussi des beignes, glacés et fourrés, le samedi.
Bertie’s General Store
Dans le premier magasin de Black Diamond, Bertie’s est tenu par Isis Velkova et Jolene Friesen : moitié friperie, de Mme Friesen, moitié herboristerie, qui vend les tisanes, produits de bain et pommades à base d’ingrédients du coin de l’entreprise de Mme Velkova, Tender Living Farm.
Leighton Art Centre
On vient pour la plus belle vue du district, digne de La mélodie du bonheur. On reste pour les expos d’art local et la boutique de cadeaux faits main, et pour découvrir l’héritage des artistes albertains A.C. et Barbara Leighton, qui ont habité cette maison de style Arts and Crafts et qui ont peint les paysages environnants.
Au moment de mettre sous presse, Skijordue 2021 est annulé en raison des risques liés à la covid-19. L’événement sera de retour à l’hippodrome de Millarville en février 2022 (si le temps et la neige le permettent).
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