En selle pour le ski attelé, le sport d’hiver par excellence de l’Alberta

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Le skijoring façon cowboy, tel qu’il se pratique dans le district de Foothills, en Alberta, est un croisement entre le rodéo d’hiver et le ski extrême, exécuté sous le regard d’une foule endiablée.

Sous un ciel d’un bleu singulièrement éblouissant du sud de l’Alberta, 11 hommes en tunique bavaroise chantent l’hymne national en iodlant dans une arène enneigée. Alors que les derniers mots d’Ô Canada résonnent dans la tribune bondée, un cheval s’élance depuis l’arrière du Wildrose Yodel Club, monté par une voltigeuse debout dans ses étriers. Il tire un skieur tout de denim vêtu. Celui-ci dévie vers un gros tremplin à l’intérieur de la piste, lâche la corde et s’envole dans un salto arrière qui ébahit la foule, tout en tenant un drapeau sur lequel on peut lire : « Skijor Canada ».

Sam Mitchell sur son cheval, Spencer
Sam Mitchell (montant Spencer), fondatrice de Skijor Canada et de Skijordue, vit à 10 minutes seulement de l’hippodrome de Millarville. « Je suis une fille de Foothills, j’aime les grands espaces. »    
Une vue enneigée de la chaîne de montagnes de l'Alberta
La paysage vallonné du district Foothills, à 45 minutes au sud-ouest du centre-ville de Calgary, est le cadre de Skijordue.    
Chaussures de ski orange associées à des chaps à franges marron
Au Skijordue, skieurs et planchistes enfilent des jambières de cuir.    

L’hippodrome de Millarville, dans le district Foothills, qui se trouve à 45 minutes au sud-ouest du centre-ville de Calgary sur les contreforts des Rocheuses, est le site d’un événement si albertain dans l’âme qu’on pourrait croire qu’il a été inventé ici. Mais le ski attelé, ou skijoring, où un skieur se fait tirer sur la neige par des chiens, un cheval ou un camion, est vieux de milliers d’années : la première mention remonte à l’Altaï, en Asie centrale. Skijoring vient du norvégien skikjøring (kjøring signifiant « conduite ») ; depuis longtemps, les Samis de Norvège se font traîner à skis par des rennes pour traverser des étendues enneigées. Les épreuves organisées de ski attelé ont pris leur essor au début du XXe siècle ; les Jeux nordiques, à Stockholm, et les Jeux olympiques d’hiver de 1928, à Saint-Moritz, en ont présenté. Ici, au royaume des ranchs albertains, le ski attelé de compétition décolle à peine. Et il se pratique à cheval, façon cowboy.

Brad Karl et son palomino Ace tirent Jean-Louis Frank dans l’épreuve du circuit
Brad Karl et son palomino Ace tirent Jean-Louis Frank dans l’épreuve du circuit.    
Une femme portant un grand accessoire papillon perlé dans ses cheveux
Des juges sondent la foule tout au long de la journée pour décerner des prix dans trois catégories : Wild West, Euro Trash et Fusion.    
Deux hommes qui courent sur leurs chevaux dans la neige
La sécurité est prioritaire, surtout avec plusieurs chevaux galopant de front dans les épreuves de sprint et de relais, qui peuvent atteindre des pointes de 65 km/h. C’est pourquoi on se contente d’enrouler la corde autour du pommeau de la selle, au lieu de la fixer ou de la nouer solidement : « Si un problème survient, le cavalier laisse tomber la corde, le skieur fait de même et elle ne s’emmêle pas », explique Mme Mitchell.    

Avec son manteau long bordé de fourrure et couvert de pièces vintage et sa crinière blonde qui ruisselle de sous son chapeau de cowboy en feutre, Sam Mitchell ne passe pas inaperçue à l’hippodrome. Entraîneuse de chevaux et instructrice d’équitation, c’est la fondatrice de Skijor Canada et de son principal événement, Skijordue. Cavalière et skieuse depuis l’enfance, Mme Mitchell a combiné la mode et les après-ski des Alpes (où elle a passé sept hivers), l’esprit cowboy du district Foothills et la culture du ski et du snowboard des Rocheuses pour créer Skijordue. « C’est la crème de l’Alberta, avec une petite touche d’Europe », dit-elle. Cet événement-bénéfice annuel d’une journée, inauguré en 2016 lorsqu’une dizaine d’amis se sont réunis pour faire du cheval et manger du fromage, voit cavaliers et skieurs s’affronter dans quatre épreuves (circuit, sprint, relais et saut en longueur). Ça se déroule devant une foule haute en couleur, où les looks « ski en Europe » et western forment un patchwork bigarré d’habits de neige, de jambières et chapeaux de cowboy et de fourrure, et où tout le monde carbure aux fondues, saucisses et bière.

