Lenox, Massachusetts
La route menant à Lenox serpente à travers les monts Berkshire sous un tunnel de verdure. Les arbres se contorsionnent bizarrement et racontent des récits gothiques de guerre et de violence, de sorcellerie et de génocides, de naissances et de croyances. En fait, ils ondulent en parfaite harmonie alors que la route slalome à travers de magnifiques virages et descentes.
Wharton est née Edith Newbold Jones. L’expression « keeping up with the Joneses » (le syndrome du voisin gonflable) se rapporterait à sa famille. Sa demeure a été construite durant l’Âge doré, période où les industriels américains amassaient d’immenses fortunes. Son père était un magnat de l’immobilier. Aimant elle aussi les maisons, elle a exercé une grande influence sur la conception de The Mount.
Même si je savais qu’elle serait imposante, j’ai été soufflée par l’énormité de cette demeure blanche rectangulaire. Elle a davantage l’air d’un palais italien que d’un manoir américain. À l’entrée, on nous a annoncé que les visites étaient terminées pour la journée. Alors que mon conjoint implorait l’employé, lui confiant mon vœu le plus cher de visiter la maison avant de mourir, je me suis esquivée. Du coin de l’œil, il m’a vue enjamber un cordon en velours rouge et disparaître dans un escalier. Bientôt, il était derrière moi, chuchotant.
Le salon était opulent, les chambres – où Wharton écrivait – immenses et ensoleillées, et les salles de bain divines. Il y avait même une chambre d’invités où Henry James séjournait lors de ses visites. Mais cette demeure est empreinte de chagrin. Elle fut un temps un pensionnat pour jeunes filles, lesquelles rapportaient toujours entendre des voix et des bruits étranges. Puis, une compagnie théâtrale s’y est installée, et les acteurs disaient entendre les mêmes types de sons. Il est vrai que les comédiens et les enfants sont les plus superstitieux d’entre nous, mais quand même !
Edith Wharton a habité ici un certain temps avec un mari dépressif qui emplissait la maison d’une noirceur qu’aucun chandelier n’arrivait à chasser. À cette époque, les femmes étaient encarcanées par les conventions. L’autrice a été sévèrement critiquée pour ses écrits, même carrément découragée de se lancer dans l’aventure littéraire.
Je me suis retournée vers mon conjoint et lui ai dit : « Je ne peux pas t’épouser. Je t’aime, mon chéri, mais je suis promise à un imbécile. »
À ce moment, un gardien est arrivé pour nous escorter vers la sortie qui donnait sur un jardin aux arbres parfaitement entretenus et aux sentiers géométriques.
Quelle belle chose transcendante que l’être humain, me suis–je dit, avec l’impression qu’on venait de soulever le rideau derrière le Magicien d’Oz. Plutôt que d’être sous le choc de réaliser que les écrivains sont mortels, j’ai été infiniment émerveillée. Émerveillée par le fait que n’importe quelle habitation puisse être le lieu de création d’une grande œuvre. Que les crayons sont des baguettes magiques qui font apparaître des mondes. Des mondes qui transforment chaque couverture de livre en une porte que l’on peut franchir pour y vivre un moment.