Où ils ont écrit : La Nouvelle–Angleterre littéraire de Heather O’Neill

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La romancière canadienne Heather O’Neill visite les vénérables demeures de grands auteurs américains.

La première version de mon roman étant chez mon éditeur, j’avais l’intention de passer la semaine à lire. Je venais de m’installer avec une pile d’ouvrages quand mon conjoint m’a annoncé qu’il voulait partir en vacances. Je lui ai répondu que je n’avais envie d’être nulle part ailleurs qu’ici.

« N’y a–t–il pas la maison d’un auteur que tu aimerais visiter, où on pourrait se rendre en voiture ? »

Il savait parfaitement que la seule chose qui m’arracherait aux pages de mes auteurs serait leur résidence.

20 mars 2024
Heather O'Neill serre son partenaire dans ses bras devant l'une des maisons lors de sa tournée littéraire en Nouvelle-Angleterre
Photo : Heather O’Neill
Heather O'Neill à l'intérieur d'une des maisons lors de sa tournée littéraire avec des meubles victoriens
Photo : Heather O’Neill

« Ben… j’ai toujours voulu voir la maison d’Herman Melville, au Massachusetts.

– Super !

– Tant qu’à être en Nouvelle–Angleterre, je veux aussi voir les demeures d’Edward Gorey, d’Emily Dickinson, de Louisa May Alcott, de Nathaniel Hawthorne et d’Edith Wharton. »

Le lendemain matin, il avait loué une Jeep et préparé un itinéraire. J’étais surprise de voir à quel point les maisons étaient près les unes des autres, alors j’ai fait mes bagages, et on est partis.

Jour 1

Une illustration de la Maison aux sept pignons de Nathaniel Hawthorne

La maison aux sept pignons de Nathaniel Hawthorne

Salem, Massachusetts
 

J’aime les histoires de mères célibataires, car j’en ai été une. Et j’ai ressenti intensément la honte qui en découle. Naturellement, j’ai donc été fascinée par le roman de Nathaniel Hawthorne, La lettre écarlate.

En arrivant à la maison aux sept pignons, j’étais d’humeur sorcière. Hawthorne était parent avec l’un des juges ayant présidé le procès des sorcières de Salem, et on venait justement d’en voir une reconstitution dans une vieille église.

La maison est constituée d’étranges petits escaliers, de chambres surprenantes et de couloirs changeant inopinément de direction. Un visiteur cherchant les toilettes au beau milieu de la nuit pouvait aisément se perdre dans ce labyrinthe. Pas étonnant que Hawthorne s’en soit inspiré comme maison hantée. Des portes dérobées débouchent sur des escaliers secrets afin que les enfants fantômes puissent continuer à jouer à cache–cache au 21e siècle.

Un imposant portrait d’Hawthorne trône dans un tout petit bureau caché. Sachant que des maladies l’avaient souvent cloué au lit, je ne m’attendais pas à ce qu’il soit beau jeune homme. Je présume que c’était monnaie courante à l’époque pour un auteur d’être reclus, et il s’en réclamait. Mais il s’ennuyait constamment et se glissait dehors en douce pour retrouver quelqu’un afin de jouer aux cartes.

Jour 2

Une illustration de la maison Edward Gorey

La maison d’Edward Gorey

Yarmouth Port, Massachusetts
 

Après la mort de George Balanchine, directeur artistique de la New York City Ballet, Edward Gorey, qui ratait rarement un spectacle, décida qu’il était temps pour lui de quitter New York. Ainsi, c’est le cœur brisé qu’il emménagea à Cape Cod, dans une maison baptisée Elephant House.

Sur de vieux clichés de la demeure, les murs sont couverts de toiles et de cartes postales, et les bibliothèques croulent sous les livres anciens et les oursons en peluche défraîchis. Dans le salon s’empilent des livres d’art et de journaux. Puis, des chats grotesquement gros et duveteux sont perchés dans d’improbables positions, dans des endroits inusités, installés confortablement telles des gargouilles.

À notre arrivée, les chats avaient disparu depuis longtemps. Aujourd’hui, un musée commémore l’œuvre de Gorey en tant qu’illustrateur, auteur, marionnettiste et décorateur. On y présente une expo tournante de ses collections. Il possédait des collections de statues de grenouilles, de pots de pilules, de bagues, ainsi que de salières et poivrières. Si j’habitais dans les environs, je visiterais le musée tous les mois pour y découvrir une autre collection, peut–être celle de ses dessins d’enfants au destin tragique. Le regard subversif de Gorey sur l’enfance en tant que passage difficile, sombre et plein d’embûches a toujours trouvé écho en moi.

