J’ai souvenir de mon dernier séjour au motel. C’était en 1979 et j’avais six ans. Subjuguée que j’étais par le miroir illuminé, « digne d’une princesse », je n’ai remarqué ni les couvre–lits élimés, ni l’usure de la moquette, ni le lugubre ronflement de la machine à glace du bout du couloir, seul luxe de l’endroit. Je n’ai jamais remis les pieds dans un tel lieu.
La plupart des voyageurs nord–américains sont comme moi. Quand prendre l’avion est devenu plus abordable, les vacanciers ont délaissé les virées en familiale pour des margaritas bon marché au soleil, et les nombreux motels aux abords des autoroutes nord–américaines se sont délabrés. Seuls les camionneurs et les détectives désabusés du petit écran ont continué à fréquenter les motels. Quand les créateurs de Schitt’s Creek cherchaient le pire endroit imaginable où coincer la famille Rose désargentée, ils ont opté pour un motel miteux. Moira le dit au premier épisode : « Apparemment, il n’y a aucun porteur en enfer. »
Bon, les porteurs sont toujours aux abonnés absents, mais les motels sont de retour, grâce à une nouvelle génération de propriétaires qui transforment les hébergements deux étoiles de leur enfance en destinations instagrammables. Top motels, la populaire série Netflix, dépeint la transition du June Motel de Sauble Beach, en Ontario, et même Schitt’s Creek s’y met, à la fin, lorsque Johnny fonde une entreprise qui revampe des motels fanés en lieux désirables. On observe ces dernières années une miniéclosion d’hôteliers stylés sans expérience qui ont une vision très personnelle du motel d’aujourd’hui.
Avec la covid–19, ces derniers ne pouvaient pas mieux tomber. Passer la frontière relève à présent d’une course à obstacles, entre avertissements aux voyageurs et exigences de dépistage, et bien des gens hésitent encore à propos des espaces communs de style halls d’hôtel. Il en est résulté une horde de zombies affamés de voyages, dont je suis, qui sont plus que prêts à emprunter un vol intérieur, puis à sauter dans une voiture et à rouler vers n’importe où qui n’a rien à voir avec leur fond d’écran Zoom. Passer des vacances dans mon coin ne m’a jamais autant alléchée, et quand Air Canada enRoute m’a proposé de faire la tournée des motels les plus branchés d’Ontario avec une photographe inconnue, une tueuse à la hache pour ce que j’en sais (mais je m’en fous), j’ai illico fait le plein de ma bouteille de shampoing de voyage.