Le chef Marcus Samuelsson sur le manque de diversité sur la scène culinaire

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Le chef discute d’héritage culinaire, de son resto au Four Seasons de Montréal et de la fois où il a cuisiné pour Obama.

Originaire d’Éthiopie, le chef Marcus Samuelsson a grandi en Suède. En 1994, il s’installe à New York où il mène l’Aquavit vers deux prix James Beard, puis ouvre à Harlem en 2010 le Red Rooster. Trente–quatre restos et sept livres plus tard, il a ouvert Marcus au nouvel hôtel Four Seasons de Montréal ce printemps. Il nous parle de son héritage culinaire, de la diversité du métier et de la fois où il a cuisiné pour le président Obama.

01 avril 2019

enRoute D’où vient votre amour de la bouffe ?

Marcus Samuelsson Dans ma famille, tout le monde cuisinait. J’ai appris de ma grand–mère. Du côté paternel, c’était des pêcheurs ; nature et aliments étaient respectés et mis en valeur. Tout ce qui garnissait notre table était notre œuvre, pain ou soupe, jusqu’au bouillon.

ER Comment intégrez–vous les traditions culinaires éthiopiennes et suédoises ?

MS Je jongle avec les deux cultures, en usant de techniques comme le marinage suédois et des procédés éthiopiens : fumage, fermentation du beurre et conservation par les épices.

ER Vous organisez parfois des brunchs gospel dans vos restaurants; quelle place y occupe la musique ?

MS En Éthiopie, il n’y a pas de repas sans musique. Celle–ci n’est pas qu’un bruit de fond dans nos restos, elle nous caractérise et témoigne de notre sens de l’hospitalité. Quand je me suis lancé dans le milieu, peu de chefs me ressemblaient, alors j’ai mis à l’honneur des musiciens noirs, comme A Tribe Called Quest et Nina Simone.

ER Comment ce manque de diversité a–t–il influencé votre carrière ?

MS À mes débuts, l’univers de la gastronomie était bien moins diversifié. Mais c’était ma voie ; chaque génération a la sienne. Je suis redevable des militants des droits civils, et la prochaine génération le sera envers ceux qui luttent maintenant. Le mieux que je puisse faire, c’est de dresser la table pour la prochaine génération, pour que plus de femmes et de gens de couleur participent à l’industrie.

ER Qu’est–ce qui vous a attiré vers la scène culinaire montréalaise ?

MS Au cours des 15 dernières années, les chefs ont fait émerger cette ville : les gens du Joe Beef, mais aussi des restaurateurs comme ceux du Provisions, qui utilisent des ingrédients hyperlocaux. Huîtres, doré et pétoncles canadiens, légumes racines québécois… j’ai hâte de mitonner tout ça.

ER Qu’est–ce qui vous plaît à Montréal ?

MS Outre la cuisine, toutes sortes de choses, comme l’architecture d’Habitat 67. J’aime aussi la gourmandise et la convivialité des gens : ils ne sont pas collés à leur téléphone, ils soupent ensemble, se détendent et s’amusent. C’est remarquable.

ER Le repas le plus mémorable que vous ayez préparé ?

MS Celui que j’ai concocté pour le président Obama. Son invité était le premier ministre indien et le repas a pris la forme d’une rencontre des cultures. Ça commençait par une salade avec plein de légumes locaux (dont certains du jardin de Michelle Obama !). Ensuite : soupe aux lentilles, pain de maïs, chapatis et tarte à la citrouille aux épices indiennes.

ER Dans quel pays déménageriez–vous pour sa cuisine ?

MS Au Mexique. À Baja, on sert un remarquable aguachile et plus loin sur la côte, d’incroyables tostadas de poisson frais préparées par des femmes qui ne se décriraient jamais comme des chefs. C’est pareil dans les églises de Harlem, où les choristes ne se voient pas comme des musiciens malgré leur voix d’ange.

ER Quel plat vous ferait faire des kilomètres ?

MS Quand je suis sur un vol de 12 heures pour le Japon, j’en consacre sept à me demander où je mangerai des sushis et des ramens. Il y a aussi des repas mémorables, comme le menu de dégustation végétarien au Louis XV – Alain Ducasse à l’Hôtel de Paris, à Monte–Carlo, dans les années 1990. J’avais 22 ans et pas de sous pour le vin, mais le concept était si avant–gardiste… il a changé ma vie.

ER Votre plus beau souvenir culinaire ?

MS J’adore les cornichons ; ce sont les cartes postales d’un lieu. Chercher des pickles au miso dans un grand magasin de Tokyo, c’est une expérience inouïe.