Jour 3

Une illustration du musée Emily Dickinson

Le musée Emily Dickinson

Amherst, Massachusetts
 

Durant presque toute sa vie, Emily Dickinson a vécu dans une belle grande demeure en briques jaunes. À l’intérieur, les tapis regorgent de fleurs colorées. Dans sa chambre, qu’elle ne quittait presque jamais, le papier peint blanc est orné de roses éclatantes. Près de la fenêtre, il y a un minuscule pupitre où elle composait ses poèmes. Impossible d’y écrire un roman puisque cela génère des montagnes de brouillons. Mais c’était une poète d’une précision chirurgicale. Chacun de ses mots résonne, telle une phrase lue par un juge.

Contrairement à Hawthorne, Dickinson était une vraie ermite. Quand notre guide nous a dit qu’on irait chez son frère à pied, les bras m’en sont tombés. Dickinson entretenait une abondante correspondance avec sa belle–sœur bien aimée, où elles se disaient combien elles s’ennuyaient l’une de l’autre, passant de longs mois sans se voir. Mais la maison est juste à côté. La poète faisait livrer ses lettres par les enfants de la famille.

Peut–être que les vêtements féminins entravaient tant la marche qu’il était difficile de se rendre d’une place à l’autre. Une visite à l’épicerie aurait été toute une aventure. Qui sait, leur crinoline aurait pu s’accrocher à une branche. Ou le vent s’y engouffrer et les faire s’envoler à des lieux de là. Ou même pire, les retrouver la tête en bas, accrochées à un arbre !

Une illustration de l’Orchard House de Louisa May Alcott

Orchard House, la maison de Louisa May Alcott

Concord, Massachusetts
 

Louisa May Alcott et ses sœurs n’avaient pas ce problème. Elles étaient reconnues pour aller et venir sans crinoline et faire la roue sur leur pelouse. De l’extérieur, Orchard House a l’air mauve et ennuyante. Elle me fait penser à une grosse grange sur le bord du chemin, réaménagée pour vendre des antiquités ou des feux d’artifice. Mais qui suis–je pour juger ? On y a tourné plusieurs adaptations des Filles du docteur March.

Petite, j’étais jalouse des sœurs March. Elles étaient si solidaires entre elles. Chez moi, recevoir un compliment était chose rare, voire impossible. Heureusement, les auteurs inventent toutes sortes d’enfances pour leurs lecteurs. Ainsi, les sœurs March faisaient partie de ma famille.

Il y a une atmosphère joyeuse et chaleureuse ici. Tout y est un brin humble et décrépi, et il faut se baisser pour franchir certaines portes. On peut y sentir Alcott et ses sœurs costumées, déclamant des poèmes ou s’étourdissant en faisant la fête à fond. C’est là qu’elles montaient leurs pièces. Cette demeure est hantée par le bonheur.

Une illustration de la Cabane de Henry David Thoreau

Le chalet d’Henry David Thoreau et L’étang Walden

Concord, Massachusetts
 

Il y avait un plan, à côté du stationnement. Dessus, un dessin d’où on se trouvait, et j’ai vu l’étang Walden – le fameux étang du roman d’Henry David Thoreau, Walden ou la vie dans les bois – était tout près.

Mon conjoint enfilait déjà son maillot de bain. Vu que le roman de Thoreau est un récit sur la vie d’ermite dans la nature sauvage, j’imaginais l’étang perdu dans les bois, loin de toute civilisation. (J’ai lu plus tard que la mère de l’écrivain lui apportait des sandwiches et faisait son lavage.)

L’eau de l’étang sans une ride brillait tel un miroir, dans un écrin d’arbres verdoyants qui donnait à l’eau des reflets dorés et vert foncé. La scène était si attendrissante et si paisible que j’ai commencé à comprendre pourquoi Thoreau s’imaginait à des millions de kilomètres de là, où personne ne pouvait l’entendre.

J’ai plongé dans l’eau et en suis ressortie les bras en l’air, en criant : « Je suis dans l’étang Walden ! » J’avais l’impression d’avoir été baptisée dans l’eau bénite des écrivains. Après tout, Ralph Waldo Emerson, le meilleur ami de Thoreau, s’était baigné ici aussi.
 

Herman Melville’s Arrowhead

Pittsfield, Massachusetts
 

À la voiture, mon conjoint m’a dit qu’il était trop tard pour visiter la maison d’Herman Melville. Je me suis écriée : « On doit y aller ! J’adore Herman Melville ! J’ai toujours voulu être le capitaine Achab. » J’ai insisté pour qu’on roule jusqu’à la demeure afin d’espionner par les fenêtres. Il ne nous restait maintenant qu’une heure pour visiter la maison d’Edith Wharton.

