Vivre à Paris, c’est comment à l’heure actuelle ?
Dans notre série Fenêtres sur le monde, nous demandons à des Canadiens vivant à l’étranger de nous donner une idée de ce à quoi ressemble la vie à l’endroit où ils résident. C’est une façon de franchir les frontières sans sortir de chez soi.
En plein cœur de la pandémie, la bande-son typique de Paris (le klaxon des scooters, le hurlement des sirènes, le brouhaha des voix parisiennes qui font écho à celles des touristes, dans l’air chargé d’électricité) a été remplacée par un calme inhabituel, mais bienvenu.
Récemment, un samedi midi, je me suis retrouvée en solo à la tour Eiffel, où habituellement j’aurais eu à me frayer un chemin entre les touristes émerveillés par leur première visite et les influenceurs cherchant le meilleur angle pour se tirer le portrait devant la dame de fer et le spectacle des magnolias en fleurs. À part quelques passants qui s’arrêtent pour admirer cette explosion printanière et prendre deux, trois clichés, je l’ai à moi toute seule.
Je décide de marcher 50 minutes, jusqu’à ma prochaine destination, le jardin du Palais-Royal, en empruntant des rues résidentielles. L’étrange silence qui règne dans les artères vides me rappelle que ce troisième confinement ne ressemble en rien aux deux autres, alors qu’au début seuls les déplacements essentiels étaient autorisés, avant qu’on ne permette les promenades d’une heure maximum dans un rayon de 5 km de la maison, avec en main des documents officiels, sortes d’affidavits, de déclarations sous serment indiquant lieu de résidence et raison de sortie.
Bien qu’on ferme à nouveau les commerces et services non essentiels, les balades cette fois ne sont plus limitées à une heure et sont passées à un rayon de 10 km, quant au couvre-feu, il a été retardé d’une heure, de 18 h à 19 h. Fini aussi les certificats à trimbaler. Même si on s’est moqué de l’efficacité de cette approche de confinement plus permissive et qu’on l’a remise en question, elle nous a toutefois donné l’occasion de souffler un peu.
Malgré ces libertés accrues, le cossu XVIIe arrondissement (celui de la tour Eiffel) semble désert. On peut facilement imaginer que nombre des familles fortunées qui vivent ici se sont exilées dans leur résidence secondaire ou à un Airbnb à la campagne, dès qu’il a été question d’un autre confinement. Résultat : la ville semble quasi abandonnée.
Personnellement, je ne veux pas m’enfuir de Paris ; il y a déjà 10 ans que j’ai quitté Toronto pour venir m’y installer, toute seule. Ici, je me suis construit une nouvelle vie, me suis posé de sérieuses questions, j’ai affronté mes pires démons, fait plusieurs erreurs et appris à mieux connaître mes forces et mes faiblesses. Mais depuis quelques années, particulièrement depuis que la pandémie a transformé ma vie à Paris, j’ai commencé à réfléchir à la notion de foyer et à me demander où est ma vraie maison.
Quand j’entends des nouvelles crève-cœur du Canada, la distance transatlantique entre Paris et Toronto me semble encore plus infranchissable; je me fais un sang d’encre et ressens un profond sentiment de solitude et d’impuissance, qui teinte mes journées.
Pendant nos appels quasi quotidiens, chaque fois que ma mère me dit qu’elle s’ennuie de moi, ça me pèse encore plus. Alors apparaissent culpabilité, doute et intense envie de rentrer à la maison.
En attendant, les strictes restrictions de voyage et la lenteur tectonique de la vaccination en France ne me laissent pas le choix : pour l’instant, je ne peux pas bouger.
Alors, un après-midi, durant un appel Zoom avec une de mes meilleures amies, j’ai retourné la caméra pour qu’elle voie le rose velouté des magnolias en fleurs qui ont pris d’assaut le jardin du Palais-Royal, en espérant que leur admirable beauté lui procure un certain réconfort.
Quant à mes parents, qui en arrachent en confinement, sachant qu’ils ont perdu plus d’un an de leur vie alors qu’ils vieillissent et ne sont pas immortels, je me berce de l’espoir d’un prochain voyage, lorsque nous déambulerons, tous ensemble réunis, dans les rues de Paris redevenues grouillantes de vie.