Gros plan sur les costumes complexes portés par les participants et les spectateurs
Participants, spectateurs et organisateurs soignent leurs tenues.    
La chorale des hommes qui chante avec des pulls bleus assortis
Le Wildrose Yodel Club donne le ton à une journée au confluent des cultures alpine et albertaine.    
Un homme en riant portant un bonnet et un manteau de fourrure noire
Le dessinateur du parcours de Skijordue, Mike Perks, s’y connaît en matière de neige : il supervise la nivoculture et le damage en vue de l’ouverture de la saison à la station de ski de Lake Louise. « Les parcours de ski attelé ressemblent à ceux de skicross, sauf que la traction chevaline remplace la force de gravité », résume-t-il.    
Une femme portant un chapeau haut de forme noir, décoré de différentes épingles
Claire Perks aide son mari à la conception du parcours, mais participe aussi à la compétition comme cavalière : « Je suis l’amatrice de chevaux qui fait des courses, il est le pro de la neige ; on forme le couple du ski attelé. »    

Le ski attelé a beau être un sport-spectacle relativement nouveau dans le district Foothills, les amateurs de chevaux du coin en font depuis toujours. Kirk « Gongshow » Prescott vit à De Winton, à 20 minutes d’ici : « Jeunes, on avait l’habitude de se tirer l’un l’autre en traîneau et à ski, mais depuis cinq ans le ski attelé a décollé et est devenu un vrai sport. » À titre d’ambassadeur de Skijor Canada, il fait partie de l’organisation bénévole tissée serré que dirige Mme Mitchell pour promouvoir ce sport, en œuvrant à normaliser épreuves et sécurité et à aider d’autres communautés à organiser des compétitions. On en appelle les membres d’aussi loin que la Chine pour leur poser des questions sur la façon de tenir des courses comme celle-ci.

Noémy Coeurjoly chevauchant simultanément ses deux chevaux, Mathis et Frosty
Spécialiste de la poste hongroise, Noémy Coeurjoly sur ses chevaux Mathis et Frosty éblouit la foule entre les compétitions.    
La voltigeuse Alanna Nolan et le skieur acrobatique Phil Hudec
La voltigeuse Alanna Nolan et le skieur acrobatique Phil Hudec marquent le coup d’envoi de Skijordue 2020, et donnent un aperçu de ce qui attend la foule.    
Deux skieurs pris au milieu du saut
Trois skieurs s’élancent un à la suite de l’autre sur le tremplin du saut en longueur.    

Pour la compétition de 2020, Susan Oakes, détentrice du record du monde de saut en hauteur en amazone, et son ami d’enfance Barry O’Brien Lynch ont fait le voyage depuis l’Irlande. Lorsque Mme Oakes l’a annoncé sur sa page Facebook, le duo a été interviewé par la radio locale du comté de Meath, ce qui a attiré l’attention des journaux nationaux, et l’approche albertaine unique du ski attelé a fait la une de l’Irish Examiner. « Des gens de partout ont soudain appris l’existence de ce sport étonnant et su que nous venions, raconte Mme Oakes. Toute l’Irlande est derrière nous. »

Une femme portant un chapeau des Premières Nations
Falon Manywounds, élue First Nations Princess au Stampede de Calgary de 2020, s’imprègne des festivités de Skijordue.    
Barry O'Brien Lynch tiré par un cheval et un cavalier tout en portant des skis
Barry O’Brien Lynch (en vert) s’est entraîné chez lui, en Irlande, en se faisant tirer par un vieux tracteur sur un traîneau d’enfant déposé sur un tapis roulé. C’est réussi : Susan Oakes et lui ont remporté le sprint.    
Ryan Kennedy portant sa selle à son cheval
La cavalière Ryan Kennedy porte sa selle avant la compétition, où elle tirera son père en ski. « C’est chouette de faire une activité à cheval avec mon père, il m’a toujours encouragée dans l’équitation. »    
Sécuriser vos bottes dans l'étrier
Baissez les talons et accrochez-vous.    