Une illustration de The Mount, la maison d’Edith Wharton

The Mount, la maison d’Edith Wharton

Lenox, Massachusetts
 

La route menant à Lenox serpente à travers les monts Berkshire sous un tunnel de verdure. Les arbres se contorsionnent bizarrement et racontent des récits gothiques de guerre et de violence, de sorcellerie et de génocides, de naissances et de croyances. En fait, ils ondulent en parfaite harmonie alors que la route slalome à travers de magnifiques virages et descentes.

Wharton est née Edith Newbold Jones. L’expression « keeping up with the Joneses » (le syndrome du voisin gonflable) se rapporterait à sa famille. Sa demeure a été construite durant l’Âge doré, période où les industriels américains amassaient d’immenses fortunes. Son père était un magnat de l’immobilier. Aimant elle aussi les maisons, elle a exercé une grande influence sur la conception de The Mount.

Même si je savais qu’elle serait imposante, j’ai été soufflée par l’énormité de cette demeure blanche rectangulaire. Elle a davantage l’air d’un palais italien que d’un manoir américain. À l’entrée, on nous a annoncé que les visites étaient terminées pour la journée. Alors que mon conjoint implorait l’employé, lui confiant mon vœu le plus cher de visiter la maison avant de mourir, je me suis esquivée. Du coin de l’œil, il m’a vue enjamber un cordon en velours rouge et disparaître dans un escalier. Bientôt, il était derrière moi, chuchotant.

Le salon était opulent, les chambres – où Wharton écrivait – immenses et ensoleillées, et les salles de bain divines. Il y avait même une chambre d’invités où Henry James séjournait lors de ses visites. Mais cette demeure est empreinte de chagrin. Elle fut un temps un pensionnat pour jeunes filles, lesquelles rapportaient toujours entendre des voix et des bruits étranges. Puis, une compagnie théâtrale s’y est installée, et les acteurs disaient entendre les mêmes types de sons. Il est vrai que les comédiens et les enfants sont les plus superstitieux d’entre nous, mais quand même !

Edith Wharton a habité ici un certain temps avec un mari dépressif qui emplissait la maison d’une noirceur qu’aucun chandelier n’arrivait à chasser. À cette époque, les femmes étaient encarcanées par les conventions. L’autrice a été sévèrement critiquée pour ses écrits, même carrément découragée de se lancer dans l’aventure littéraire.

Je me suis retournée vers mon conjoint et lui ai dit : « Je ne peux pas t’épouser. Je t’aime, mon chéri, mais je suis promise à un imbécile. »

À ce moment, un gardien est arrivé pour nous escorter vers la sortie qui donnait sur un jardin aux arbres parfaitement entretenus et aux sentiers géométriques.

Quelle belle chose transcendante que l’être humain, me suis–je dit, avec l’impression qu’on venait de soulever le rideau derrière le Magicien d’Oz. Plutôt que d’être sous le choc de réaliser que les écrivains sont mortels, j’ai été infiniment émerveillée. Émerveillée par le fait que n’importe quelle habitation puisse être le lieu de création d’une grande œuvre. Que les crayons sont des baguettes magiques qui font apparaître des mondes. Des mondes qui transforment chaque couverture de livre en une porte que l’on peut franchir pour y vivre un moment.

L’itinéraire de Heather

L'extérieur en forme de château du Salem Witch Museum
Photo : Robert K. Chin/Alamy

À faire

  • Musée des sorcières de Salem, Salem, MA

     — Assistez à une abracadabrante reconstitution du procès des sorcières de Salem en 1692 dans une église néogothique. Pour les plus ensorcelés, la boutique de souvenirs propose tasses à thé pour y lire votre destinée, balais miniatures et planches à découper avec un répertoire des plantes médicinales gravé en surface.

Un plat de Helltown Kitchen

Òu manger

  • Helltown Kitchen, Provincetown, MA

     — Ici, en haute saison, de mai à octobre, on réchauffe les nuits du port avec des versions fusion de plats de fruits de mer : du cari caribéen à la noix de coco, avec morue et moules, au vindaloo crevettes épicées.

Le confortable Montague Bookmill

Òu magasiner

  • The Montague Bookmill, Montague, MA

     — Dans un vieux moulin à broyer le grain sur la rivière Sawmill, cette librairie d’occasion compte « 40 000 livres et une chute d’eau ». On y trouve aussi la Sawmill River Arts Gallery, le magasin de disques et de DVD Turn It Up!, un café et un restaurant.