Arvi – No 1 – Les Meilleurs nouveaux restos canadiens 2019

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23 octobre 2019

L’affichage discret à cette adresse de Limoilou évoque un tableau de La roue chanceuse avec encore plusieurs lettres à trouver : A_ R  V_ _ _ I”.

Ce serait plus simple de dire à vos invités de repérer le resto d’en face, qui attire ses clients avec sa guirlande de soutiens–gorges de couleurs vives sur sa terrasse. L’Arvi, installé dans un ancien magasin de skate de style industriel, offre un autre genre de spectacle : une pièce de théâtre immersif avec cuisine à vue, mise en scène par un chef d’origine française, où la cuisine est un happening et où chaque membre de la troupe joue les rôles de chef, de sommelier et de serveur. À la chute du rideau, on veut tous les ovationner debout.

Un tas de champignons
Une compilation d'images au restaurant Arvi

Nous avons choisi le cocktail maison La Yaute (Haute–Savoie, en patois savoyard) dans le menu sur iPad. Nous jouons nos personnages, sirotant comme si c’était un fin xérès cet élégant élixir (aquavit, chartreuse jaune, bleuets et verjus) au nez de carvi et de baies. La trame sonore la plus éclectique de l’année, qui va du reggae en rotation forte à Jacques Dutronc en passant par Bill Haley et James Brown, donne à la salle une énergie toujours changeante qui nous garde sur le qui–vive.

L’assiette sans fond de pain au levain fermenté plus de 12 heures va de soi, surtout qu’elle vient avec une noix de beurre à la truffe qui sent le sol forestier, ainsi qu’avec le premier de nombreux opinels. Encadré et accroché au mur, un autre jeu de couteaux, mis au rancart par le chef Julien Masia, symbolise les milliers d’heures à couper, à dépecer, à émincer et à trancher qui ont valu à celui–ci son premier poste de chef principal (après avoir monté en grade dans divers restos européens étoilés au Michelin). Masia cuisinait au Bistro B avant d’ouvrir l’Arvi en partenariat avec le proprio dudit Bistro B, François Blais.

Un plat d'aubergines, basilic, vanille

Le nom Arvi, autre mot du parler de la Yaute, signifie « au revoir ». Allez–y une fois et vous voudrez revenir. La salle de 30 places est dominée par la cuisine qu’éclairent des suspensions. Masia et ses deux chefs sont penchés sur leurs plats illuminés, concentrés comme des chirurgiens en salle d’opération. Puis cap sur la cuisinière, où Masia saisit un faux–filet de veau façon tataki, le laissant caramélisé à l’extérieur et encore bleu au centre. Il le plonge ensuite dans une réduction de vinaigrette au xérès et de fond de veau et le sert accompagné de riche sauce au cheddar vieilli deux ans et de jeune romaine grillée. Cédrick, notre serveur ébouriffé, nous livre nos assiettes en quelques pas avant de faire ce truc si chaleureusement québécois qu’on adore : il s’assoit pour discuter sérieusement de ce que nous nous apprêtons à manger et à boire (un pinot noir La Cantina 2017, léger et subtilement épicé, de la vallée d’Oka). Voilà un endroit où le menu dégustation végétarien est (au moins) à la hauteur de son cousin carnivore ; en fait, il est presque incontournable. Aussi offertes à la carte, de moelleuses morilles, nappées d’une vaporeuse sauce hollandaise à l’amaretto québécois, volent la vedette.

L'équipe pose sous le signe d'Arvi
Chanterelles aux cacahuètes et au thym
   

« Je pourrais en manger matin, midi et soir », déclare Cédrick en parlant des addictives pépites de bacon confit qui coiffent le dessert de guimauve brûlée à l’érable avec espuma de coco. Bien d’accord. Jusqu’à ce qu’on goûte à l’électrisante version végé, qui remplace le bacon par une pincée de baies d’argousier bien acidulées. Arrive une Miettes, hefeweizen vive et fraîche d’Oshlag, brassée à Montréal à partir de pain récupéré d’une boulangerie–pâtisserie locale, qui ajoute encore plus de complexité (et qui coupe le sucre). Nous fermons la place, repus, heureux, la tête légère, couronnant la soirée par de joyeuses embrassades dans la rue.