L’épreuve sur circuit, chronométrée, se déroule sur une piste curviligne où skieurs et planchistes font un parcours d’obstacles : se faufiler entre des bottes de foin, monter sur les talus et, pour des points bonis, faire sonner une grosse cloche à vache suspendue à un arbre. Alors qu’un cheval et son cavalier foncent pour faire franchir la ligne d’arrivée à leur skieur, l’annonceur sonde la foule : « Combien d’entre vous assistent à une épreuve de Skijor pour la première fois ? » Les cris fusent des gradins déjà bruyants. À la première édition officielle de Skijordue, en 2017, l’assistance était de 800 personnes ; on compte à présent 4000 spectateurs, plus 150 concurrents. « Peu de gens qui ne montent pas à cheval assistent à des concours hippiques, et peu de non-skieurs vont aux courses de ski, conclut Mme Mitchell. Mais ils vont vouloir voir ça. »

Les épreuves

Une illustration du chemin emprunté par les curseurs sur la piste

Circuit

Dans cette épreuve individuelle chronométrée, cheval et cavalier courent au bord intérieur de la piste, le skieur franchissant des obstacles à l’extérieur.

Une illustration d'un cavalier et d'un curseur effectuant un saut en longueur

Saut en longueur

Chevaux et cavaliers tirent les skieurs sur un tremplin de 2 m (un à la fois). Un vainqueur est déclaré pour la distance parcourue, un autre pour le style.

Une illustration de l'exécution d'un relais entre les coureurs et les glisseurs

Relais

Trois chevaux et leurs cavaliers s’affrontent, remorquant un skieur A sur 90 m, qui remet ensuite la corde au skieur B pour les 90 m de retour.

Une illustration de quatre cavaliers et sliders effectuant un sprint de 200 m

Sprint

Quatre chevaux et leurs cavaliers tirent des skieurs sur 200 m en droite ligne.

Sur place

District Foothills, Alberta

L'extérieur de l'Azuridge Estate Hotel en hiver
    Photo : Emily Exon Photography

Azuridge Estate Hotel

Serti dans le nord-ouest du district Foothills, ce joyau d’hôtel a pour thème les pierres précieuses (les proprios sont géologues). Chacune des 13 chambres porte le nom d’un minéral, et le Flourish The LIV Well Spa, inauguré en 2020, intègre des pierres dans ses soins.

Fraises et beignets du Westwood
    Photo : The Westwood

The Westwood

Passez à ce resto décontracté de Black Diamond prendre un Sunday Brekkie (tartine à l’avocat, œufs de ferme et bacon épais) qui marie traditions albertaines et australiennes. La chef copropriétaire Erin Kendrick, d’origine australienne, sert aussi des beignes, glacés et fourrés, le samedi.

Étagères garnies de marchandises du Bertie’s General Store
    Photo : Jolene Friesen

Bertie’s General Store

Dans le premier magasin de Black Diamond, Bertie’s est tenu par Isis Velkova et Jolene Friesen : moitié friperie, de Mme Friesen, moitié herboristerie, qui vend les tisanes, produits de bain et pommades à base d’ingrédients du coin de l’entreprise de Mme Velkova, Tender Living Farm.

Vue hivernale du paysage de l'Alberta depuis la pelouse du Leighton Art Centre
    Photo : Amanda MacKay

Leighton Art Centre

On vient pour la plus belle vue du district, digne de La mélodie du bonheur. On reste pour les expos d’art local et la boutique de cadeaux faits main, et pour découvrir l’héritage des artistes albertains A.C. et Barbara Leighton, qui ont habité cette maison de style Arts and Crafts et qui ont peint les paysages environnants.

Au moment de mettre sous presse, Skijordue 2021 est annulé en raison des risques liés à la covid-19. L’événement sera de retour à l’hippodrome de Millarville en février 2022 (si le temps et la neige le permettent).